Ce n’est pas une nouveauté, mais une confirmation. Enquête après enquête, le cabinet OC&C observe une montée en puissance des fabricants de produits de grande consommation (PGC) originaires des pays émergents. Dans l’édition 2012 de son étude sur « les 50 champions mondiaux de la grande consommation», quatre groupes sud-américains sont ainsi parvenus à se glisser dans le Top 6 de la croissance des ventes.
Il s’agit des brésiliens JBS, Marfrig, Brasil Foods et du mexicain Bimbo, numéro un avec + 29,7 %, « qui poursuit son ascension en intensifiant sa présence aux États-Unis avec l’acquisition de l’activité panification-pâtisserie de Sara Lee », explique Jean-Daniel Pick (notre photo), partner du cabinet de conseil à Paris.
JBS, avec notamment le rachat, en juin, des activités volailles et porc de son compatriote Marfrig, est entré dans le Top 10 des champions mondiaux des PGC, à la septième place exactement, derrière Nestlé, Procter & Gamble, Unilever, Pepsico, Coca-Cola et Ab Inbev. Le groupe brésilien a aussi acquis certaines activités de XL Foods, le plus gros fabricant de bœuf aux États-Unis et au Canada. « Si les sociétés des pays émergents profitent à plein d’un marché domestique dynamique, commente Jean-Daniel Pick, elles savent aussi qu’elles doivent s’étendre à l’international pour atténuer les chocs d’une consommation interne parfois cyclique ».
Les Brics, cibles de choix
Les concurrents des Américains ou des Européens investissent donc leurs marchés. Mais, l’inverse est aussi vrai. Dans les Bric (Brésil, Russie, Inde, Chine), les L’Oréal, Danone, Pernod Ricard ou autres LVMH réalisent ainsi de belles croissances. Si dans le monde les 50 premières sociétés de grande consommation ont enregistré l’an dernier une croissance enviable de 5,6 % de leur chiffre d’affaire global, dans les pays émergents, ce chiffre (hors producteurs des Brics figurant dans le Top 50) passe à 13,5 % dans les Bric.
Cette bonne performance au Brésil, en Russie, en Inde et en Chine doit, toutefois, être nuancée, car les tigres locaux – donc plus petits et ne figurant pas dans le Top 50 – font mieux, avec une croissance totale de 18 %. En fait, il faut distinguer le Brésil et la Russie, où le Top 50 domine les tigres locaux, avec des parts de marché respectives de 36 et 33 %, des deux autres Bric, où c’est le contraire, les 50 champions hors Bric disposant d’une part de marché de 31 % en Inde et seulement de 17 % en Chine.
Dans ces deux derniers États, « les groupes familiaux sont puissants. Ils verrouillent donc le marché et profitent de la collusion qui peut exister avec l’Administration », explique Jean-Daniel Pick.
Être local en Chine
En Chine, « il faut peu ou prou être chinois », souligne le dirigeant d’OC&C, qui aime à citer le cas de Seb, qui, bien qu’ayant pris le contrôle du fabricant local d’électroménager Supor, « a laissé la présidence à la famille, accepté un comité exécutif 100 % chinois et la cotation de l’entreprise dans le pays et lui a donné la responsabilité du développement commercial en Asie du Sud-est ».
Diageo, Nestlé et Danone ont aussi compris que, pour gagner en Inde et en Chine, il faut être local. Le spécialiste britannique des boissons alcoolisées finalise, à l’heure actuelle, l’achat de l’indien United Spirits, leader mondial des spiritueux en volume et leader local avec 43 % de part de marché dans le whisky. Cette acquisition aurait un triple avantage : se hisser en Inde au niveau du grand concurrent Pernod Ricard ; profiter d’un marché des spiritueux en hausse de 15 % par an, tout en évitant des taxes à l’importation très élevées (150 %) ; et attaquer l’Afrique avec de nouveaux produits et de nouvelles marques.
En Chine, Nestlé a acquis pour 1,7 milliard de dollars Hsu Fu Chi, un confiseur avec une gamme très adaptée aux goûts locaux, d’après OC&C. Dans ce cas également, c’est la famille qui continue de gérer l’entreprise. Danone, pour sa part, en mai dernier, est devenu actionnaire stratégique, c’est-à-dire minoritaire, de Mengniu, avec lequel il a créé une coentreprise, avec 13 usines, permettant de combiner l’expertise en matière d’innovation et de qualité du français et le leadership et le réseau de distribution de son partenaire.
L’Afrique, nouvelle frontière des géants mondiaux
« Preuve que les champions mondiaux peinent à effectuer des acquisitions en Inde et en Chine, note Jean-Daniel Pick, plus de 90 % du chiffre d’affaires racheté par le Top 50 dans les Bric entre 2005 et 2013 est généré par des cibles brésiliennes et russes ». A côté des Bric, ces champions mondiaux s’intéressent aussi aux Mint, concept lancé par la société Fidelity Investments pour désigner la Mexique, l’Indonésie, le Nigeria et la Turquie.
En Afrique, 29 champions sur 50, en majorité européens, sont présents. « En nombre c’est encore peu, mais au Nigeria Nestlé réalise des marges de 22 % dans les PGC », pointe Frédéric Fessart, associate partner du cabinet OC&C. Le Nigeria est aussi le deuxième débouché extérieur en volume pour Guiness (Diageo). « On s’attend dans les années à venir à une accélération des rachats de petits acteurs locaux dans les pays d’Afrique subsaharienne par des grands noms planétaires de la grande consommation », confie encore Frédéric Fessart.
Globalement, les 50 leaders devraient poursuivre leur croissance cette année. Au premier trimestre, les quatre leaders ont enregistré une croissance interne de 4,1 %, « mais, dans les pays émergents, ce chiffre dépasse 10 % », dévoile Jean-Daniel Pick. Alors que la consommation est atone en Europe, ce sont, les Bric et l’Afrique qui doperont la croissance du Top 50. Pour autant, les champions des pays émergents, eux, ciblent également l’Europe. En y saisissant des opportunités de rachat ou de partenariat, ils savent qu’ils peuvent alors accéder à des marchés développés.
François Pargny