Fini la foire d’empoigne entre acheteurs étrangers sur les tarmacs ou devant les entrepôts de Chine autour des palettes de masques anti Covid-19 ? C’est ce que laissent espérer les efforts déployés ces dernières semaines par les services de l’État et la communauté d’affaires française en France et en Chine pour faire émerger une sorte d’Équipe de France de l’import.
Objectif : mettre de l’ordre dans la supply chain de ces précieux produits, dont la Chine demeure le premier producteur et exportateur mondial. Et constituer un réseau de fournisseurs, d’acheteurs et de professionnels du commerce international fiables, vers lesquels orienter les multiples acteurs français, publics et privés, en quête de masques de protection respiratoire (FFP 1 et FFP 2) ou chirurgicaux aux normes CE ou équivalent international.
Le cauchemar d’un marché sans foi ni loi
État, Régions, collectivités locales, établissements de soins publics et privés, professionnels de santé, fédérations, entreprises… La demande en France en masques chirurgicaux et de protection respiratoire reste bien supérieure aux deux milliards d’unités déjà commandées par l’agence nationale Santé Publique France et dont les livraisons s’échelonneront probablement jusqu’au début de l’été.
La pénurie étant mondiale, face à la saturation des usines chinoises produisant aux normes internationales, mises sous contrôle dès janvier par les autorités chinoises, le filon a fait naître bien des appétits chez les industriels et « traders » en tout genre opérant en Chine.
« On parle de centaines d’entreprises qui se sont lancées du jour au lendemain dans la production de masques, de traders de pierres précieuses qui se sont reconvertis du jour au lendemain dans les masques », témoigne Camille Verchery, associé de VVR International, une Société d’accompagnement à l’international (SAI) spécialisée sur la Chine.
« Certains de ces fabricants ou des traders ont acheté de faux certificats CE ou des certificats de complaisance, certains émis par des sociétés de certification basées à Londres ; ces masques se sont retrouvés sur le marché vendus comme des produits certifiés CE, ou mélangés à des lots de masques certifiés CE ».
Ajoutez à cela la compétition acharnée entre acheteurs du monde entiers pour obtenir les lots, dont certaines Régions ont fait les frais, à l’instar de l’Île de France ou du Grand Est, le tableau vire au cauchemar. Celui d’un marché sans foi ni loi, livré à la seule la loi de l’offre et de la demande, mais où la règle du jeu est celle du plus riche, ou du plus malin. « Les quantités demandées explosent, mais les bonnes matières sont rares », résume Camille Echevery.
Les initiatives de la communauté française
Face à ce grand bazar, la communauté française en Chine a commencé à s’organiser. Il y a eu d’abord des initiatives dispersées d’hommes d’affaires français bénévoles, dont des Conseillers du commerce extérieur (CCE), qui ont permis de mettre sur pied des réseaux fiables d’approvisionnement pour répondre aux demandes qui affluaient.
Camille Echevery, qui dispose de 65 personnes en Chine, dont 15 dédiées au sourcing d’EPI, a lui-même rendu service à un ami médecin début mars en lui trouvant des masques sanitaires aux normes CE. «Mais très vite, j’ai eu des demandes d’aide de dizaines de médecins », se souvient-il. Il les a aidés, gratuitement, mais aujourd’hui, il doit songer à faire tourner sa société : VVR propose une solution clé en main, à des prix transparents, référencée par les pouvoirs publics français.
Autre initiative venue des milieux d’affaires, le collectif bénévole Action Support France (ASF). Monté à l’initiative de Matthias Baccino, dirigeant d’entreprise digitale et président de la Fondation Concorde, et son frère Thomas Baccino, responsable de But Logistique Asie à Hong Kong, il a également œuvré pour construire un circuit transparent et fiable d’approvisionnement en masques FFP 1 et 2 et chirurgicaux.
Ils ont été rejoints par Patrick Marie Herbet, fondateur d’Abacare en Chine, ex-cofondateur de la CCI française à Hong-Kong et CCE, Mathieu Ramadier, dirigeant associé d’entreprise digitale, et Émilien Simioni, cadre d’entreprise digitale et membre du conseil scientifique de la fondation Concorde.
Cette petite équipe basée en France et en Chine a réussi à coordonner les demandes qui affluaient d’hôpitaux ou de collectivités, identifier les traders et sourceurs fiables en Chine, organiser les paiements et le transport des cargaisons. En tout, 100 millions de masques ont ainsi pu être commandés, dont 40 millions déjà livrés.
Aujourd’hui, ASF se retire avec le sentiment d’avoir fait œuvre utile. « Nous arrêtons de prendre de nouvelles commandes, nous continuons seulement à suivre les encours », nous confiait Matthias Baccino le 6 avril, alors que Bercy venait d’annoncer une nouvelle initiative (voir plus bas). En revanche, le réseau de traders et sourceurs construit en Chine, lui, va pouvoir continuer à travailler pour la communauté française.
Parallèlement à ces initiatives individuelles, en France comme en Chine, les pouvoirs publics ont entrepris, avec le secteur privé, de mieux organiser ce marché et ces pratiques.
Une « task force » au sein de l’ambassade de France
Une « task force » a été ainsi constituée au sein de l’ambassade de France en Chine, dédiée à l’approvisionnement en équipements médicaux. Elle est animée par Jean-Marc Fenet, ministre conseiller et chef du Service économique régional à Pékin, sous la supervision de l’ambassadeur, Laurent Bili.
Selon Jean-Marc Fenet, qui nous a apporté quelques précisions par mail, elle se compose d’agents du Service économique (industrie, aéronautique, douane…), de Business France (Pékin et Shanghai), de la Chancellerie politique et des consulats à Shanghai et Canton.
« Elle s’occupe particulièrement du sourcing des matériels médicaux à acquérir et facilite, en lien avec les opérateurs, la logistique et l’enlèvement aérien, en priorité bien-sûr des commandes d’État issues de Santé Publique France, mais aussi des commandes des filières industrielles coordonnées par la Direction Générale des Entreprises de Bercy ainsi que de certaines collectivités territoriales ».
Cette « task force » travaille également « en association avec les entreprises du Club Santé Chine et des initiatives privées comme celles d’ASF ou des Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CCEF) et de la Chambre de Commerce et d’Industrie franco-chinoise (CCIFC) », précise encore Jean-Marc Fenet.
Dans ce cadre, Business France a notamment élaboré fin mars une liste de sociétés et de professionnels fiables en matière de sourcing d’équipements médicaux en Chine. C’est sur cette liste que VVR International et ASF sont référencés.
En France, une plateforme pour passer les commandes import
En France, le ministère de l’Économie et des finances, plus particulièrement son secrétariat d’État en charge de l’Industrie et sa Direction générale des entreprises (DGE), a entrepris de coordonner à la fois la relance de la fabrication de gel hydroalcoolique et d’équipements de protection sur le sol français, mais également les approvisionnements des filières industrielles et des entreprises en matières premières et en produits finis, de sources nationales ou importées.
C’est dans ce but qu’elle a notamment apporté son soutien à la création d’une marketplace, stopcovid19.fr. Cette plateforme créée par la société française Mirakl met en relation producteurs et acheteurs. Initialement dédiée au seul gel hydroalcoolique, son champ d’action a été élargi aux EPI, incluant les masques de protection.
Elle donne notamment accès aux services de 150 acheteurs privés référencés et permet de passer commande. L’accès à la plateforme est gratuit mais il faut créer un compte client
Ainsi, petit à petit, une équipe de France de l’import de masques et autres EPI se met en place. Une bonne nouvelle dans la perspective du déconfinement progressif de la France, annoncé pour le 11 mai.
Christine Gilguy
Pour prolonger : lire la nouvelle fiche « Comment importer des masques de protection sans se faire arnaquer ? » publiée ce 16 avril dans notre fil de questions / Réponses du Post Covid-19 Business Club.