Plus de 5 000 salariés et patrons de la sidérurgie, issus de 18 États membres ont occupé, ensemble, le quartier européen à Bruxelles le 15 février, pour protester contre la concurrence chinoise qui déverse sur le marché des produits à prix cassés. Un front du refus qui commence à sérieusement embarrasser la DG Commerce, chargée de ces délicates négociations. « Face à une surcapacité sur son marché, la Chine exporte son acier à prix écrasés. Si cela continue, dans trois ans 50 % de l’industrie européenne est détruite. On ne peut laisser filer l’acier aux mains des Chinois », déplorait Mathieu Jehl, le nouveau dirigeant des sites gantois et liégeois d’Arcelor Mittal, qui avait enfilé sa veste d’usine pour manifester aux côtés de ses employés.
A l’instar de ses confrères des autres secteurs manufacturiers – les producteurs de panneaux photovoltaïques par exemple- lui aussi plaide pour que le statut d’économie de marché ne soit pas accordé à Pékin en décembre 2016, comme prévu lors de l’accession de la Chine à l’OMC en 2001. « C’est tout notre tissu industriel qui s’en trouverait menacé », souligne ce patron militant.
Des représentants d’Aegis Europe – fédération composée d’une trentaine d’entreprises, dont le chiffre d’affaires est évalué à plus de 500 millions d’euros – faisaient également partie du cortège ce lundi à Bruxelles. « Nous manifestons par milliers aujourd’hui dans le but de transmettre un message clair aux dirigeants politiques de l’UE : Dites OUI à l’emploi et à la concurrence loyale ! Dites NON au Statut d’économie de marché pour la Chine ! », a plaidé Milan Nitzschke, porte-parole de l’association.
La crainte d’un «full licence to dump »
Pour ce dernier, les études d’impact menées par la Commission européenne sous-estiment largement les conséquences d’une telle décision. Un rapport publié à l’automne par Aegis Europe estime, par exemple, à 3,5 millions les pertes d’emploi, directes et indirectes, alors que la Commission prévoit la disparition d’environ 200 000 emplois en cas d’octroi du statut d’économie de marché. « Obtenir ce sésame équivaudrait à une «full licence to dump » (un permis illimité de pratiquer le dumping), résume Milan Nitzschke.
Les manifestants ont reçu l’appui de nombreux eurodéputés de droite comme de gauche. « La Chine n’est pas une économie de marché. Elle ne remplit qu’un des cinq critères requis pour prétendre à ce statut », rappelait un communiqué du groupe des Socialistes et Démocrates au PE (S&D). Invité le jour même au Parlement européen à Bruxelles par Edouard Martin – ancien syndicaliste de Florange devenu eurodéputé à l’issue des dernières élections – le ministre français de l’Économie, Emmanuel Macron, s’est engagé à relayer les inquiétudes du secteur auprès de ses homologues européens mais aussi à la Commission européenne.
Parmi les revendications figure l’accélération des procédures anti-dumping, dont la mise en place prend aujourd’hui entre 12 et 18 mois. « J’ai appelé tout à l’heure et je le referai à l’instant jusqu’à ce qu’on puisse prendre des mesures beaucoup plus rapides, qu’il s’agisse des laminés à froid comme des laminés à chaud pour que nous puissions apporter des réponses dans les deux mois. Deux mois, c’est le délai que prennent les Américains à apporter des réponses anti-dumping aux attaques ».
La Commission devra négocier avec la Chine
Malgré ses réticences, la Commission européenne devra négocier avec la Chine, partenaire commercial majeur des 28, « même si d’évidence la Chine n’est pas une économie de marché et subventionne des pans entiers de son économie », notait une source diplomatique cité par le journal Le Monde. Dans ce contexte tendu, Bruxelles veut néanmoins prouver qu’elle agit. Une consultation publique sur le sujet a été initiée, elle clôturera en avril 2016. Le 12 février, la Commission a également lancé de nouvelles enquêtes visant les importations de trois types de produits en acier en provenance de Chine, soupçonnés d’être vendus à perte et d’enfreindre les règles de la concurrence. Sur une centaine de mesures anti-dumping prises par l’UE, tous secteurs confondus, 37 visent le seul domaine de l’acier. Au total, neuf enquêtes sont désormais en cours.
Mais un éventuel abandon de ce bouclier protectionniste – si la Chine obtenait le statut convoité – fait craindre le pire au sein des lobbies industriels européens. Pour renforcer le dispositif visant à mieux protéger l’UE et son socle industriel, les membres français du groupe S&D militent en parallèle pour l’adoption rapide de la proposition législative sur la modernisation des instruments de défense commerciale. « Nous déplorons qu’elle soit bloquée par certains États membres, malgré un soutien déterminé du Parlement », indiquent les élus socialistes français dans un communiqué commun.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles