Laurent Cayet est le P-dg de IMX France, une plateforme de livraison internationale basée à Pantin. Spécialisée dans les petits colis, elle travaille avec des e-commerçants expédiant leurs produits au Royaume-Uni, une activité qui représente environ 15 % de ses flux . A moins d’un mois du Brexit, il décrypte l’impact sur le e-commerce tricolore et les nouvelles formalités qu’ils devront accomplir.
Le Moci. Alors que le retour des formalités douanières va se matérialiser dans moins d’un mois, on ne sait toujours pas si un accord sera signé avec l’Union européenne avant le 1er janvier. Quelles seraient les conséquences d’un hard Brexit sur le e-commerce ?
Laurent Cayet. Qu’un accord soit trouvé ou non, l’administration fiscale britannique a décidé que pour tout panier inférieur à 135 livres sterling (GBP), ce sera à l’expéditeur de s’acquitter de la TVA auprès de la douane britannique. Au-delà de ce seuil, la TVA devra être collectée au moment de la distribution du colis, ce qui nécessite du travail en plus et donc des coûts supplémentaires. Nous les avons estimés à entre 4 et 8 GBP par livraison.
Au-delà du seuil de 135 GPB par colis, de nouvelles formalités
Le Moci. Et concernant les taxes douanières ?
Laurent Cayet. Ce seuil de 135 GBP est également important puisque les envois en deçà de cette valeur en seront exonérés. Si vous expédiez un produit dont le coût est supérieur à 135 GBP et qu’aucun accord n’est trouvé entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, alors ce seront les taxes fixées par l’OMC qui s’appliqueront.
J’ai un client qui envoie régulièrement des colis de produits de parapharmacie au Royaume-Uni pour un montant supérieur. Pour s’éviter de fastidieuses démarches administratives et ne pas avoir à répercuter les taxes douanières sur ses marges, il a préféré diviser ses envois en plusieurs petits colis d’un montant inférieur à 135 GBP. Ca lui coûte plus cher en frais d’envoi, mais il évite ainsi beaucoup de paperasse. De plus, il peut être délicat de demander à son client de payer la TVA à la réception de la marchandise.
Le Moci. Est-ce que le retour des taxes douanières va, selon vous, dissuader des e-commerçants français de travailler avec le Royaume-Uni ?
Laurent Cayet. Pour des paniers dont la valeur oscille entre 300 et 500 euros, il sera je pense plus judicieux de passer par un expressiste à condition d’être dans un secteur de niche ou dans le luxe où les marges permettent d’absorber ce frais supplémentaire. En dessous de 135 GBP, on n’a pas à payer les droits de douane ou à collecter la TVA. C’est pour les paniers situés entre ces deux situations que ça va être compliqué. S’il est toujours viable économiquement pour eux de continuer à vendre au Royaume-Uni, quitte à augmenter leur prix de 5 euros, ils le feront sinon ils se retireront de ce marché.
« La grande question, se sont les déclarations en douane avec 30 expéditeurs »
Le Moci. Globalement, est-ce que les e-commerçants français sont prêts ?
Laurent Cayet. Les gros oui. Ils ont déjà l’habitude de travailler avec des pays tiers et des logisticiens. Les clients de IMX n’ont pas les mêmes flux. Comme beaucoup d’autres entreprises, ils ont été un peu échaudés par le stop and go des négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne et n’ont ensuite plus eu le temps de s’en occuper avec la crise sanitaire. L’état d’esprit des e-commerçants français est wait and see.
Le Moci. Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre activité d’opérateur postal ?
Laurent Cayet. La grande question ce sont les déclarations en douane avec 30 expéditeurs. La France est à la traîne sur ce sujet et il est difficile d’avoir une réponse claire de l’administration française. En revanche, côté britannique, ça ne pose aucun souci.
Le Moci. Une des craintes est de voir apparaître en janvier de longues files de camion aux postes frontières. Des délais supplémentaires sont-ils à prévoir pour les livraisons ?
Laurent Cayet. Il faudra peut-être compter un jour de plus, mais pas plus. Je pense que grâce à la frontière intelligente qui permet aux camions de passer presque sans s’arrêter, le flux va se réguler. Pour éviter d’éventuels retards, nous allons faire du transit, c’est-à-dire dédouaner la marchandise au Royaume-Uni dans des entrepôts sous douane. C’est beaucoup plus simple.
S’inscrire au HRMC, obtenir un numéro EORI
Le Moci. Quels conseils donneriez-vous à un e-commerçant qui ne s’est pas encore préparé au Brexit ?
Laurent Cayet. Bien sûr, de s’inscrire au HRMC* pour obtenir un numéro fiscal britannique et d’obtenir un numéro EORI* côté français.
Ensuite, dans le cas d’un e-commerçant qui ne travaillerait qu’en Europe, il lui faudra affecter un code HS* à chacun de ses produits afin de connaître les taxes douanières dont ils font l’objet. Ça peut être fastidieux si le catalogue est important mais c’est un travail à faire une fois pour toutes et il existe des sociétés spécialisées qui peuvent le faire à sa place.
Par ailleurs, il est très important de bien communiquer avec son client britannique notamment sur la question des prix. Aura-t-il quelque chose à payer à la livraison ? La TVA britannique que vous pensez être celle de tel produit est-elle bien la bonne ?
Le Moci. L’avenir du e-commerce entre la Royaume-Uni et le continent est également un enjeu majeur pour les Britanniques. Comment se sont-ils préparés ?
Laurent Cayet. Le Royaume-Uni est le deuxième exportateur européen en termes de e-commerce. C’est un marché très important.
Aujourd’hui je ne connais pas un seul acteur d’envergure qui n’ait pas délocalisé son activité sur le continent, en particulier aux Pays-Bas. Ce sont deux pays proches géographiquement, ouverts sur le monde et en pointe dans le e-commerce, alors que la France a la réputation d’être moins pragmatique et plus procédurière.
Propos recueillis par
Sophie Creusillet
*Le HRMC est l’administration fiscale britannique, auprès de laquelle toute entreprise doit s’enregistrer. Lien : https://www.gov.uk/log-in-register-hmrc-online-services
Le numéro EORI est le numéro d’identification douanier unique des entreprises de l’Union européenne. En France, il s’obtient auprès du pôle d’action économique de la douane française dont l’entreprise dépend.
Un code HS et un numéro faisant référence au système harmonisé (Harmonized System en anglais) de nomenclature douanière gérée par l’Organisation mondiale des douanes (OMD) : chaque catégorie de produit bénéficie d’un code qui permet de l’identifier dans le monde entier.