Visiblement, les syndicats et la direction générale de Business France ne sont pas sur la même longueur d’onde. Les premiers dénoncent les « errements constatés dans la conduite de l’agence », comme le rapporte notre confrère La Lettre A le 12 novembre. Un jugement que vient de confirmer à la Lettre confidentielle (LC) un syndicaliste de l’établissement public et commercial (Epic), qui ne cache pas son inquiétude face à ce qu’il définit comme un manque de gouvernance de la direction générale et une inertie de la triple tutelle : ministère de l’Économie et des finances/Minefi, ministère des Affaires étrangères et du développement international/Maedi et secrétariat d’État au commerce extérieur. « Nous avons l’impression, confie-t-il, que la fusion entre les ex-Ubifrance et Afii n’est pas réalisée, que les mondes de l’export et de l’investissement restent étrangers l’un à l’autre et que les coopérations ne se font pas bien ».
Sollicitée par la LC, la directrice générale de Business France, Muriel Pénicaud, rappelle que « la fusion juridique a été actée au 1er janvier 2015 » et affirme que « dès le départ, les équipes » ont été prévenues que « le processus allait prendre 18 mois, jusqu’à l’été 2016 ». Donc, « nous sommes au milieu du processus, se défend-elle. Plusieurs étapes ont été franchies : les syndicats ont signé un accord d’intéressement le 30 juin dernier, le nouveau conseil d’administration a été mis en place le 7 juillet, le nouveau contrat d’objectif et de performance (COP) 2015-2017 a été signé avec les ministres le 6 octobre ».
C’est « en janvier 2016 que nous présenterons à l’ensemble du personnel le projet d’entreprise de Business France, annonce-t-elle encore à la LC. Notre feuille de route est donc claire et nous la mettons en œuvre en toute transparence et dans un esprit de dialogue avec le personnel de l’agence ».
Un dialogue qui ne semble pourtant pas séduire le comité d’entreprise et l’intersyndicale (Unsa, FO, CFDT) de l’Epic qui ont saisi la triple tutelle. Une rencontre s’est ainsi tenue le 5 octobre au Quai d’Orsay, mais, selon le syndicaliste, « si la directrice générale a été alertée, il ne s’est rien passé depuis ». Une raison de ce manque « d’impact » serait l’absence d’une véritable tutelle. « La tutelle pleine par Bercy, c’est fini, les ministères se concurrencent », observe-t-il avec dépit.
Un déficit de communication entre directions
S’agissant des « errements » au sein de Business France, notre interlocuteur explique que promotion, communication et image de la France de l’ex-Afii ont été regroupées avec promotion et communication de l’ex-Ubifrance dans une direction unique ProCom, qui doivent, en principe, travailler avec les deux grosses directions, Export et Invest. « Le problème, assure-t-il, c’est que ces directions communiquent très mal, qu’il n’y a pas de synergie ». Et, tout en refusant de divulguer des cas concrets, d’expliquer, par exemple, que « ProCom a récemment décidé une initiative à la grande surprise d’Invest qui n’avait pas été averti ».
Du coup, la directrice générale est directement critiquée. « Ce que nous lui reprochons aussi, c’est d’être dans la représentation et de ne pas donner de direction politique. C’est un ressenti en centrale à Paris, mais aussi à l’étranger. Sa politique manque de clarté quant aux objectifs à court et moyen terme ».
Pour sa part, Muriel Pénicaud rappelle qu’une « fusion n’est pas un processus anodin » et que si elle comprend qu’elle « peut générer certaines inquiétudes, ce qui a été le cas au sein de l’Agence, les personnels d’Ubifrance et de l’Afii ayant vécu plusieurs fois des situations similaires, dans un contexte plus délicat », « c’est d’un commun accord avec la Direction Générale que les tutelles ont reçu les représentants du personnel ».
Muriel Pénicaud assure que « la Direction Générale de Business France comprend l’inquiétude exprimée par l’intersyndicale, même si elle la considère excessive ». Et « comme dans tout processus de fusion, poursuit-elle, des négociations avec les instances représentatives du personnel sont en cours. La signature de la NAO (la négociation annuelle des salaires) à l’unanimité par les organisations syndicales le 30 octobre dernier, est le signe, selon elle, d’un climat social ouvert ».
« La triple tutelle permet la mobilisation de tous les acteurs »
Par ailleurs, Muriel Pénicaud réfute le fait que « la triple tutelle Quai d’Orsay/Bercy/Égalité des Territoires créerait de l’inertie dans le cadre de la fusion. « La triple tutelle, assure-t-elle, permet, en France, la mobilisation de tous les acteurs, et à l’étranger, là où sont la majorité de nos effectifs, un « triangle d’or » entre l’Ambassadeur, le Service économique et Business France qui permet aux entreprises françaises de pleinement réussir à l’international et aux entreprises étrangères d’être efficacement accompagnées dans leurs projets d’investissement en France. »
Pour y voir plus clair, la LC s’est adressée à un fin connaisseur du réseau public du commerce extérieur, en poste à l’étranger. « Une fusion, pourquoi pas, dit-il. Dans nombre de pays, çà existe et çà marche plutôt bien, mais il faut alors que la gouvernance évolue ». Dans le cas de Business France, il faut s’interroger sur « la pertinence du modèle » et sur « l’imbroglio généré par toutes les tutelles ».
Pour cet interlocuteur qui opère à l’étranger, « la simplification voulue ne saute pas aux yeux, même si les ambassadeurs sont censés contrôler ». Et d’ajouter que non seulement les personnels de Business France doivent « apprendre les deux métiers, l’export et l’investissement », mais ils sont soumis à une « régionalisation de leurs activités qui n’est pas facile à mener ». En définitive, il estime qu’à l’heure actuelle, « il n’est pas avéré que le système soit plus efficace qu’il y a quelques années ». Et ce d’autant que de plus en plus de jeunes se trouvent « propulsés » à la tête des bureaux à l’étranger. Forcément, ils « manquent d’expérience » et « ont besoin sans doute d’une plus grande clarté » quant aux objectifs de leur maison.
François Pargny