Les discussions se sont poursuivies une grande partie de la nuit entre Londres et Bruxelles sur la relation post-Brexit, selon Eric Mamer, le porte-parole de la Commission. Après des mois de discussions stériles et des positions visiblement irréconciliables, les deux camps seraient sur le point de conclure un accord. Si rien n’était encore confirmé ce jeudi matin 24 décembre, à l’heure ou nous bouclons la Lettre du Moci, les tabloïds anglais, jugeaient l’affaire était pliée. Pour le Daily Express, « l’accord est fait ». Quant au Daily Mirror, il titrait « Accord conclu pour Noël ».
A Bruxelles la prudence restait toutefois de mise. « Ça bagarre sur les chiffres [de la pêche]. Et ça, c’est mauvais signe », relatait une source européenne citée par l’AFP. « Les négociations ne sont pas encore finies », prévenait une autre source proche des discussions, qui estimait cependant que « le dénouement ne devrait pas trop tarder ». Le Royaume-Uni aurait accepté, au cours de ce sprint final vers un compromis, de « très importantes concessions », en particulier sur la pêche précisait une source gouvernementale française.
Signe que dans ce long bras de fer qu’a été la négociation sur la relation future post Brexit, personne n’entendait jeter l’éponge le premier pour ne pas porter la responsabilité d’un échec. Revue de détail, point par point, des dernières avancées.
Conditions de concurrence équitables : figées à leur niveau actuel
Les deux camps auraient en effet avancé sur l’un des principaux points de friction : la mise en œuvre de conditions de concurrence équitable (level playing field), pour éviter une dérégulation côté britannique qui pénaliserait les entreprises européennes.
D’abord opposé à toute concession sur ce dossier, Londres se serait finalement engagé à respecter les normes environnementales, sociales et fiscales au niveau qui est le leur au moment du divorce définitif, le 31 décembre, grâce à un accord sur un « mécanisme musclé de non régression ».
Mais les Européens veulent également s’assurer du respect des règles sur le plus long terme. Bruxelles réclame donc la possibilité de prendre des mesures de compensation, notamment à titre préventif, en cas de divergences. Une exigence qui avait jusqu’ici rejetée par Boris Johnson, le Premier ministre britannique, qui voyait dans cette disposition « une tentative de Bruxelles de contraindre le Royaume-Uni à s’aligner sur les normes européennes », faute de quoi le pays serait « automatiquement soumis à des sanctions commerciales ».
Gouvernance de l’accord : opacité sur le compromis
Des progrès ont également été réalisées sur un autre contentieux : la gouvernance de l’accord pour permettre le règlement des différends.
Selon Ursula Von Der Leyen, la présidente de la Commission européenne, le sujet était « largement réglé » en début de semaine, mais peu de détails ont été communiqués à ce stade. Une opacité d’ailleurs dénoncée par le Parlement européen.
Pour l’Union européenne (UE), l’objectif reste de pouvoir agir vite, sans attendre l’intervention d’une cour d’arbitrage classique. Les Vingt-sept voudraient donc autoriser le recours à des contre-mesures unilatérales et immédiates en cas de non-respect par Londres de ses engagements, comme des sanctions tarifaires voire une suspension partielle de l’accord.
Pêche : suspense maximal
Reste encore l’épineuse question de la pêche. « Les positions se sont rapprochées mais on est toujours loin du compte », confiait mercredi 23 décembre au Moci un proche des négociations à la Commission européenne.
Dans ce dossier au poids économique très relatif mais explosif sur le plan politique, les blocages restent nombreux. L’UE aurait mis une dernière proposition sur la table en acceptant de sacrifier 25 % de ses droits de pêche avec une période de transition de six ans. Quant aux Britanniques, ils accepteraient une réduction de 35 % mais veulent limiter la phase transitoire à trois ans.
« Pour les États membres, la dernière proposition de la Commission va déjà très loin et peut uniquement être considérée (…) comme définitive », indiquait un diplomate européen cité par l’agence Reuters.
Malgré les divergences, les deux camps semblaient toutefois bien décidés à poursuivre les discussions, « jusqu’à la fin de l’année et au-delà » si nécessaire a insisté, le 22 décembre, Michel Barnier, le négociateur en chef européen. « Notre responsabilité est de continuer cette négociation très difficile. Jamais nous n’avions négocié un tel accord dans un délai aussi court. Ça fait à peine neuf mois que nous négocions », a-t-il rappelé.
Vers une mise en œuvre provisoire avant ratification par le Parlement européen ?
Mais l’hypothèse d’une « rallonge », souhaitée par les Européens l’an passé, est désormais jugée « impossible » à Bruxelles. Le traité de retrait permettait à Londres de demander cette extension d’un an ou de deux ans mais une seule fois seulement. La décision devait être prise avant le 1er juillet 2020 : Boris Johnson s’y était définitivement opposé.
Les difficultés causées par la Covid-19 n’ont pas changé d’un iota la position du gouvernement britannique. Alors que le virus mutant a provoqué, depuis le 20 décembre, le blocus du Royaume-Uni, entraînant des perturbations majeures aux principaux points de passage depuis et vers le continent, certains responsables politiques britanniques sont à nouveau montés au front afin de se libérer de la « pression inutile » du calendrier.
Sadiq Khan, le maire travailliste de Londres, qui avait milité contre la sortie du Royaume-Uni de l’UE, presse donc le gouvernement de « demander officiellement une extension de la période de transition ». La Première ministre écossaise Nicola Sturgeon, également anti-Brexit, avait exprimé le même souhait le 20 décembre.
« La seule chose qui pourrait jeter de l’huile sur le feu serait de revenir sur une chose dont on a déjà convenu la fin, c’est à dire la fin de la période de transition qui s’achèvera la 31 décembre. C’est exclu de revenir la dessus » a rétorqué Grant Shapps, le ministre des Transports. La question est donc tranchée.
Dans cette interminable saga du Brexit, une chose est désormais certaine : si un compromis était réellement scellé au cours de ces prochaines heures, il risque de ne pas pouvoir être ratifié à temps par le Parlement européen (PE) pour entrer en vigueur le 1er janvier. Les eurodéputés exigent plus de temps pour analyser les 2000 pages du texte avant de donner leur blanc seing à cet accord qui définira la relation future entre l’UE et le Royaume-Uni.
Des solutions sont possibles pour éviter un divorce dur. « Il pourrait être mis en œuvre à titre provisoire puis ratifié formellement par les parlements à Londres et à Bruxelles en 2021 », explique-t-on à la Commission, où des armées de juristes planchent sur les différents scénarios possibles.
Dans le cas contraire il deviendrait plus difficile d’éviter un « no-deal » avec son lot de complications – nouvelles barrières tarifaires et non tarifaires – comme le montrent les interminables files de camions qui anticipent depuis des jours la sortie du marché commun.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles