Président de la commission internationale de TLF Overseas, Olivier Thouard (notre photo), par ailleurs directeur Douane et Représentation fiscale de Gefco, est aux premières loges pour évaluer l’état de préparation des acteurs de la chaîne logistique des deux côtés de la Manche. En avant-première d’un webinaire de coorganisé le 4 novembre* par ICC France, le comité français de la Chambre de commerce internationale, et la fédération TLF Overseas, il dresse pour Le Moci un bilan des préparatifs opérationnels plutôt inquiétant, particulièrement pour les PME, et, surtout, du côté britannique.
Le Moci. Comment votre entreprise, spécialisée dans la logistique industrielle et en particulier automobile, s’est-elle préparée au Brexit ?
Olivier Thouard. Nous avons commencé il y a trois ans et la première étape a été d’analyser le flux de nos clients avant de mettre en place des autorisations douanières, de mobiliser du personnel et d’adapter les outils informatiques. Nous avons aussi accompagné nos clients en démocratisant l’information via des webinaires et des newsletters.
Pour nous, la communication aux chargeurs d’informations sur les procédures douanières a été très importante dans cette phase de préparation car si les grands groupes sont en général fin prêts, il n’en va pas forcément de même pour les PME et les ETI, en particulier celles qui démarrent à l’export. Certaines pensent que le Brexit et les procédures douanières seront repoussées alors que le Brexit a déjà eu lieu !
L’enjeu majeur est de bien comprendre que le passage de la frontière nécessite d’avoir été anticipé et que le chauffeur doit avoir en main la déclaration export française et la déclaration britannique avant de partir, sinon le camion sera bloqué.
« Le risque d’engorgement export existe des deux côtés »
Le Moci. Justement, l’engorgement des camions est l’une des craintes des acteurs de la logistique. Qu’en pensez-vous ?
Olivier Thouard. Le risque existe dans le sens export des deux côtés. Du côté britannique, les contrôles se feront avant l’arrivée dans le port et il est prévu de pouvoir faire stationner 7000 camions dans le Kent, mais les infrastructures ne sont pas prêtes aujourd’hui.
Se pose aussi la question des camions venus non pas de France mais d’autres pays européens : on estime que 30 % des camions qui se présenteront à la frontière n’auront pas rempli de déclaration export, ce qui pourrait créer d’importantes files. D’autant que les opérateurs étrangers se heurteront à un problème légal s’ils veulent faire leur déclaration export en France : pour le faire il faut un numéro de TVA.
Il est toujours possible de demander un accord préalable auprès du bureau de douane qui peut le donner à titre exceptionnel, mais si tout le monde procède ainsi, cela va être compliqué. Nous avons soulevé ce problème auprès de l’administration française mais n’avons pas encore de réponse opérationnelle.
Le Moci. La pratique du groupage va-t-elle également ralentir le flux de camions ?
Olivier Thouard. Oui si la présentation des documents n’est pas complète. Il suffit que la documentation soit incomplète pour un seul lot pour que le camion soit bloqué. Sur les plateformes Gefco on contrôle tout et on ne laisse pas partir le chauffeur sans que tous les documents soient au complet, à l’export mais aussi à l’import, côté britannique. Du coup, en cas de documentation incomplète, la marchandise restera sur nos quais en attendant le complément.
Systèmes douaniers et chargeurs britanniques « ne sont pas prêts »
Le Moci. Comment évaluez-vous l’état de préparation des deux dispositifs douaniers ?
Olivier Thouard. Il est prêt du côté français, y compris pour les produits phytosanitaires et vétérinaires grâce au système TRACES qui est connecté au SI Brexit, ce qui permettra aux camions venus du Royaume-Uni de ne pas s’arrêter une fois en France en cas de simple contrôle documentaire. Tout est fait pour que les camions conformes ne s’arrêtent pas en frontière, sauf en cas de contrôle.
Les Britanniques ne sont pas prêts. Ils ne feront pas de contrôle en frontière avant juillet 2021. Dans le schéma de plus simplifié, les importateurs vont pouvoir conserver des registres pendant 6 mois avant le dépôt de la déclaration d’importation, ce qui peut être dangereux en cas de perte d’informations. Il y a encore très peu de lieux agréés à l’intérieur des terres, les Britanniques ayant l’habitude de procéder au dédouanement dans les ports.
Quant aux installations prévues pour les camions en attente de documentation, elles en sont au terrassement. Le Smart Freight Service, le système autodéclaratif qui permet au transporteur de transmettre toutes informations sur un chargement qui quitte le Royaume-Uni existe actuellement en version Test et devrait fonctionner début 2021. Son utilisation sera obligatoire pour tout camion traversant le Kent vers Douvres ou Folkestone et permettra de vérifier si un camion est prêt à traverser.
Le Goods Vehicule Movment System devrait permettre de suivre les transits côté britannique dès le 1er janvier puis l’ensemble des marchandises dès le 1er Juillet. Il n’est pas du tout garanti que ce système sera disponible au 1er janvier 2021, ce qui qui impliquerait un arrêt des chauffeurs en frontière pour notifier le passage de leurs transits douaniers.
Concernant les systèmes douaniers, le nouveau système de décisions douanières (CDS) et l’ancien système CHIEF vont être utilisés en parallèle pour répondre au nouveau besoin déclaratif sans aucune assurance qu’ils tiendront la charge. C’est justement pour réduire le nombre de ces 200 millions de potentielles nouvelles déclarations douanières que des simplifications ont été mises en place.
Une étude britannique qui n’inclut pas les… Britanniques
Le Moci. Et du côté des chargeurs britanniques ?
Olivier Thouard. Du côté des chargeurs, de nombreuses entreprises britanniques ne sont pas prêtes et elles ne peuvent pas dire qu’elles n’étaient pas au courant du Brexit !
Les Britanniques travaillent actuellement à une étude sur la préparation des pays de l’UE au Brexit. Selon les premiers résultats, environs 50 % des entreprises de l’UE répondent ne pas savoir ce qu’elles doivent faire pour se préparer. Le plus surprenant reste que pour l’instant les entreprises établies au Royaume-Uni n’ont pas été incluses dans l’étude. Nous attendons impatiemment le taux de préparation Britannique !
Le Moci. A votre avis, comment cela va se passer sur le terrain au premier janvier ? Etes-vous optimiste ou avez-vous des craintes sur la mise en pratique de ces formalités douanières ?
Olivier Thouard. Traditionnellement la première semaine de janvier est plutôt calme dans le secteur du transport et je ne pense pas que nous allons observer tout de suite des engorgements de camions. S’il y en a, ils viendront plus tard, à partir de la fin de la première semaine. Le passage de la frontière se passera d’autant mieux s’il a été bien anticipé. Par ailleurs, il y aura certainement une troisième version du Border Operating Model, le guide douanier dont les Britanniques ont présenté une deuxième mouture il y a peu, avant le mois de juillet. Ce qui nécessitera des ajustements.
Propos recueillis par Sophie Creusillet
*Le webinaire ICC France / TLF Overseas se tiendra sur le thème « Import / Export, Royaume-Uni : êtes-vous opérationnels pour le 1er janvier 2021 ? », 4 novembre de 9h à 10h30. Il comprendra un rappel du cadre réglementaire côté français et britannique, des contributions d’experts et le retour d’expérience d’une entreprise. Pour vous inscrire, cliquez ici !