Le coronavirus qui paralyse une partie de la Chine n’affecte pas seulement une des principales usines du monde, il plombe aussi le deuxième marché mondial consommateur (1848,6 milliards d’euros d’importations en 2019), derrière les États-Unis mais devant l’Allemagne. Si l’épidémie de Covid-19 se prolongeait, quel serait l’impact sur ses fournisseurs ? Qui sont les pays exportateurs les plus exposés ?
L’ampleur des pertes s’annoncent lourdes au vu des premières évaluations effectuées par Euler Hermes.
G. Dib (EH) : « des pertes d’importations de 94 milliards de dollars fin mars »
« Durant la semaine de shut down de 17 provinces sur les 31 que compte la Chine, entre le 3 et le 9 février, nous avons estimé les pertes d’importations chinoises de biens et services en provenance du monde entier à 26 milliards de dollars par semaine, dont 18 milliards pour les seuls biens », vient ainsi de confier au Moci Georges Dib, économiste chez Euler Hermes (EH) en charge du Commerce international.
EH a dû reprendre ses évaluations, puisque le coronavirus continue depuis son expansion dans le reste du monde et que la reprise qui aurait dû suivre la fin de cette période de quarantaine extrême, qui a coïncidé avec la période des vacances prolongées du nouvel an lunaire, n’a pas été au rendez-vous.
« Après la reprise des activités, explique encore Gorges Dib, ces provinces n’ont pas repris un rythme normal d’activité et celui-ci reste très inférieur à son niveau d’avant crise. C’est pourquoi nous pensons que la perte totale d’importations chinoises pourrait atteindre jusqu’à 94 milliards de dollars pour les biens fin mars, à la fin du premier trimestre ».
Les fournisseurs asiatiques les plus exposés
Qui sont les pays fournisseurs les plus exposés ? Ils sont principalement asiatiques (sans parler de la Province spéciale de Hong-Kong) dans le top 10, avec 5 pays, mais les fournisseurs occidentaux sont également exposés.
Les trois premiers fournisseurs en 2019 étaient ainsi la Corée du Sud, avec 155,09 milliards d’euros (Md EUR) d’achats chinois, devant Taïwan et le Japon, avec, respectivement, 154,5 Md et 153,29 Md EUR, d’après la base de données GTA (groupe IHS Markit), spécialisée dans le commerce international.
La Corée du Sud, Taïwan et le Japon ont comme point commun de livrer les mêmes types de produits à la Chine : matériel électrique, produits de la mécanique et optique – + automobile pour le Japon.
Viennent ensuite en quatrième position les États-Unis, avec 109,3 milliards d’euros en 2019, le pays de l’Oncle Sam vendant au géant asiatique la même gamme de produits que le Japon.
L’Australie est cinquième avec 106,8 Md EUR et l’Allemagne sixième avec 93,8 Md EUR. Le Brésil (70,7 Md), la Malaisie (64 Md), le Vietnam (57,3 Md) et la Russie (53,8 Md) complètent ce top 10.
Pékin, dont les importations en provenance d’Australie ont augmenté de 22,6 % en 2019, a acquis auprès de Canberra des minerais et des hydrocarbures. L’Allemagne lui a fourni des biens d’équipements et produits industriels (mécanique, automobile, matériel électrique, optique) et le Brésil des produits de base (mines, graines-oléagineux, hydrocarbures).
La Malaisie et le Vietnam livrent principalement du matériel électrique, et ont bénéficié de hausses sensibles des importations chinoises, respectivement + 19,1 % et + 24,34 %. A cet égard, dans un sondage récent dans la zone Asie-Pacifique (hors Chine), les conseillers du commerce extérieur (CCE) estimaient que les entreprises françaises de la région pourraient diversifier leurs sources d’approvisionnement au profit du Vietnam.
L’enjeu pour la France, bien qu’au 16e rang des pays fournisseurs de la Chine, est loin d’être négligeable : les importations chinoises en provenance de l’Hexagone ont atteint un montant de 29 Md EUR, en hausse de 6 % l’an dernier. On comprend l’inquiétude des milieux d’affaires français installés sur place.
90 % des entreprises actives en Chine touchées
Sur l’état de l’économie chinoise réelle dans le contexte de l’épidémie Covid-19, l’étude « Impact du coronavirus sur les entreprises » publié le 5 février (voir le fichier attaché à cet article) par Dun & Bradstreet donne un éclairage édifiant.
Ainsi, selon cette étude, les fermetures imposées par le gouvernement chinois dans 19 provinces «ont entraîné de graves répercussions sur l’économie chinoise, affectant également les entreprises mondiales avec des activités et des fournisseurs dans la région ».
Selon le spécialiste américain de l’information financière sur les entreprises, 90 % de celles actives en Chine sont touchées, dont environ 50 000 succursales et filiales de sociétés étrangères, et 80 % sont dans les provinces concernées dans les services personnels et commerciaux, la vente de gros, la fabrication, le commerce de détail et les services financiers.
Quid des engagements chinois dans le cadre de la « trêve » ?
Dun & Bradstreet, qui se montre prudent, jugeant « les liens complexes avec le réseau commercial mondial », évoque néanmoins, dans son étude un « effet en cascade qui pourrait freiner d’environ un point de pourcentage la croissance du PIB mondial, si l’endiguement est reporté au-delà de l’été 2020 ».
S’agissant du géant asiatique, la compagnie américaine de données avance deux scenarii.
–Premier scénario, la planète parvient à l’endiguement d’ici l’été et alors le PIB recule de deux points de pourcentage en Chine (de trois au Hubei, épicentre de la crise sanitaire).
–Deuxième scénario, l’activité s’effondre parce qu’aucun vaccin n’est découvert. Dans ce cas, le PIB perd trois points de pourcentage dans le pays (quatre dans le Hubei).
Une chose est certaine : la reprise de la demande chinoise mettra du temps.
Reste une dernière question. En 2019, les achats de la Chine aux États-Unis ont chuté de 15,82 % sur fonds de guerre commerciale. L’année 2020 devait être l’année d’une forte reprise dans le cadre de l’accord de ‘phase 1’ signé entre Washington et Pékin le 15 janvier dernier pour instaurer une trêve dans la guerre commerciale. Cet accord prévoyait une très forte augmentation des achats chinois : que se passera-t-il si la Chine est incapable d’honorer ses engagements à la suite du coup de frein lié au coronavirus ?
La reprise d’un bras de fer entre les deux premières économies mondiales ne peut être totalement exclue…
François Pargny et Christine Gilguy