Branle-bas de combat au cabinet de Franck Riester. Depuis le lancement, la semaine dernière des appels au boycott des produits français au Qatar, au Koweït et en Jordanie, et depuis aujourd’hui en Turquie, le cabinet du ministre en charge du Commerce extérieur est passé en mode « cellule de crise ».
S’il est encore trop tôt pour prendre la pleine mesure de l’impact économique de ces initiatives et, plus largement, du mécontentement provoqué par l’engagement d’Emmanuel Macron en faveur de la défense des caricatures au nom de la liberté d’expression, après l’assassinat de Samuel Paty, les entreprises françaises n’en demeurent pas moins inquiètes.
Des Français déterminés à ne pas se laisser intimider
« Rien ne nous fera reculer devant ces attaques et nous sommes d’un bloc », a twitté lundi 26 octobre Franck Riester, qui a bousculé son agenda pour prendre le pouls de la situation auprès des entreprises présentes au Proche et Moyen Orient, des fédérations professionnelles, des ambassadeurs et de tout le réseau économique français.
La veille, Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef, frappait du poing sur la table sur l’antenne de RMC en appelant les entreprises françaises à « résister au chantage » et « à faire passer nos principes avant la possibilité de développer nos affaires ».
Au-delà de ces prises de position, concrètement, quelles seraient les conséquences pour les entreprises françaises qui exportent ou sont implantées dans ces pays si le boycott prenait de l’ampleur ?
Joint par Le Moci, le cabinet de Franck Riester, qui enchaîne depuis le weekend dernier les entretiens avec les entreprises et le réseau consulaire concernés, estime qu’« il est trop tôt pour le dire ».
Les annonces se sont multipliés ces derniers jours, après le discours du président français lors de l’hommage national rendu à la Sorbonne le 21 octobre en mémoire du professeur assassiné. Au Koweït, une soixantaine de coopératives de distribution ont exclu fromages, crèmes et produits cosmétiques de leurs rayons. Au Qatar, les chaînes de grande distribution Al-Meera et Souq al-Baladi ont annoncé retirer les produits made in France.
Rappelons qu’Al-Meera distribue au Qatar les produits Casino grâce à un partenariat avec l’enseigne française qui a par ailleurs ouvert un supermarché Géant dans le Hyatt Plazza, un gigantesque centre commercial situé à Doha. Carrefour est également présent sur place avec 10 points de vente et Monoprix 5, cette dernière enseigne étant par ailleurs très active dans le e-commerce. Des enseignes comme Paul, Fauchon ou Lenôtre ont également des points de vente sur place.
Des pays qui représentent une faible part des exportations françaises
L’enjeu en terme de commerce extérieur est à relativiser. En 2019, les exportations françaises au Qatar ont atteint 3,8 milliards d’euros selon la Douane. Elles ont composées à 60 % de matériel de transport (la Qatar a confié à la Ratp et à la Sncf la concession du métro de Doha).
Le flux est encore plus mince à destination du Koweït (525 millions d’euros, du matériel de transport et des cosmétiques) et de la Jordanie (211 millions d’euros, essentiellement des produits de l’industrie agroalimentaire et des cosmétiques).
Quant à la Turquie, dont le président a multiplié ces derniers jours des propos à l’encontre d’Emmanuel Macron que le ministère des Affaires étrangères qualifie de « propagande haineuse et calomnieuse », elle est le 15ème client de la France. Les exportations hexagonales ont atteint 5,9 milliards d’euros en 2019.
Plus globalement, le Proche et Moyent Orient ne représentent, hors matériel militaire, que 3 % (en valeur) de la totalité des exportations françaises, soit 14,8 milliards d’euros. Une goutte d’eau.
En revanche, cette situation, dont il reste à déterminer si elle est un épiphénomène ou si elle est appelée à prendre de l’ampleur, pourrait peser sur l’avenir de la présence française dans certains pays. Ainsi la volonté du Qatar de développer des filières agricoles et agroalimentaires locales offrent des opportunités dans les agroéquipements et le machinisme agricole. En sera-t-il toujours de même dans quelques semaines ?
Hormis la Turquie, des appels émanant de groupes privés
S’il est pour l’instant difficile de prédire les conséquences de ces appels au boycott, une chose est sûre : hormis la Turquie, ils n’émanent pas des gouvernements eux-mêmes mais de groupes privés : grande distribution au Qatar, coopératives au Koweït et un parti politique d’opposition (le Front d’action islamique) en Jordanie. Ce qui en limite la portée politique et diplomatique, du moins jusqu’à présent.
En Turquie, dont 40 % des exportations sont absorbés par le marché européen, la situation est différente puisque c’est le président Erdogan lui même qui a appelé sa populations au boycott dans un discours tenu le 26 octobre à Ankara. « Surtout ne prêtez pas attention aux marques françaises, ne les achetez pas », a-t-il déclaré. Ce qui constitue un pas de plus dans une escalade qui perdure depuis plusieurs semaines déjà entre Ankara et Paris.
S’il était amené à se poursuivre ce mouvement pourrait exposer ces pays à des sanctions de l’Union européenne ce qui serait difficilement tenable pour leurs économies respectives.
En attendant, il ne fait pas bon être Français dans ces pays, si l’on en croit l’embarras actuel des milieux d’affaires français sur place qui, pour l’instant du moins, se refusent à tout commentaire et sont inquiets pour leur sécurité. A quelques jours de l’anniversaire de la naissance du prophète, jeudi 29 octobre, une désescalade et un retour à des relations apaisées serait évidemment souhaitables.
Sophie Creusillet