La saison II du Brexit s’ouvre. Après trois années de paralysie politique et de frustrations, Européens et Britanniques ont terminé 2019 avec le sentiment d’avoir enfin tourné la page. Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni ne fera plus partie de l’Union européenne (UE). Une première dans l’histoire du bloc. Mais concrètement, que va-t-il se passer?
« Le divorce est prononcé mais aucun bouleversement n’est à prévoir avant la fin de la période de transition », rétorque l’eurodéputé belge Guy Verhofstadt, le Mr « Brexit » au Parlement européen (PE).
A partir du 1er février prochain, le Royaume-Uni ne sera plus considéré comme un État membre de l’UE. En tant que pays tiers, il ne participera donc plus à la vie des institutions européennes et à leurs prises de décision. Pendant cette période de transition, dont l’échéance est programmée au 31 décembre 2020, les Britanniques – toujours membres du marché unique et de l’union douanière – continueront toutefois d’appliquer les règles européennes et d’en bénéficier.
Après les termes du divorce, ceux de la relation future
Durant cette phase, les pourparlers reprendront à un rythme soutenu entre Européens et Britanniques.
Il ne s’agira pas cette fois de négocier les termes du divorce, actés dans l’accord de retrait, mais de s’entendre sur les grandes lignes de leur relation future, notamment commerciale. Un défi de taille compte tenu du délai, très court, dont dispose les deux blocs pour conclure un accord de libre-échange (ALE).
A l’origine, la période de transition aurait dû s’étendre d’avril 2019 à décembre 2020, ce qui laissait de la marge pour parvenir à un compromis. Mais à force de retarder le Brexit, Londres a réduit cette période de transition à 11 mois. Et encore : en réalité, ce sera moins de 10 mois, puisqu’il faudra que les Vingt-huit adoptent, d’abord, et à l’unanimité, le mandat de négociation de la Commission.
Un délai impossible à tenir ?
Le délai de négociation est « très ambitieux », a concédé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. « Une façon diplomatique de ne pas dire impossible », a confié de son côté au Moci un membre de l’équipe de Michel Barnier, le Mr Brexit de la Commission, chargé de poursuivre sa mission durant cette deuxième phase de discussions.
Pour cet expert, la conclusion d’un ALE « ambitieux et équilibré », n’est pas envisageable dans un temps si limité. Il prédit, au mieux, un accord intermédiaire contenant l’essentiel pour permettre aux marchandises et à quelques services de continuer à circuler.
Mais même dans ce dernier cas de figure, rien n’est garanti. En effet, les Européens exigent des conditions de concurrence équitables pour s’ouvrir aux produits britanniques. Et c’est bien là que le bât blesse.
Car si le Premier ministre britannique Boris Johnson a accepté d’inclure dans la déclaration politique – qui définit les grandes lignes de la relation future – cette notion de « level playing field », rien ne garantit que cet engagement soit respecté. En effet, contrairement à l’accord de retrait, le texte n’est pas juridiquement contraignant.
Bruxelles ne veut pas de « Singapour sur Tamise »
Limitées dans le temps, les négociations seront par ailleurs « particulièrement délicates et potentiellement explosives », pronostique ce même négociateur à Bruxelles. Car deux visions vont s’affronter.
Boris Johnson, fort d’une majorité confortable à la Chambre à l’issue des élections de décembre, n’a jamais caché ses ambitions dé-régulatrices. Bien décidé à se libérer du « joug de Bruxelles », il bataillera dur pour se défaire, au maximum, des contraintes réglementaires en vigueur au sein de l’UE.
De son côté, la Commission veut à tout prix éviter la création d’un « Singapour sur Tamise », soutenue par les tenants d’une certaine vision du Brexit à Londres. En clair, il faudra que le Royaume-Uni respecte les normes communautaires dans les domaines économique, social, environnemental ou climatique si elle veut s’ouvrir largement les portes de l’Union.
Le scénario catastrophe d’un « Brexit dur » pour l’industrie
C’est donc l’enjeu majeur des mois à venir : Boris Johnson sera-t-il prêt à renoncer à l’autonomie réglementaire et judiciaire, l’une des revendications phares des Brexiters, contre un large accès au marché européen ?
Rien n’est moins sûr. Et pas question de prolonger la phase de transition, qui pourrait théoriquement durer jusqu’à fin 2022. Le Premier ministre britannique a déjà annoncé qu’il ne demanderait pas une extension au-delà de 2020.
Or, à défaut d’accord d’ici là, le « Brexit dur », ce cauchemar pour les États et les entreprises, n’aura été reculé que d’un an. L’échec signifierait en effet que le 1er janvier 2021 les ponts seront coupés avec le Royaume-Uni qui deviendra un pays tiers au même titre que le Kazakhstan ou le Zimbabwe et se verra appliquer les règles de l’OMC.
Un scénario catastrophe pour certains secteurs au Royaume-Uni, en particulier celui de l’automobile, très orienté vers l’export. Alors que la production a chuté de 14,5 % en 2019, ses représentant appellent les deux camps à s’entendre afin d’éviter la mise en place de nouveaux droits de douane. « Cet accord doit être de libre-échange et éviter toute barrière commerciale qui, pour l’automobile, signifie que nos normes doivent être alignées », a averti Mike Hawes, le directeur général de la SMMT (Society of Motor Manufacturers and Traders), principal lobby du secteur.
A ce stade rien n’indique que leurs revendications seront entendues. « Tout dépendra de la posture que Boris Johnson adoptera au cours de cette deuxième phase de négociations », souligne Guy Verhofstadt. Si le Brexit est aujourd’hui une réalité, personne ne peut prédire s’il sera « doux » ou « dur ». Réponse à la fin de l’année. La bombe à retardement est à nouveau enclenchée.
Kattalin Landaburu,
à Bruxelles