Depuis la signature, le 31 octobre, de l’Accord économique et commercial global (AECG / CETA en anglais), le processus de ratification est engagé au Canada et dans l’Union européenne (en ce qui concerne l’UE, auprès du Parlement européen et des parlements nationaux)*. La Lettre confidentielle (LC) va vous livrer dans trois éditions successives, les secrets d’un traité considéré par la Commission européenne comme « le plus ambitieux du monde » dans trois « Focus’ spéciaux ». Le Focus n° 1, dès aujourd’hui, est consacré aux raisons et aux grands principes de cet accord majeur. Dans l’édition du 22 décembre, le Focus n° 2 dévoilera les mesures techniques et sectorielles, avec un accent mis sur de réelles opportunités pour les entreprises françaises. Enfin, à la rentrée, le 5 janvier 2017, dans un Focus n° 3, la LC ouvrira une fenêtre sur la politique commerciale de l’UE en Asie, d’une part, parce que l’accord de libre-échange signé en 2011 avec la Corée du Sud est souvent mis en avant par Bruxelles pour justifier le traité conclu avec Ottawa, d’autre part, parce que, de fait, l’UE est offensive dans la principale zone émergente, l’Asie.
Oublié le traumatisme causé par le Parlement wallon et le ministre-président de la Région Paul Magnette… Enfin pas tout à fait, mais, le 14 décembre à Paris, dans les locaux de Business France, c’est à peine si cet épisode douloureux pour le Canada et l’Union européenne (UE) sur la voie de l’Accord économique et commercial global (AECG), ou CETA, a été évoqué.
Il s’agissait plutôt devant les entreprises tricolores, tant du côté français et canadien que de la Commission européenne, d’afficher une vision et un destin communs entre cousins d’Amérique et d’Europe. D’ailleurs, l’acronyme anglais CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) était banni et on ne parlait que de l’AECG, francophonie oblige dans la capitale de l’Hexagone. Ce qui était souligné était plutôt la proximité culturelle avec la France bien évidemment, mais aussi l’ensemble du Vieux continent.
Un fort soutien de tout le Canada
Pour autant, on était bien là pour parler d’économie, d’intérêts économiques, d’avantages économiques. Et invité à intervenir le premier, l’ambassadeur du Canada à Paris Lawrence Cannon, ancien ministre du Québec (Tourisme puis Communications de 1988 à 1994)) et du Canada (Transports puis Affaires étrangères de 2006à 2011) a expliqué que son pays à « l’économie intégrée à celle de l’Amérique du Nord » avait déjà conclu « des traités de libre-échange avec des pays représentant 55 % du produit intérieur brut (PIB) de la nation ».
Alors, effaçant d’un trait « les péripéties belges », l’AECG est pour nous « un tournant », a affirmé ensuite Caroline Charrette, directrice au Secrétariat de cet accord bilatéral, à Ottawa. Le Canada est « une nation commerçante, un pays de matières premières qui a déjà des accords de libre-échange (ALE) dans 14 pays », a rappelé cette ancienne ministre conseiller pour les Affaires économiques et commerciales à l’ambassade du Canada à Paris (septembre 2013-août 2016). Dans son pays, 60 % du PIB est lié à l’import-export, un emploi sur six est fourni par l’export et les salaires y sont en moyenne 14 % supérieurs dans les sociétés exportatrices.
Pour faire comprendre le fort soutien de tout le Canada à cet accord pour lequel les Provinces ont été consultées et associées, Caroline Charrette a expliqué que l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), entré en vigueur il y a une vingtaine d’années avec le Mexique et les États-Unis, avait procuré « plus de bénéfices que ce qui était attendu », avec un commerce ayant bondi de 319 milliards de dollars canadiens en 2013 à 886 milliards en 2015 (1 euro = 1,39 Cad) et un stock d’investissements de 158 milliards à 836 milliards de Cad.
L’UE a l’agenda le plus ambitieux en matière de libre-échange
Côté européen, outre les avantages techniques et sectoriels que la Lettre confidentielle présentera en détail dans sa prochaine livraison jeudi 22 décembre, on a fait valoir les ambitions de la première puissance commerciale de la planète. L’AECG est l’accord « le plus ambitieux » de l’Union européenne, puisqu’il comporte en plus un volet protection de l’investissement, et l’UE « a l’agenda le plus ambitieux du monde », a encore assuré Édouard Bourcieu, représentant de la Commission européenne à Paris pour les questions commerciales.
Évoquant le traité trans-pacifique (TTP), signé mais pas ratifié par les États-Unis et dont ne veut pas le futur président Donald Trump, Édouard Bourcieu a indiqué que l’Union européenne avait « déjà signé avec six des douze membres du TTP (Mexique – par ailleurs en cours de modernisation – Chili – qui sera bientôt revisité et modernisé également – Pérou, Canada, Vietnam, Singapour) », que des accords étaient « en négociation avec trois autres (États-Unis, Malaisie, Japon, proche de la conclusion) », que des négociations étaient également « à venir avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande » et que « la seule exception était donc Brunei avec lequel nous n’avons pas de perspective immédiate ».
Dans les dix ans, la Commission européenne estime que la part du commerce de biens et de services de l’UE avec des pays liés par des ALE pourrait passer d’un quart aux deux tiers.
Un texte d’interprétation du traité pour rassurer
Selon Édouard Bourcieu, la fronde anti-accord de la Wallonie, qui en a bloqué ainsi un temps la signature et retardé la ratification, « va bien au-delà » de l’AECG et reflète « des inquiétudes » plus générales, concernant « les implications sociales » des traités, « leur caractère démocratique et leurs implications sociétales, comme la protection alimentaire et la préservation du service public ». D’où l’adoption de ce qu’on appelle en jargon européen « un instrument interprétatif », qui est, en fait, « une déclaration commune, qui devrait nous inspirer pour les futurs accords », estime le représentant de la Commission européenne.
Ce texte, négocié avec les gouvernements belges, apporte un certain nombre de garanties, énonçant quelques grands principes intangibles comme le droit des États de réglementer, leur liberté d’organiser leurs services publics, des engagements en matière de développement durable et de protection du travail.
« En matière sociale et environnementale, nous avons l’ambition d’établir des règles. Certains pays ne tiennent pas compte de l’évolution du monde et ne respectent pas les règles. C’est pourquoi si on ne peut y arriver de façon multilatérale, il faut le faire de façon bilatérale, en nouant aussi des liens avec l’Organisation internationale du travail, en adoptant des mesures environnementales», a exposé Édouard Bourcieu.
Un mécanisme de règlement des différents qui n’est pas l’arbitrage
Ce sont des principes que le Canada a également fait siens, tout comme le nouveau mécanisme de règlement des différents, dit ICS (Investment Court System), un système quasi-public, plus transparent et plus stable que les systèmes d’arbitrage privés (ISDS), censés protéger les investisseurs contre des décisions arbitraires et illégales des États qui les accueillent, qui sont controversés. L’ICS prévoit la nomination paritaire des membres du tribunal, l’établissement d’un code d’éthique, la fondation d’un tribunal d’appel.
Ottawa a accepté ce changement, après avoir marqué sa surprise. Comme le mentionnait à Paris Caroline Charrette, dans le cas de l’Alena, « seuls 24 cas en 23 ans ont été portés devant les tribunaux d’arbitrage » et, sur ceux qui ont été jugés, « cinq ont été gagnés et six perdus par mon pays », ce qui s’est traduit pour lui par l’obligation de payer « 205 millions de dollars, soit 2,5 % de la valeur totale réclamée dans les 24 cas, ce qui est peu », selon la dirigeante canadienne.
Le mécanisme de règlement des différents que le traité instaurerait en cas de conflit entre une entreprise et un État ne serait appliqué qu’une fois le traité ratifié par l’ensemble des parlements des États membres. Ce qui laisse ouvert, en principe, la mise en vigueur partielle et provisoire de l’AECG, dès son adoption par le Parlement européen et son homologue de l’autre côté de l’Atlantique.
Calendrier : mise en oeuvre partielle attendue au 1er trimestre 2017
Le traité a, en effet, déjà été solennellement signé, le 31 octobre, par les deux exécutifs, Jean-Claude Juncker et Donald Tusk, présidents de la Commission européenne et du Conseil européen, et Justin Trudeau, Premier ministre du Canada, et, en particulier, toutes les dispositions à caractère économique, à l’exception du volet protection de l’investissement, seraient applicables dès l’entrée en vigueur de l’accord, en principe courant 2017.
À Paris, ni Caroline Charrette, ni Édouard Bourcieu n’a voulu s’engager sur une date précise. Toutefois, les députés européens pourraient examiner le texte final en janvier prochain, le voter le 17 février, ce qui permettrait, si le résultat est positif, à l’Union européenne « de notifier la ratification au niveau européen au Canada », précisait le représentant de la Commission européenne à Paris. On pense, en général, que l’entrée en vigueur du traité ne devrait pas attendre la fin du premier trimestre.
François Pargny
*Lire également au sommaire de la LC d’aujourd’hui : UE / Canada : la commission Emploi et affaires sociales du PE appelle à voter contre le CETA
Pour prolonger :
– UE / Canada : après l’accord sur le CETA, le chemin vers la ratification reste semé d’embûches
– Canada / Union européenne : les irréductibles Wallons ont dit oui au CETA… sous conditions
– UE / Canada : les principaux volets de l’accord de libre échange CETA
– UE / Canada : le blocage wallon sur le CETA fragilise la politique commerciale européenne