« Il faut faire le pari de
la Chine, car c’est là-bas que vont se décider le sort de la croissance et
l’avenir de la mondialisation », conseille d’emblée le directeur du
Conseil d’analyse économique (CEA) Christian de Boissieu, dans un éditorial
présentant le rapport de Patrick Artus, Jacques Mistral et Valérie Plagnol sur
« l’émergence de la Chine », paru en juin.
Selon les auteurs, « la
Chine est aujourd’hui le premier fournisseur de l’Europe, l’Europe le deuxième
fournisseur de la Chine ». Plus encore, l’ex-Empire du Milieu est le
deuxième importateur mondial de marchandises, derrière les Etats-Unis, avec un
montant de 1 053 milliards d’euros en 2010, d’après Global Trade
Information Services (GTIS),
leader mondial des statistiques du commerce international, partenaire du Moci.
La destination n’est, certes, pas
sans risque. « Dans les pays émergents, l’important est pour les
entreprises de dégager les marges qui correspondent aux risques pris », conseillait
le 22 juin, Thierry Apoteker, président du cabinet de consultants TAC, lors du
2ème Forum Moci sur les risques et opportunités d’investissement.
Sur une échelle de 1 (la meilleure
note) à 90, TAC estime que le risque en Chine est supérieur à 80 pour les
libertés civiles et la transparence, seule l’Arabie Saoudite faisant pire. Le
risque est encore supérieur à 70 s’agissant de la corruption, la Chine, dans ce
domaine, n’étant devancée que par la Russie, le Nigeria et l’Iran. De même, pour
le risque économique et financier, le grand pays asiatique obtient une note de
l’ordre de 60, faisant ainsi à peine mieux que l’Iran, le Nigeria, l’Algérie et
la Russie.
D’un côté, la Chine fait peur. De
l’autre, elle attire. Elle fait peur, en envahissant l’espace mondial. D’après
GTIS, elle est devenue le premier exportateur mondial de marchandises, avec
1 194 milliards d’euros l’an dernier. A l’occasion d’un colloque organisé
par le Réseau d’innovation internationale (R3ilab), le 21 juin, à Bercy, Evelyne
Chaballier, directrice des Études économiques et prospectives de l’Institut
français de la mode (IFM), estimait que les coûts salariaux pourraient y
augmenter de 80 % cette année. L’inflation nourrit les tensions sociales et les revendications salariales. Cette situation ne semble, cependant,
pas devoir remettre en cause l’avantage compétitif de la Chine. En 2010,
constatent les rapporteurs du CAE, les coûts salariaux unitaires y étaient inférieurs
d’au moins 60 % à ceux des États-Unis et de près de 50 % à ceux de la zone euro
et, plus particulièrement, de la France.
En outre, « les entreprises
commencent à délocaliser vers le centre du pays, car la main d’œuvre est
devenue trop chère à l’est, et dans les pays voisins, comme le Vietnam, le
Cambodge ou le Bangladesh », expliquait Jacques Gravereau, président de
HEC Eurasia Institute, centre d’excellence sur l’Asie de l’école des Hautes Études Commerciales (HEC), pendant une conférence sur « le partenariat
textile avec la Chine », organisée le 17 juin, par l’association Business
Fashion Forum (BFF).
Pour le président du pôle
d’expertise d’HEC, « la Chine va rester l’usine du monde, mais avec
plus de valeur ajoutée, car il y a des technologies chinoises qui commencent à
émerger ». C’est vrai dans l’automobile, avec l’avènement de nouveaux
constructeurs ambitieux, mais aussi dans l’aéronautique et l’espace, avec,
notamment, le nouveau gros porteur C 919.
Pour Jacques Gravereau, « le bas de gamme va rester et le haut de gamme va
croître ».
Si la Chine fait peur, elle
attire aussi. D’abord, les entreprises occidentales profitent aussi des
salaires avantageux d’une main d’œuvre locale pour y produire à des fins de
réexportation. Ensuite, le marché chinois est vaste. « Et avec la
corruption, la spéculation et les tontines, il y a beaucoup plus d’argent qu’on
ne croit », assure Jacques Gravereau. Sur une population globale de 1,34
milliard d’habitants, 15 % constitueraient une classe aisée, avec des revenus
de l’ordre de 73 000 dollars par ménage. Le 17 juin dernier, Marion
Delaveine, responsable du développement du cabinet de conseil en stratégie et
création Martine Leherpeur, parlait dans le domaine de la mode vestimentaire
d’un client chinois « complexe », mais aussi « avide de
consommation ».
Après avoir enregistré des taux
de 8,7 % en 2009 et 10,3 % en 2010,
l’économie chinoise devrait encore
croître de 9 % cette année. Pour Christian de Boissieu, « la nouvelle
stratégie de croissance de la Chine vise à passer d’un modèle reposant sur les
exportations à un modèle fondé sur la solidité de la demande intérieure ».
Cette transition, pense le directeur du CAE, est possible avec l’augmentation
des salaires et le développement de la protection sociale.
« Tant qu’il n’y aura pas de
sécurité sociale, de système de retraite, les Chinois continueront à beaucoup
épargner », tempère Jacques Gravereau. C’est pourquoi le président de HEC
Eurasia Institute ne croit pas que la consommation puisse rapidement devenir le
principal facteur du développement économique. Ces dernières années, la
consommation a progressé de 15 % par an et les exportations comme les
investissements de 25 %.
François Pargny