On s’y attendait, malgré quelques modifications à la marge, l’État maintient pour 2021 une très large ouverture de sa politique de financement export (PFE)* pour soutenir les exportateurs, malgré une dégradation attendue des risques pays dans les pays émergents et en développement, selon la carte de la PFE 2021 qui a été dévoilée lors d’un atelier de l’événement annuel Bercy France Export, le 2 février, sous format digital.
Julika Courtade-Gross, cheffe du bureau Crédit-export et garanties à l’international à la Direction générale du trésor (DG Trésor), a convenu lors de cet atelier que l’élaboration de la carte 2021 de la politique de financement export (PFE)* de la France a été « un exercice difficile » tant il a été parfois compliqué de trouver « un équilibre » entre le souci de ne pas pousser au surendettement des pays émergents clients et la volonté de maintenir un soutien large aux exportateurs dans le contexte de crise sanitaire mondiale.
46 pays ont déjà demandé une suspension du service de leur dette
De nombreux pays émergents et en développement, déjà fragilisés par la chute de la demande mondiale d’un certain nombre de matière premières, ont été touchés de plein fouet par les retombées économiques négatives de la pandémie de Covid-19, notamment la chute des commandes et des prix. Leur endettement public est monté en flèche, de même que le risque de défaut souverain.
Selon Schwan Badirou Gafari, secrétaire général du Club de Paris, quelque 46 pays (sur un total de 73 éligibles) ont eu recours l’an dernier à la facilité DSSI mise en place sous l’égide du FMI, qui permet une suspension temporaire du service de leur dette aux créanciers publics. Signe des temps, la Chine a accepté d’y participer.
Le montant total des échéances concernées atteint 7,7 milliards EUR, dont 2,5 Md aux pays membres du club de Paris. Et le DSSI a été prolongé de six mois. Le site Internet du Club de Paris (https://clubdeparis.org/fr) livre la liste des pays concernés.
Le choc de la Covid-19 a été brutal.
De grands groupes en quête de solutions financières pour boucler leurs opérations à l’export dans les pays émergents et en développement, qui n’avaient plus recours aux garanties d’État, auraient même frappé plus nombreux à la porte de Bercy face à la montée en flèche de la frilosité des banques et des marchés financiers. Comme après la crise financière de 2008, « l’État veut jouer son rôle contracyclique », a souligné Julika Courtade-Gross.
Une carte de la PFE 2021 largement ouverte
Dans ce contexte, la carte de la PFE 2021, qui donne une indication du degré d’ouverture et des capacités d’assurance-crédit de l’État sur des projets financés par les gouvernements de ces pays, et que l’on peut consulter sur le site de la DG Trésor, a malgré tout assez peu varié par rapport à celle de 2020, avec peu de rouge (pays totalement fermés), et surtout des nuances de vert et du jaune.
Julia Courtade-Gross a usé de pédagogie pour rappeler la signification de chaque couleur et donner quelques détails sur les conditionnalités appliquées lors de l’examen du dossier de demande, qu’il s’agisse des prêts du Trésor ou de l’assurance-crédit.
-Le vert franc signifie que le pays est ouvert sans condition.
-Le vert plus clair signifie que le pays est ouvert mais « avec vigilance », impliquant plus fréquemment une validation au cas par cas du ministre de l’Économie, des finances et de la relance.
-Le jaune indique que le pays est ouvert mais sous condition.
-Le rouge indique les pays où aucune prise en garantie et aucun financement n’est possible.
Six conditions peuvent être imposées, au cas par cas, selon les pays :
-ouvert à acheteurs souverains (souverains ou publics avec garantie souveraine) ;
-ouvert aux acheteurs non souverains (privé ou public, sans garantie souveraine) ;
-ouvert à tous acheteurs mais avec des restrictions sectorielles (nouvelle condition qui oblige à ce que le projet concerne la santé, l’eau, l’assainissement), une nouveauté ;
-ouvert à acheteur souverain mais uniquement si cofinancement multilatéral ;
-ouvert à tous acheteur si cofinancement multilatéral ;
-ouvert à tous acheteur si neutralisation du risque pays (uniquement pour l’assurance-crédit, il faut alors passer par des montages évitant le risque de non-transfert, par exemple en passant par une banque offshore ou en fournissant une garantie inconditionnelle émise dans un pays tiers).
Restrictions pour douze pays, assouplissement pour deux pays
Pour 2021, quelques évolutions sont à noter :
– Des restrictions sur neuf pays passés de la catégorie verte (ouverte sans condition) à vert clair (ouverte avec vigilance) dont Burkina Faso, Ghana, Kenya, Sénégal, Tunisie, Turquie… Au total, 22 pays sont désormais dans cette catégorie (outre ceux déjà cités, Biélorussie, Bolivie, Bosnie-Herzégovine, Cameroun, Costa Rica, Égypte, Equateur, Gabon, Irak, Mauritanie, Mongolie, Pakistan, Turkménistan, Ukraine)
–Des restrictions sur trois pays classés en jaune (ouvert sous condition) : Angola, Sri Lanka (application des restrictions sectorielles) ; Zambie (tous acheteur si neutralisation du risque pays).
–Des assouplissements sur deux pays : Mauritanie (passé du jaune au vert clair, soit ouvert avec vigilance) et République démocratique du Congo (ouverture si cofinancement multilatéral, la neutralisation du risque pays n’est plus exigée).
Aucun nouveau pays n’est venu enrichir la liste des pays « fermés » en rouge sur la carte, souvent des pays en proies à de l’instabilité politique chronique ou sous embargo de la communauté internationale, au nombre de onze : Afghanistan, Corée du Nord, Erythrée, Nicaragua, Soudan, Soudan du Sud, Syrie, Somalie, Venezuela, Yémen, Zimbabwe.
Un processus d’instruction strict
Malgré le volontarisme de l’État, toutes les demandes continueront à suivre un processus strict d’instruction, en fonction des capacités disponibles sur chaque pays et du risque pays, avec un examen au cas par cas systématique.
Pour l’assurance-crédit, le projet est instruit par Bpifrance assurance export puis, si elle émet un avis favorable à la DG Trésor, il sera examiné par cette dernière avant d’être soumis à l’examen du comité interministériel des garanties (ou sont représentés le Budget et le Trésor, le ministère des Affaires étrangères et parfois le ministère de la Transition écologique) qui se réunit tous les quinze jours. En cas d’hésitation, c’est le ministre lui-même qui tranche.
Aucun délai précis n’a été donné pour l ‘instruction des dossiers : « Pour les prêts du Trésor, il faut un accord intergouvernemental » a rappelé Julika Courtade-Gross, et cela peut mettre du temps. Mais pour l’assurance-crédit, « nous nous fixons des délais ambitieux » a-t-elle assurée, l’objectif étant « d’instruire les dossiers le plus rapidement possible ».
Christine Gilguy
*C’est le nouveau nom donnée par Bercy à l’anciennne PAC (Politique d’assurance-crédit).