Le statut d’agent commercial est encadré par une directive européenne dont les dispositions ont été transposées dans chaque état membre. Lorsqu’il y a rupture de contrat, ces dispositions s’appliquent. Mais il faut tenir compte de la jurisprudence. Conseils d’experts.
Recourir à un agent commercial installé dans le pays dont une entreprise exportatrice française veut conquérir le marché, est un mode de distribution très utilisé. Dans l’Union européenne, le statut de l’agent commercial est clairement défini par la directive n° 86/653/CEE du 18 décembre 1986 transposée dans chaque État membre. Ces dispositions nationales sont souvent d’ordre public, ce qui renforce la protection de l’agent. Le contrat ne peut y déroger.
L’une de ces dispositions est le droit à une indemnité compensatrice destinée à réparer le préjudice subi par l’agent commercial en cas de cessation de ses relations avec son mandant, c’est-à-dire l’exportateur. Si cet exportateur veut mettre fin à la relation établie avec son agent commercial étranger, le respect de deux principes s’impose : un délai de préavis suffisant et une indemnité compensatrice. Celle-ci n’est toutefois pas due à l’agent en cas de faute grave de ce dernier.
Une grande partie du contentieux concernant les contrats d’agent porte sur la preuve d’une faute grave de l’agent afin, pour l’exportateur, d’éviter de devoir lui verser une indemnité compensatrice. Pour faciliter la preuve de cette faute, certains réflexes s’imposent lors de la rédaction du contrat, de son exécution ainsi que de sa rupture.
La définition délicate de la faute grave
Elle n’est pas fixée par les textes, mais est prévue largement par la jurisprudence française comme étant celle qui porte atteinte à la finalité d’un mandat d’intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel. Ce sont les juges qui apprécient la faute grave au cas par cas. Il est donc impossible pour les parties de définir dans le contrat ce qui est constitutif d’une faute grave. Cette faute est pourtant l’un des rares moyens d’écarter le droit de l’agent à l’indemnité compensatrice de fin de contrat. Il est donc essentiel de délimiter les contours de cette notion en partant des obligations pesant sur l’agent.
• L’immatriculation de l’agent n’est pas une condition de validité du contrat d’agent. Son absence ne peut constituer à elle seule une faute grave de l’agent sauf si elle est une condition de formation du contrat. L’exportateur devra alors prouver que cette absence a une incidence sur les rapports existant entre lui et son agent.
• Le non-respect par l’agent d’une clause d’objectifs ne peut suffire à fonder la faute grave. à été jugé que seul le non-respect d’une clause d’objectifs résultant d’un manque d’activité notoire et fautif démontré de l’agent commercial est constitutif d’une faute grave, ou l’absence totale de résultats commerciaux pendant une longue période résultant d’une absence de prospection. Concernant l’obligation d’information, une cessation de prospection et l’absence de contacts avec l’exportateur pendant plusieurs mois constituent une faute grave. Ce n’est pas le cas si pendant l’exécution du contrat, l’agent a envoyé à l’exportateur des rapports d’activités et la liste des visites qu’il prévoyait de réaliser.
• Le manquement caractérisé à l’obligation de loyauté de l’agent constitue une faute grave justifiant le non-versement de l’indemnité de rupture. Ne caractérisent pas un tel manquement la baisse de résultats intervenue dans une période de crise immobilière généralisée qui n’a pas suscité de reproches et ne pouvait être considérée comme révélant une inactivité témoignant d’un défaut de loyauté, ni le fait que l’agent n’ait pas tenu informé son mandant de simples pourparlers préparatoires à une cession de contrat qui ne s’est finalement pas réalisée.
Toutefois, constituent un tel manquement, et donc des fautes graves, le fait pour l’agent de ne pas informer l’exportateur de l’exercice d’une activité similaire au profit d’un concurrent, ou de ne pas atteindre les quotas convenus car l’agent privilégiait les produits de fabricants concurrents au détriment de ceux de l’exportateur, ou encore l’absence d’exécution du contrat en bon professionnel en négligeant de prospecter la clientèle de territoires pour lesquels l’agent possédait l’exclusivité.
• La décision d’un agent de créer une activité concurrente sans l’accord préalable de l’exportateur ne caractérise pas systématiquement une faute grave. Cela dépend des conséquences économiques de cette décision.
Enfin le caractère répété et l’accumulation des manquements successifs et renouvelés de l’agent interviennent également dans l’analyse.
La faute grave, souvent invoquée, est difficilement reconnue par les juridictions. Par conséquent, l’exportateur doit prendre certaines précautions aux différents stades de la vie du contrat d’agent.
Les précautions à prendre
• Au moment de la rédaction du contrat, les clauses telles que la clause d’objectifs ou celle définissant les missions de l’agent doivent être rédigées de façon claire, réaliste et non ambiguë. S’agissant de la définition même de la notion de faute grave, la marge de manœuvre est très limitée pour les parties car elle est soumise à l’appréciation souveraine des juges. Pour autant, il est possible pour les parties de dresser une liste des comportements spécifiques à l’activité qualifiés de faute grave, afin de montrer aux juges quelle était la volonté des parties et de guider son interprétation du contrat.
• Pendant l’exécution du contrat, il est primordial pour l’exportateur de se constituer des preuves des manquements de l’agent. À cette fin, il faut instaurer dès le début de la relation un suivi régulier de son activité, appliquer rigoureusement la clause lui imposant une obligation d’information, et opter pour les échanges d’informations sous forme écrite (y compris par fax ou mails) afin d’en garder une trace. Il est également conseillé de tenir au moins une à deux réunions par an pour faire le point, avec un ordre du jour et un compte rendu écrits faisant apparaître les problèmes survenus et les solutions retenues.
Enfin, il est important de signaler à l’agent ses défaillances au fur et à mesure et de ne pas attendre la rupture pour le faire. Sinon, le silence de l’exportateur est interprété comme une tolérance de sa part face aux manquements de l’agent, empêchant de caractériser la faute grave.
• Lors de la rupture du contrat d’agent, plusieurs pièges sont à éviter. L’agent dispose d’un délai d’un an à compter de la cessation du contrat pour obtenir réparation du préjudice subi du fait d’une rupture de son contrat. Au-delà de ce délai, l’indemnité ne lui est plus due.
Lorsque l’agent invoque son droit à réparation dans le délai, la charge de la preuve de la gravité de la faute commise par l’agent incombe à l’exportateur qui l’invoque. S’agissant de la notification de la rupture, la lettre de résiliation doit donc être très minutieusement rédigée et ne pas se contenter de lister les manquements de l’agent.
Il est essentiel de faire figurer dans la lettre une motivation substantielle des conséquences des manquements de l’agent et un rappel des avertissements formulés antérieurement, ainsi que de mentionner tous les motifs de la rupture.
En France, les juges peuvent tenir compte de faits postérieurs à la résiliation du contrat pour caractériser la faute grave. Mais la Cour de Justice de l’Union européenne considère que seuls les faits antérieurs à la résiliation peuvent servir à qualifier la faute grave.
Enfin, la faute de l’exportateur « annulant » celle de l’agent commercial, il est important que, même au moment de la rupture et du préavis, l’exportateur respecte l’intégralité du contrat en cours. À défaut, ce dernier est tenu au paiement des indemnités légales dues à l’agent, et ce même en cas d’une faute grave de ce dernier.
En conclusion
La rupture pour faute du contrat d’agent commercial doit être traitée et gérée avec un souci du formalisme quasi-identique à celui d’un licenciement pour faute. Il est conseillé et fortement souhaitable d’avertir par écrit l’agent en cas de faute, de le convoquer pour tenter de remédier aux problèmes et de rédiger minutieusement la lettre de résiliation précisant le préavis.
La solution consistant à placer le contrat sous l’égide d’un droit moins protecteur pour l’agent que celui résultant de la directive n° 86/653/CEE peut être tentante pour l’exportateur français, mais le risque est réel que ce droit soit écarté par le juge au profit des dispositions impératives d’ordre public applicables dans son pays.
Véronique Le Meur-Baudry (Avocate, associée),
Lucia Pereira (Avocate, collaboratrice), avec la participation de Ana Filipa Da Rocha Luis (Avocat stagiaire) du cabinet Armand Associés