Pour être difficile d’accès, le marché indien n’est pas pour autant impossible. Et la plupart des entreprises françaises qui ont franchi le pas, certes en y mettant le temps, ne le regrettent pas. Comment ont-elles fait ? Chacune a son histoire.
S’adapter, prendre le temps : tels sont les maîtres mots pour avoir une chance de réussir en Inde. « Les Indiens ne vous attendent pas ! », rappelle avec fermeté Johann Sponar, CEO du groupe français Salveo et fondateur de la filiale Salveo India (ex-Invindis). Cette société de consultants s’est implantée en 2004 à New Delhi afin de répondre à la demande des entreprises tricolores. « Tout d’abord, le marché demande une vraie présence locale, il faut rassurer le client indien. La concurrence étrangère est très forte et il faut à tout prix éviter d’avoir une attitude de conquérant, penser que sous prétexte qu’on est innovant et Français, les contrats vont abonder », indique cet expert du marché indien. Il donne l’exemple de la société Heckel Sécurité, basée en Alsace, fabricant de chaussures de sécurité pour milieux extrêmes. Elle a décidé en 2007 de prendre l’Inde comme cibles. « Lors de son voyage, le directeur de la société a parlé de proposer des solutions techniques, pas des chaussures !
Et cela a marché, explique Johann Sponar. Les Indiens veulent construire un business commun, et non être considérés juste comme des cibles de ventes. » Autre problème majeur, la difficulté d’apprécier le marché réel : « Le manque de transparence du marché est crucial du fait de l’importance du secteur informel. Il est donc compliqué de réaliser des projections chiffrées en termes de vente, de développement. Nous en sommes, dans la plupart de secteurs, aux prémices du passage à une économie plus organisée », explique Germain Araud, responsable en Inde pour la société Altios. Cette dernière est installée depuis 2005 à New Delhi, où elle accompagne 30 entreprises et en héberge neuf.
« En outre, l’erreur qui est souvent faite est de considérer l’Inde comme un marché de volumes et d’oublier la difficulté d’accès au marché, en particulier dans les activités nécessitant un réseau de distribution », analyse Yves Jassaud, CEO de la division Lubrifiants pour Total Oil Indian Pvt.Ltd. Les expatriés tout comme les spécialistes rappellent que l’Inde n’est pas la Chine et que « faire un copier-coller de son business model chinois en Inde est une grossière erreur ».
La problématique du recrutement est un autre point important. Altios, comme Salveo India, proposent ainsi des services de portage salarial, voire font office de recruteurs pour les PME-PMI. Le turnover est tel qu’il faut savoir mettre en œuvre des politiques de ressources humaines adaptées. Jacques Michel, chief executive et manager pour la région Inde chez BNP Paribas, analyse : « En plus d’une bonne politique salariale, nous estimons qu’une vraie considération, une attention aux besoins de nos employés indiens peut changer la donne. Cela peut se traduire par de petits gestes, sur la protection sociale par exemple, ou sur les opportunités de mobilité, mais qui leur donneront envie de rester. » Germain Araud conseille surtout de ne pas sous-estimer les collaborateurs indiens : « Les cadres dirigeants en Inde sont au niveau des salaires européens. Beaucoup d’Indiens de 30 à 60 ans ont une expérience à l’international ou dans des sociétés étrangères. Ils savent de plus en plus ce qu’ils valent ! »
L’interculturel ne doit pas non plus être négligé. Yves Jassaud indique avoir bénéficié d’une formation, à Paris, dispensée par un consultant français spécialiste de l’Inde. Car ce pays-continent est fédéral, avec de nombreux particularismes locaux. « Bien souvent, face à nos interlocuteurs européens, j’illustre le type de difficulté que l’on rencontre pour déployer un produit en Inde en faisant l’analogie d’un déploiement simultané dans les 27 pays européens. L’exemple récent de notre communication publicitaire est très parlante à cet égard. Il faut prendre en compte les langues et la multiplicité des chaînes de télévision pour toucher les consommateurs », rappelle Yves Jassaud.
Cléa Chakraverty