La banque centrale chinoise a annoncé lundi 15 août une baisse surprise de deux de ses taux directeurs pour relancer l’investissement et l’activité sur fond de mauvais résultats macroéconomiques et de tensions géopolitiques. La récession vers laquelle s’achemine l’Empire du milieu, pilier du commerce international aux cotés des États-Unis, risque de détourner les PME et ETI exportatrices de ce marché longtemps considéré comme un eldorado.
Geste désespéré ou salutaire ? L’abaissement de deux principaux taux directeur par la Banque centrale chinoise (PBOC) a en tout cas surpris les analystes. Dans le détail, le taux de refinancement des banques à sept jours passe de 2,10 % à 2 % et celui à un an de 2,85 % à 2,75 %. Si l’objectif d’une telle décision est clair, soit soutenir l’économie en favorisant le crédit, les raisons inquiètent les observateurs du marché chinois.
« L’assouplissement n’était que de 10 points de base par rapport au taux de prêt à un an de la banque, mais il était toujours dans la direction exactement opposée à la voie monétaire empruntée à l’Ouest et dans le reste des marchés émergents, rappelle l’agence Bloomberg. Et la PBOC ne l’aurait certainement pas fait à moins qu’elle ne s’y sente obligée – ce qui implique que les banquiers centraux pensent que l’économie chinoise est dans un état pire qu’il n’y paraît. »
La perspective d’une croissance de 5,5 % semble désormais utopique
De fait, les indicateurs publiés le même jour par les autorités chinoises pour le mois de juillet soulignent que le pays est loin de renouer avec le dynamisme. Bien au contraire : la production industrielle a ainsi progressé de seulement 3,8 % (contre 3,9 % en juin), la croissance de l’investissement plafonne à 3,6 % (après 5,8 % le mois précédent) et celle des ventes de détail à 2,7 % après un rebond de 3,1 %. Quant à l’objectif officiel de 5,5 % de croissance du PIB pour l’année 2022, il n’est tout bonnement plus d’actualité.
La Chine paye le prix d’une politique de zéro Covid qui a bloqué durant des mois des pans entiers de son économie et perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales, avant de faire face au ralentissement de la demande mondiale, notamment dans les marchés occidentaux, en raison du regain d’inflation généralisé. L’immobilier, un des moteurs de l’économie ces dernières années (de 30 à 35 % du PIB en dépend en temps normal selon les estimations des observateurs), est en chute libre et les faillites se sont multipliées parmi les promoteurs.
Fin juillet, le FMI a revu à la baisse ses prévisions de croissance de 1,1 point , à 3,3 %. La banque française Société Générale se montre plus pessimiste. « notre prévision de PIB de 2,7 % peut encore s’avérer trop optimiste, confiait aujourd’hui aux Echos Wei Yao, chef économiste de la banque pour la région Asie-Pacifique. La trajectoire de juillet indique un taux de croissance du PIB inférieur à 2 % pour 2022, si les décideurs restent lents à réagir. »
Un marché qui reste attractif dans certains secteurs
Bref, l’eldorado chinois a du plomb dans l’aile et son marché ne fait plus rêver les investisseurs, qui tablent de plus en plus sur un schéma Chine + 1 en Asie du Sud-Est pour leurs investissements productifs, ni les exportateurs qui doivent faire face à l’espoir déçu de l’émergence d’une classe moyenne chinoise et à une baisse de la consommation domestique.
Et ce, même si pour certains secteurs, ce marché continue d’être attractif pour les entreprises françaises, à l’instar de la cosmétique dont les exportations vers la Chine ont progressé de 9 % sur la période janvier-mai 2022 en glissement annuel.
En outre, l’actuel repli de l’économie chinoise pourrait ouvrir des portes aux entreprises européennes sur d’autres marchés. En effet, avec son titanesque projet de « nouvelles routes de la soie » Pékin a distribué avec largesse des financements pour des projets d’infrastructures en Afrique, en Asie et en Europe. Une enquête du Financial Times rappelle que Pékin a dépensé pour ces investissements 838 milliards de dollars (Md USD) depuis 2013. Problème : ils sont en train de pourrir sur pied. 52 Md USD de prêts qui ont été renégociés en 2020, contre seulement 16 Md USD les deux années précédentes, révèle le quotidien britannique.
Des opportunités sur d’autres marchés ?
Affaires de corruption, utilité douteuse des projets, relations tendues avec les entreprises et autorités locales… Le Financial Times rappelle également que la manne chinoise ne fait plus florès et cite la récente prise de parole d’un parlementaire de l’opposition sri-lankaise, dont le pays est en proie à une grave crise économique, au sujet des prêts chinois : « Ports, aéroports, stades de crickets, toutes sortes de tours aux airs stupides… que des conneries ».
En témoignent également, plus près de nous, les déboires de la Lituanie après l’ouverture d’un bureau de représentation de Taïwan en novembre 2021 qui avait provoqué l’ire de Pékin, la suspension de licences d’exportation lituaniennes et la saisie de l’OMC par la Commission européenne.
Dans les années à venir, si la Chine n’est plus aussi séduisante qu’elle a pu l’être aux yeux des exportateurs et des investisseurs tricolores, le tarissement de ses financements colossaux sur trois continents dans le cadre des « nouvelles routes de la soie » pourrait créer des opportunités sur les marchés émergents.
Sophie Creusillet