Alors que les négociateurs européens et britanniques terminent de négocier un éventuel accord sur les termes de leurs futures relations commerciales, entreprises et services douaniers peaufinent leurs derniers préparatifs. Car, accord ou pas, les formalités douanières seront bel et bien de retour le 1er janvier 2021.
Serons-nous prêts ?
Voici un petit tour d’horizon de l’état de préparation des administrations et des entreprises côté français et britannique.
Le système douanier français est prêt
Commissaires en douane, transporteurs, entreprises exportant au Royaume-Uni… Tous parlent d’une seule voix : le système douanier est fin prêt du côté français.
La douane française a en effet mis en place un service informatique spécialement dédié, le SI Brexit, également appelé « frontière intelligente » qui doit permettre de fluidifier le trafic en les deux pays.
Cet outil repose sur trois piliers :
– l’anticipation des déclarations avant l’arrivée au poste frontière (pour éviter au maximum l’engorgement de camions),
– l’association des plaques d’immatriculation d’un poids lourd et de la déclaration de son déchargement avant la traversée de la Manche,
– ainsi que l’automatisation des données (pour n’arrêter à la frontière que les véhicules soumis à un contrôle ou devant finaliser leurs formalités de passage).
Des entreprises françaises conscientes des enjeux d’une bonne préparation
Concrètement, avant le passage du tunnel ou la traversée en bateau, les entreprises devront enregistrer leur déclaration en ligne (ou le faire faire par un représentant en douane) avant le chargement de la marchandise et transmettre l’enveloppe logistique au chauffeur.
Celui-ci, muni d’un code barre, pourra passer la frontière sans s’arrêter à condition que les informations transmises soient complètes.
Il faut également que, en cas de groupage, les différentes marchandises aient bien tous le même statut. Si dans un camion se trouvent, par exemple, des médicaments ou des produits phytosanitaires (soumis à des procédures particulières) c’est tout le chargement qui risque d’être bloqué.
Bref, ce système pensé pour fluidifier le trafic suppose, pour bien fonctionner, que les chargeurs n’aient pas attendu le dernier moment pour se renseigner sur les formalités douanières au 1er janvier 2021.
« Les entreprises ont pris conscience de l’importance de se préparer au Brexit, estime Emmanuelle Gidoin, chargée de mission Action économique et entreprises, à la sous-direction du commerce international de la Douane. Les grandes sont déjà prêtes, elles ont recruté du personnel et adapté leurs systèmes informatiques. Pour les TPE, les PME et les ETI, en particulier si elles sont promo-exportatrices, la préparation est plus tardive mais nous recevons beaucoup de demandes. »
Et celles-ci sont parfois très basiques : « Comment s’enregistrer en tant qu’exportateur auprès de la douane et obtenir un numéro EORI (economic operator registration and identification) ? », « Quel Incoterm choisir ? », « Comment constituer mon enveloppe logistique ? » …
L’administration française a créé des adresses mails* pour répondre aux questions de ces entreprises moins rompues au commerce extra-communautaire. En outre, en plus d’une importante opération de communication (webinaires, site internet dédié…) la Douane a publié en octobre dernier une mise à jour de son guide de préparation au Brexit, très opérationnel sur les formalités douanières et la méthodologie à suivre pour assurer des exportations sans encombre au 1er janvier.
Côté britannique, un processus par étapes et des incertitudes
Pour sa part, à cette date, comme il l’a annoncé en juin dernier, le Royaume-Uni, n’aura pas rétabli l’ensemble des contrôles douaniers.
Les entreprises achetant des marchandises classiques comme des vêtements et des appareils électroniques en provenance de l’UE devront à partir de janvier tenir un registre de leurs importations. En revanche, elles disposeront d’un délai de six mois pour enregistrer la déclaration auprès des douanes britanniques et pourront alors s’acquitter des droits de douane.
Un délai qui va demander souplesse et organisation aux acteurs du transport comme le rappelait dans une interview exclusive au Moci Olivier Thouard, président de la commission internationale de TLF Overseas, par ailleurs directeur Douane et Représentation fiscale de Gefco. Il l’a redit lors d’un webinaire sur le Brexit coorganisé par ICC France et TLF Overseas le 4 novembre. Selon lui, il faudra attendre avril 2021 pour les formulaires de déclaration de produits d’origine animale et végétale et ce n’est qu’à partir de juillet que les contrôles complets seront instaurés pour tous les types de marchandises et d’importateurs.
Selon Jean-Marie Salva, président de la commission Réglementations douanières et facilitation d’ICC France,« la préparation des instruments juridiques par les administration a été remarquable de part et d’autre ». Le Royaume-Uni, craignant l’impréparation de ses entreprises, a publié en juillet dernier une première version de son Border Operating Model, un document détaillant les procédures douanières et mis à jour en octobre. Le gouvernement britannique a consacré une enveloppe de 50 millions de livres (55 millions d’euros environ) au recrutement, à la formation et l’achat de nouveaux équipements informatiques pour les douanes.
Ce qui ne signifie pas pour autant que tout soit prêt, notamment les infrastructures douanières prévues dans le Kent où des camions pourraient stationner afin d’éviter l’engorgement, mais encore en construction.
Que se passera-t-il en cas de no deal ?
Et en cas de no deal ?« Les douanes de l’Europe des 27 sont prêtes au no deal, les douanes britanniques devraient s’y préparer », a tonné Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur, sur les ondes de BFM Business, dans la matinale du 14 octobre. Car, selon lui, « elles ne le sont pas encore ».
Même son de cloche côté français. Le 18 septembre dernier, leur d’une réunion de l’Odasce (l’office de développement par l’automatisation et la simplification du commerce extérieur), Guillaume Vanderheyden, sous-directeur du commerce international à la DGDDI (la direction générale des douanes et droits indirects) ne disait pas autre chose : « Nous sommes prêts, mais du côté britannique, c’est moins sûr ».
Autre sujet d’inquiétude Outre-Manche, et chez leurs partenaires commerciaux européens : la préparation des chargeurs britanniques. Selon un sondage réalisé en septembre par l’Institute of Directors, 45 % d’entre eux estiment qu’ils ne seront pas du tout ou pas complètement prêts d’ici à la fin de l’année.
Un nécessaire temps de rodage
En France, « les entreprises émettent des craintes non seulement sur le risque d’engorgement à la frontière, mais aussi sur la question des droits de douane, qui n’est toujours pas réglée, et, à plus long terme de la concurrence des pays tiers », résume Pierre-Antoine Cadoret, chargé de mission Marché intérieur et Brexit à la Direction générale des entreprises du ministère français de l’Economie.
Si les grandes entreprises françaises, aguerries au commerce extra-communautaire et à ses procédures douanières, sont évidemment mieux armées qu’une très petite entreprise (TPE) novice à l’export, elles n’en rencontrent pas moins des difficultés comme en témoigne Maeva Paqueriaud, directrice Douane chez Michelin qui exporte et importe vers et depuis le Royaume-Uni : « Nous nous sommes préparés en clarifiant les responsabilités de chaque acteur de la chaîne logistique, mais le jour J il faudra pouvoir communiquer les données et les informations aux bons acteurs et au bon moment. Il y aura forcément des problèmes et nous avons imaginé des plans B pour éviter que des chargements restent bloqués ».
Avec un trafic estimé à 5 millions de véhicules par an, avant d’atteindre une certaine fluidité lors du passage en douane, un nécessaire temps de rodage sera nécessaire aux entreprises britanniques et françaises. Mais aussi aux acteurs des autres pays de l’Union européenne.
En effet, seuls 20 % des flux provenant du Royaume-Uni sont à destination de la France et le bon déroulement du retour des procédures douanières tiendra en grande partie à la préparation des autres pays européens. A cette fin, le guide préparé par la douane françaises est en cours de traduction en anglais et devrait être diffuser en Europe et dans les pays tiers.
Sophie Creusillet
* [email protected], pour répondre aux questions des entreprises,
[email protected], dédiée aux questions douanières,
[email protected], pour les questions fiscales.