Pour les entreprises françaises, la fiscalité au Brésil est souvent considérée comme un des points de blocage pour leurs affaires et leurs investissements. Plusieurs nouveautés sont intervenues cette année, qui pourraient simplifier et alléger la facture. Victoria Alvarez, du cabinet LHLF, nous explique comment.
La fiscalité brésilienne est un mariage tumultueux entre ultra-modernité et archaïsme. Fort des besoins financiers à la hauteur d’un continent, les finances publiques brésiliennes subissent le poids handicapant d’une gestion fiscale à trois vitesses : municipale, étatique et fédérale. Malgré ce marasme réglementaire, l’année 2014 a montré la voie d’une simplification qu’il faudrait espérer durable.
État des lieux : aperçu de la fiscalité brésilienne indirecte
Cela va de soi, la planification d’un investissement au Brésil implique la prise en compte des coûts fiscaux concernés. Les opérateurs internationaux sont souvent à même de prévoir l’incidence des impôts dits directs (c’est-à-dire grevant les bénéfices ou le revenu). Cette tâche est rendue possible par l’application des conventions visant à éviter la double imposition, conformément aux standards impartis par l’OCDE.
Il en va tout autrement des impôts indirects, comme la TVA. En effet, un investissement hors Union européenne fait échapper les flux de biens et de services aux règles bien connues et prévisibles de la TVA communautaire, pour les soumettre aux règles parfois diamétralement différentes ; et tel est le cas du Brésil. Des précautions spécifiques doivent donc être prévues lors de l’estimation des coûts de la fiscalité indirecte au Brésil.
À la différence d’autres pays de la région – comme l’Argentine ou le Mexique –, le Brésil est un État fédéral qui n’a pas harmonisé la TVA interétatique. Cohabitent ainsi au Brésil une TVA sur les produits manufacturés au niveau fédéral – l’IPI (1) –, une TVA à proprement parler, spécialement aménagée au niveau étatique et un impôt municipal sur les services.
L’IPI est confiné au secteur manufacturier. Il vise la valeur ajoutée générée par cette industrie : matières premières, produits intermédiaires, emballages et produits finis, et permet d’imputer la taxe payée sur des transactions préalables. Les produits agricoles et minéraux sont exclus de l’impôt, sans droit à déduction. Les équipements et autres biens immobilisés sont exonérés mais ouvrent le droit à déduction de la taxe acquittée s’ils ont été produits au Brésil.
Les exportations sont soumises au taux de 0 %. De nombreuses exonérations concernent les ventes effectuées par les assujettis établis dans la Zone Franche de Manaus ; une longue liste de produits désignés par le gouvernement et certaines matières premières.
On dénombre neuf catégories de produits, les taux allant en général de 0 % à 20 %. Ils peuvent toutefois atteindre 60 % pour certains produits de luxe ou 45 % pour certains produits nocifs pour la santé. Lorsqu’il est fait référence à la TVA au Brésil, une attention particulière doit être portée à l’ICMS (2). L’ICMS est un impôt étatique qui a remplacé l’ancien impôt sur les ventes. Principale source de recettes au Brésil, il grève les ventes de biens à tous les stades de production et de distribution, y compris le commerce de détail, l’agriculture et l’élevage de bétail.
La structure des taux est plus simple que celle de l’IPI. Cinq catégories de taux existent : 7 % sur certains produits alimentaires ; 8,8 % sur des biens de capital ; 12 % sur la fourniture d’électricité ; 18 % le taux par défaut (3) et 25 % sur des produits de luxe. Sont exonérés plusieurs biens de capital produits au Brésil, de même que les fertilisants et pesticides, l’outillage agricole, l’importation de produits intermédiaires, la vente d’équipement industriel dans les États du Nord-Est. Le Brésil est l’un des rares États fédéraux ayant adopté le principe de l’origine pour la taxation des transactions interétatiques. Ceci a pour but de redistribuer des recettes fiscales vers les États les plus pauvres. Ainsi, l’État exportateur soumet la vente à l’ICMS, à un taux de 12 %, ou de 7 % si les biens sont expédiés d’un État du Sud-Est vers un État du Nord-Est ou Centre-Ouest.
Enfin, l’impôt sur les services (4) est une taxe municipale qui pèse sur les prestations de toute nature. S’ajoutent à cette triade d’impôts sur la commercialisation de biens et de services des contributions sociales assises sur le chiffre d’affaires – COFINS et PIS/PASEP –, avec des taux significatifs : de quoi crisper le plus serein des entrepreneurs !
L’allégement de la fiscalité des importations de services techniques
La fiscalité brésilienne sur les services est, quant à elle, une véritable source de préoccupations pour les prestataires étrangers. L’importation de services a cristallisé jusqu’à présent le malaise fiscal éprouvé par les opérateurs étrangers. Dans certain cas, le flux d’importation de services au Brésil peut supporter jusqu’à six taxes (5), dont une bonne partie à charge du prestataire étranger. Un facteur sérieux de dissuasion pour des opérateurs européens et en particulier français, de par leur place privilégiée parmi les fournisseurs d’infrastructure et services d’accompagnement. L’évolution de la position des autorités brésiliennes en 2014 en ce qui concerne les services techniques permet de songer à une simplification progressive de la situation.
Jusqu’en 2014, l’administration brésilienne a retenu une interprétation contestable des Conventions fiscales de non double imposition. En application de sa doctrine, les services techniques sans transfert de technologie facturés par une entité étrangère étaient passibles d’une retenue à la source de 15 %. Jugeant cette retenue contraire à la convention fiscale franco-brésilienne, l’administration française a pu refuser aux sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés en France d’imputer le crédit d’impôt payé à l’étranger. Cette double imposition handicapait les sociétés françaises répondant à des appels d’offres au Brésil.
L’administration fiscale brésilienne a émis une nouvelle interprétation (6) qui supprime en pratique la retenue à la source sur les services techniques. La retenue à la source continue néanmoins de s’appliquer aux prestations de services fournies par des prestataires indépendants personnes physiques ; aux services et à l’assistance techniques qualifiés de redevance – ce qui implique en principe un transfert de technologie – et aux services pouvant se rattacher à un établissement stable situé au Brésil.
Du fait de la rédaction de la convention fiscale franco-brésilienne, les sociétés françaises verront leur compétitivité nettement améliorée en matière d’ingénierie et d’assistance technique. Il en va de même des sociétés autrichiennes, finlandaises, japonaises et suédoises.
Le coût fiscal grevant l’importation des services au Brésil reste élevé du fait de l’application d’autres taxes comme l’ISS et les contributions sociales (7). Il fait à l’heure actuelle l’objet des axes d’amélioration des relations économiques bilatérales avec la France.
L’allégement de la fiscalité des exportations de services à l’État de São Paulo
Première économie étatique au Brésil, l’État de São Paulo refusait de considérer les services de conseil à l’investissement rendus à des gérants de fonds étrangers comme une exportation de service exonéré d’ISS. Une décision récente (8) a confirmé l’exonération sur le fondement de la consommation du service à l’étranger. Cette décision est la bienvenue, car elle renforce la logique imparable de renonciation du pouvoir d’imposition en matière d’exportation de services à destination de clients professionnels.
Bâtir sa stratégie fiscale au Brésil
Quelle stratégie fiscale conseiller pour le Brésil ?
Celle-ci doit avant tout reposer sur l’anticipation, la planification et l’innovation. Car les outils de pilotage utilisés en Europe ne seront pas suffisants au Brésil, où il faudra être proactif pour saisir les opportunités offertes par la panoplie de régimes spécifiques. La planification fiscale au Brésil peut apporter des avantages significatifs. Il y est par exemple possible d’acquitter des dettes commerciales avec des créances d’ICMS. Il est en outre possible de fusionner des structures locales lorsqu’elles sont en position asymétrique (c’est-à-dire créditrice et débitrice) en matière de PIS/COFINS. Il est également possible de régler avec des crédits de certaines contributions sociales (9) des dettes fiscales éligibles. La maîtrise de ces schémas permet d’améliorer la performance de l’investissement et mérite d’être analysée par l’entrepreneur averti.
Victoria Alvarez, avocate (10), cabinet LightHouse LHLF, Docteur en Droit (11)
1) Impôt sur les produits industrialisés.
2) Imposto sobre operações relativas à circulaçao de mercadorias e serviços.
3) Réduit à 17 % dans certains états.
4) ISS.
5) Retenue à la source d’impôt sur les bénéfices, ISS, CIDE, IOF, PIS/PASEP, COFINS.
6) Instruction du 16 juin 2014.
7) Celles-ci pesant sur l’importateur.
8) Adoptée en décembre 2013 par les Chambres Réunies du CMT (Conseil municipal des tributs) de l’État de São Paulo – plus haute juridiction administrative pour les taxes municipales.
9) C’est le cas de la Contribuição Social sobre o Lucro Líquido (« CSLL »).
10) Inscrite aux Ordres des Avocats de Paris et de Buenos Aires, Argentine.
11) Auprès de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et de l’Université de Buenos Aires.