Pour la Chine et la France, 2009 aura été une année mise à profit par les présidents Xi et Macron pour mettre en place un cadre de confiance. Le premier s’est rendu à Paris en mars dernier et le second vient d’effectuer en Chine, du 4 au 6 novembre, sa deuxième visite officielle, après celle de 2018.
« Plus importants que les 15 milliards d’euros de contrats que la France a réalisés dans mon pays, les interconnexions personnelles amicales entre les deux chefs d’État ont été l’acquis principal de cette dernière visite », a ainsi assuré Lu Shaye, l’ambassadeur de la République populaire de Chine en France depuis fin juillet, à l’occasion d’un séminaire du Réseau XChine de la CCI Paris Ile-de-France, le 22 novembre, sur le thème : « La visite du président Macron en Chine. Quelles avancées pour les entreprises tricolores ? ».
« Depuis le déplacement en Chine d’Emmanuel Macron en 2018, les deux présidents se jaugeaient. En mars dernier, le président Xi Jinping a été très bien accueilli à Paris avec son épouse. Il en a été de même lors du dernier voyage pour le couple français, ce qui a permis d’établir la confiance entre les deux hommes », a complété le député de la 9e circonscription de Paris Buon Tan (La République En Marche / LREM), président du groupe d’amitié France Chine à l’Assemblée nationale.
Rapporteur également du budget du Commerce extérieur depuis 2017 et auteur d’un rapport pour avis dans le cadre du PLF 2020 très commenté sur le sujet cette année, celui-ci a participé à la délégation française début novembre.
Foire des importations : l’agroalimentaire français bat pavillon
Lu Shaye voit aussi comme preuve de la bonne entente entre les deux présidents leur présence à l’inauguration de la 2e Foire internationale des importations de Chine (CIIE), le 5 novembre à Shanghai. « Ils se sont rendus ensemble sur le Pavillon France pour déguster du vin et bœuf français », s’est félicité le haut diplomate chinois.
En marge de cette démonstration d’entente cordiale, vingt sociétés françaises ont été agréées pour exporter en Chine des produits à base de volaille, de bœuf, de porc. Deux protocoles d’accord ont aussi été conclus sur l’export de semence porcine et de palmipèdes et foie gras en provenance de l’Hexagone.
« La France a une agriculture de haute qualité, a commenté Lu Shaye lors du séminaire. Les deux pays sont complémentaires, parce que la Chine constitue un grand débouché de 1,4 milliard d’habitants, face à un marché français de seulement 66 millions de personnes ».
Au total, 78 entreprises de l’Hexagone exposaient à la CIIE, du 5 au 10 novembre. Elles auraient ainsi décroché pour 2,4 milliards de dollars d’affaires, un montant en hausse de 56 % par rapport à l’édition de 2018. L’agroalimentaire à lui seul aurait compté pour un milliard de dollars, l’art de vivre pour 600 millions et les équipements pour 500 millions.
Buon Tan a, pour sa part, noté que Xi Jinping et Emmanuel Macron ont assisté ensemble à la signature entre la Chine et l’Union européenne (UE) de l’accord portant sur la protection de 100 identifications géographiques (IGP) de chaque côté. C’est la preuve, selon lui, que la Chine change et veut protéger la propriété intellectuelle. Comme le rappelait le président de la CCI Paris-Ile-de-France, Didier Kling, « le géant asiatique est aujourd’hui la première nation au monde pour le dépôt de brevets devant les États-Unis ».
Le « soft power » de la culture
Il y a, selon Buon Tan, des opportunités à saisir dès maintenant dans « les logiciels, le cinéma, la création… ». Pendant le séjour d’Emmanuel Macron, la troisième antenne à l’étranger du Centre Pompidou, après Malaga et Bruxelles, a été inaugurée à Shanghai.
« Un accord a aussi été conclu avec le Puy du Fou, détenteur d’un savoir-faire dans l’histoire narrative qui intéresse les Chinois », expliquait Louis Houdart, président fondateur de l’agence de communication marketing Creative Capital et directeur Asie de l’agence de communication commerciale Altavia.
Pour ce Français présent en Chine depuis 21 ans, « le temps où on arrivait sur place pour fabriquer pas cher et mauvais est fini. Les consommateurs sont aujourd’hui avisés. Il est donc nécessaire à la Chine d’acquérir des savoir-faire, d’attirer des vraies expertises, ce qui signifie qu’il y a beaucoup à faire ».
Didier Kling a rappelé de son côté que la Chine avait changé en matière de technologie. « On y paie avec son téléphone mobile, alors que nous utilisons encore à la carte de crédit en France. Et la Chine est aussi largement en avance en matière de véhicule électrique, ce qui contribue à la volonté des autorités d’améliorer l’environnement, de réduire la pollution urbaine, et ce qu’elles réussissent à faire ».
Saft : partenaire avec un champion chinois
Durant la visite d’Emmanuel Macron, le français Saft, leader européen des batteries de haute technologie pour l’industrie des transports et de l’énergie filiale de Total, a renforcé sa présence en Chine, avec la création d’une filiale d’accumulateurs électriques avec son partenaire chinois Tianneng Energy Technology (TET).
« La Chine est un acteur incontournable, car il s’agit du premier marché au monde pour les véhicules électriques. C’est un marché aussi pour la production, la technologie, la recherche et développement », a justifié Jean-Baptiste Pernot, Transformation & Operations Excellence Vice president de Saft.
Ce dirigeant a expliqué que, face à ses grands concurrents, « tous chinois, japonais et coréens », Saft avait choisi un partenaire, « pas seulement pour une usine ou une coopération possible », mais parce qu’il disposait « d’une capacité de production avec de la R & D ».
En d’autres termes, « si nous avons de la technologie, notre partenaire aussi ». Et « comme nous voulons exporter des batteries propres, à plus forte densité énergétique et à recharge plus rapide, il faut des capacités de recherche accrus ». C’est « un travail à long terme et en réseau en Chine, avec aussi le réseau mondial de Saft », a ajouté Jean-Baptiste Pernot.
Pour Saft, le marché chinois représente 40 % des besoins dans le monde. Il paraît loin, aujourd’hui, le temps ou Pékin ou Shanghai disparaissait sous un fog (brouillard) épais. L’environnement est devenu une priorité du gouvernement chinois, qui se fait le fervent défenseur, à côté des autorités françaises, de l’Accord de Paris, conclu, le 12 décembre 2015, à l’issue de la 21e conférence internationale sur le climat (Cop 21).
La feuille de route bilatérale
L’environnement et la défense du multilatéralisme sont « deux points de consensus » entre Pékin et Paris, a souligné Lu Shaye. L’ambassadeur de Chine en France a également cité « l’appel de Pékin sur la conservation de la biodiversité et le changement climatique », lancé le 6 novembre par les deux chefs d’État.
La rencontre entre les deux leaders en Chine aura permis aussi de dresser une feuille de route pour les relations sino-françaises. Parmi les grandes lignes, peut être citée la promotion de la coopération dans l’industrie aéronautique et spatiale, la haute technologie et le nucléaire.
Lu Shaye rappelait que les deux capitales avaient pour objectif de finaliser plusieurs grands projets, comme la montée en puissance de la chaîne de montage d’Airbus à Tianjin ; dans le nucléaire, la réalisation d’une usine de retraitement de déchets (contrat de 20 milliards d’euros, attendu pour fin janvier 2020), et de la centrale d’Hinkley Point au Royaume-Uni ; d’autres projets de développement sur les marchés tiers, à l’instar d’une unité de traitement d’eau au Sénégal.
Sans oublier la conclusion d’un accord ambitieux de protection des investissements toujours en négociation avec l’UE.
La feuille de route bilatérale comprend aussi une coopération renforcée dans l’innovation, la promotion de l’initiative Obor (One Belt One Road) et, dans le cadre des échanges culturels, de l’Année du tourisme culturel entre la Chine et la France en 2021. Plus connu sous le nom de « Route(s) de la Soie », Obor a été lancé en 2013 par Xi Jinping, alors que l’Année du tourisme culturel a été décidée au cours du voyage du leader chinois en mars dans l’Hexagone.
Outre cette feuille de route, un plan d’action a été dressé par les deux gouvernements, avec 29 actions réparties entre six domaines : « renforcer le dialogue politique et promouvoir la confiance mutuelle, protéger la planète, promouvoir l’interconnexion (entre l’Europe et l’Asie), promouvoir le commerce bilatéral et les investissements croisés, promouvoir la coopération dans les secteurs structurants et émergents, promouvoir la création culturelle et les échanges humains ».
Coopération pour aborder les pays tiers
Un sujet souvent évoqué durant le séminaire du RéseauXChine aura été l’investissement dans les pays tiers. A cet égard, la SNCF, a réalisé 670 millions d’euros de chiffre d’affaires en Chine en 2018, grâce à ses filiales ( logistique, transports urbains et architecture), ne cache pas ses ambitions.
SNCF Hubs & Connexions, la filiale à l’international de SNCF Gares & Connexions, a signé un protocole d’accord avec son partenaire chinois Aden Services, société de gestion d’installations intégrées basée à Shanghai, et le district de Shuangliu (province du Sichuan) portant sur la réalisation d’études préliminaires pour le développement d’un transit-oriented development (TOD), à l’aéroport de Chengdu.
Avec ce projet d’aménagement urbain, le district de Shuangliu souhaite développer un nouveau quartier avec des commerces, des espaces culturels et des lieux d’exposition. L’ensemble sera connecté à un aéroport et à de multiples réseaux de transports en commun.
La SNCF se projette déjà plus loin. « Nous ne voulons pas seulement aller en région, à Shanghai ou à Shenzhen », a confirmé Fabrice Morenon, directeur général de Hubs & Connexion. L’objectif est clairement de conquérir d’autres marchés en Afrique et en Asie.
François Pargny