En Chine, la conjoncture économique s’annonce difficile. Les objectifs du président Xi Jinping, en raison de l’épidémie de coronavirus, pourraient ne pas être atteints. A savoir l’éradication totale de la pauvreté absolue d’ici 2020 et le doublement en dix ans du revenu par habitant depuis 2010.
« Pour un parvenir, il faudrait une croissance annuelle de 5,7 %. Or, le FMI prévoit désormais moins de 5 % », pointait Alicia Garcia Herrero, cheffe économiste Asie-Pacifique de Natixis, lors du colloque Risques pays Coface 2020, organisé, le 4 février, au Carrousel du Louvre. Une prévision partagée par de nombreux autres observateurs.
A. Garcia Herrero (Natixis) : « le plus dangereux », c’est « la crise de confiance »
Pour cette économiste espagnole, basée à Hong Kong, « le plus dangereux n’est pas tant la crise économique que la crise de confiance qui risque de se diffuser dans la région ».
C’est pourquoi elle s’attend à l’annonce « d’un plan de relance gigantesque », ce qui pourrait, néanmoins, se révéler dangereux dans la mesure où le pays est très endetté.
D’après Coface, l’endettement total, essentiellement du fait d’entreprises publiques en surcapacité, représente 260 % du produit intérieur brut (PIB). Certes, le risque peut apparaître moins élevé en Chine qu’en Afrique du Sud et au Mexique, où la dette est concentrée entre les mains d’une seule compagnie publique (réciproquement Eskom/électricité et Pemex/hydrocabures).
De fait, « en Chine, il est réparti sur une multitude de sociétés, alors qu’en Afrique du Sud et au Mexique, c’est un risque systémique », constatait Julien Marcilly, chef économiste de Coface.
Pour autant, il faut y ajouter la dette des administrations locales et des ménages. Les gouvernements locaux dépensent 120 % de ce qu’ils recueillent sous forme de taxes et donc continuent à s’endetter.
Quant aux ménages, « le poids des prêts immobiliers dans leurs revenus moyens représente 80 à 90 %, car l’immobilier est très cher en Chine. Ce qui signifie qu’il ne reste pas grand-chose pour la consommation », affirmait Agatha Kratz, directrice associée de la société de conseil et d’analyse Rhodium, spécialisée notamment sur la Chine.
Deux catégories de consommateurs
« C’est vrai que l’endettement est devenu un problème majeur », convenait André Chieng, vice-président du Comité France-Chine et président d’Asiatique Européenne de Commerce (AEC), en écho aux propos d’Alicia Garcia Herrero.
En revanche, faisait-il remarquer, « un plan de relance avait déjà été évoqué l’an dernier en pleine guerre commerciale avec les Etats-Unis. Finalement, il n’est pas sorti, parce que son effet pourrait être contraire aux espoirs en faisant chuter l’économie »
Quant à la consommation, André Chieng tempérait aussi les propos d’Agatha Kratz, en rappelant qu’il n’y a pas un consommateur moyen en Chine, mais plusieurs. Ainsi, différenciait-il deux types de consommateurs : selon l’âge et selon la localisation.
Dans la première catégorie, les personnes les plus âgées aux habitudes de frugalité gagnent en importance en raison du vieillissement rapide de la population en général.
Cependant, à côté, toute une frange, jeune, a tendance à consommer. Ce sont les Milléniums, souvent enfants uniques, qui ont évolué jusqu’à présent dans une société prospère.
Dans la seconde catégorie, les achats varient en fonction du milieu urbain et des territoires. En l’occurrence, en 2019, la consommation aurait progressé plus vite dans les petites que dans les grandes villes.
De même, comme la croissance des revenus aurait été supérieure dans les campagnes, l’essentiel de la croissance de la consommation proviendrait des zones rurales et des petites villes, notamment parce que les plus pauvres ont une propension plus grande à dépenser quand ils disposent de liquidités.
A. Kratz (Rhodium) : « les banques pas en aussi bon état pour agir »
Point de départ du coronavirus en décembre 2019, la province de Hubei est la première à voir sa consommation en berne au moment du Nouvel an lunaire. Sans compter les dégâts sur la construction et l’industrie manufacturière, « avec des sociétés arrêtées ou perdant des emplois », soulignait Agatha Kratz.
A moyen et long terme, l’État pourrait demander au secteur financier de soutenir l’activité. Or, selon elle, « les banques ne sont pas en aussi bon état pour agir ».
En outre, avec le coronavirus, Pékin est sous pression des autres capitales, notamment de Washington, en dépit de la trêve récente qui a été conclue dans la guerre commerciale. « En 2019, les Chinois ont découvert qu’ils n’étaient plus populaires dans le monde, à commencer par les États-Unis », indiquait André Chieng.
La conséquence serait double : les étudiants chinois ne veulent plus toujours étudier aux États-Un et les entreprises ne voient plus son vaste marché comme un eldorado à prospecter.
Parallèlement, le tissu des entreprises chinoises découvrirait les autres continents, notamment l’Afrique. Selon André Chieng, la Chine, étant une combinaison d’une économie développée et d’une économie sous-développée, serait particulièrement bien placée pour répondre aux besoins et aspirations de l’Afrique.
L’e-commerce, un mode de distribution très répandu sur son marché domestique, peut aussi être facilement utilisé en Afrique.
A. Chieng (Comité France-Chine) : « une statue en l’honneur de Donald Trump »
Pour André Chieng, qui n’hésite pas à manier l’humour à l’occasion, « dans quelques années, les Chinois pourront élever une statue en l’honneur de Donald Trump, car c’est lui qui oblige la Chine à se déployer hors de ses murs ».
Ce d’autant plus facilement, ajoutait-il, que « si le président avait décrété un taux de droits douane de 40 %, il aurait pu tuer la Chine. Mais avec seulement 15 % c’est supportable ». Selon lui, un tel taux « va stimuler l’économie de la Chine, et les industries les plus fortes vont finalement gagner en productivité dans l’avenir ».
De toute évidence, Alicia Garcia Herrero ne partage pas l’optimisme d’André Chieng. « Je suis sceptique », n’a pas caché l’économiste de Natixis pour qui « ce n’est pas seulement Trump qui changera la Chine, c’est la Chine qui doit se changer ».
De façon concrète, pour elle, il faudrait des « réformes réelles du modèle économique ». Un modèle aujourd’hui étatique et centralisé, favorisant l’endettement et les surcapacités.
Pour l’instant, l’impression qui domine est que le gouvernement a préféré encourager la croissance de l’économie plutôt que de mener des réformes. Un choix stratégique qui pourrait se révéler dévastateur si la croissance s’érodait durablement.
François Pargny