Maintenir l’effort de soutien de l’État aux exportateurs tout en offrant une certaine continuité, telle est la tendance de la politique de financement export 2022, présentée lors de la journée annuelle Bercy France Export, le 9 février, en visioconférence. La priorité est donnée, cette année encore, aux secteurs qui contribuent à la lutte contre le changement climatique et à la décarbonation des exportations .
Il ne faut pas s’y tromper, « verdir » les aides à l’export n’est plus un simple focus au milieu de thématiques sectorielles variées. Cela devient un sujet normal de Bercy France Export (BFE pour les habitués), cette manifestation annuelle organisée par la direction générale du Trésor (DG Trésor) pour les entreprises exportatrices françaises.
De fait, après une édition 2021 consacrée à une relance plus « verte », peu après le lancement d’un Plan climat pour les financements export, cette édition du 9 février 2022 a été la troisième consécutive consacrée aux projets d’exportation « verts » ou « décarbonés ». Avec cette année un focus sur les énergies renouvelables (EnR) : des dirigeants d’Engie, GE Hydro and Wind, Sunna Design, Entech, Waga Energy, McPhy ont témoigné en live ou en vidéo lors de l’événement.
« Soutenir les exportations décarbonées » est même considéré comme l’une des trois « réponses structurelles » du gouvernement au déficit commercial devenu abyssal, évoquées par Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, des finances et de la relance, dans son intervention en vidéo. Le ministre la met sur le même plan que les mesures visant à renforcer la compétitivité des entreprises, ou la stratégie de réindustrialisation du territoire.
D’où la décision de se retirer progressivement du soutien à l’export des projets d’énergie fossile, inscrit dans la Loi en 2021 et renforcé lors de la COP 26. Ça a été aussi la mise en place de « bonus climatiques » pour les projets d’exportation « décarbonés » dès 2021, et les efforts diplomatiques pour faire évoluer les règles de l’OCDE en matière de crédit export afin de favoriser d’avantage les projets « verts », favorisant l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique.
Le directeur général du Trésor, Emmanuel Moulin, ne s’y est pas trompé lors de son intervention de clôture : la priorité donnée à la transition écologique est « une révolution qui va structurer notre politique de financement export, et qui la structure déjà ».
Extension de la GPS à la France
Peu de nouveautés sur les instruments ont donc été annoncées lors cette édition de BFE 2022. Dans le contexte de sortie de crise actuelle, la volonté manifeste des pouvoirs publics est plutôt d’assurer une certaine continuité, comme l’a montré la nouvelle carte de la politique de financement export pour cette année, modifiée à la marge, que nous décryptons dans un autre article.
Côté dispositifs d’aide, la principale nouveauté concrète a été l’annonce de l’extension au territoire français de la garantie de projet stratégique (GPS), dans une volonté de favoriser la réindustrialisation de la France dans des domaines liés à la transition écologique. Rappelons que la GPS est un mécanisme géré par Bpifrance assurance export (BAE), filiale de Bpifrance, qui permet de couvrir 80 % d’un financement pour un projet ne cochant pas toutes les cases, notamment de part française. Trois évolutions ont été confirmées par François Lefèbvre, directeur de BAE :
- suppression de l’obligation de réalisation de l’opération hors du territoire national ;
- prise en compte du caractère « durable » du projet ou de sa contribution à la transition écologique ;
- suppression de l’obligation de siège social en France de l’entreprise, remplacée par une condition « d’établissement en France ».
Pedro Novo, directeur exécutif Export de Bpifrance, qui intervenait dans une table-ronde sur les EnR, l’a clairement laissé entendre : « On a besoin de faire naître des cathédrales industrielles qui en sont aujourd’hui au stade de startup ou PME. D’où l’évolution de la GPS ».
Premier bilan des « bonus climatiques »
Quant aux bonus climatiques, ils ont manifestement trouvé leur marché : en 2021, soit la première année de mise en place, 11 projets ont été validés pour bénéficier d’une assurance-crédit export bonifiée. C’est encore peu sur les 220 nouveaux dossiers traités par BAE, pour un montant record de 17,734 milliards d’euros (Md EUR), mais c’est un début prometteur.
Pour rappel, ces « bonus » ne sont pas négligeables, alignant les conditions accordées aux grandes entreprises sur celles déjà accordées aux PME : la quotité garantie est ainsi de 85 % de la valeur exportée avec un seuil minimum de part française ramené à 20 %.
Par ailleurs, l’enveloppe du Fasep, Fonds d’aide au secteur privé géré par le Trésor qui finance des études et des pilotes, qui avait été doublée à 50 millions d’euros en 2021 avec une priorité au projets « verts » (eau, assainissement, énergie…), a été largement utilisée. Un appel à projet pour la décarbonation des services essentiels dans les pays émergents a notamment permis de sélectionner 19 projets d’études ou de pilotes qui bénéficieront d’un montant global de 8,8 M EUR.
Parmi eux, une étude pour un projet de décarbonation du Centre Pasteur au Cameroun mené par la PME Entech, spécialiste des solutions de stockage d’énergie propre, financé à 50 % par le Fasep. Au total, le Fasep a financé 83 projets d’études dans 45 pays, dont 82 % étaient portés par des PME.
La réorientation vers les projets « verts » est également visible dans l’assurance prospection : « 25 % des assurance prospection octroyées en 2021 sont des AP vertes » s’est félicité Pedro Novo. « Pour les crédits export directs, les deux tiers concernent des projets verts ». Bpifrance a présenté la semaine dernière un bilan de son activité qui met en exergue une forte progression des ses activités export.
Des capacités importantes pour 2022
Pour 2022, Magalie Cesana, cheffe du service SABINE de la DG Trésor, a annoncé que l’enveloppe du Fasep sera ramenée à un montant plus normal de 25 M EUR.
Elle a annoncé en revanche une hausse conséquente de la capacité de prêts directs du Trésor, instrument qui monte en puissance depuis quelques années : 1,5 Md EUR en 2022, après 1 Md EUR en 2021 (660 M EUR en 2020).
En 2021 les prêts directs du Trésor, des crédits d’État à État venant en soutien de projets d’infrastructures portés par des entreprises françaises, ont été particulièrement importants : 853 M EUR octroyés pour 11 projets dans 6 pays. En 2020, seulement 318 M EUR avaient été accordés.
Ces instruments ont également bénéficié de « bonus climatiques » dès 2021 : c’est ainsi qu’ils ont permis de financer un gros contrat de 40 M EUR de la PME girondine Sunna Design au Togo, pour l’installation de 50 000 lampadaires solaires.
Pour les très grands projets, la SFIL pourra également apporter un soutien sous forme de refinancement de crédit export avec, pour elle aussi, une priorité aux projets « verts ». En 2021, elle a refinancé pas moins de 5 opérations pour 2,2 Md EUR. « On va accentuer notre soutien aux contrats qui vont contribuer à décarboner l’économie » a souligné Philippe Mills, son directeur général.
Enfin, les PME et ETI pourront continuer à compter sur une politique volontariste d’accompagnement et de soutien à l’export. Outre les instruments gérés par le Trésor et Bpifrance, l’octroi des chèques relance export et VIE a été prolongé jusqu’à juin 2022, a rappelé Christophe Lecourtier, directeur général de Business France.
Bilan 2021 des aides à l’export
-Prêts du trésor : 853 M EUR (+168,2 %), 11 projets.
-Fasep : 83 projets.
-Assurance-crédit : 17,734 Md EUR (+ 37 %), 220 dossiers.
-Assurances cautions et préfinancements export : 1,379 Md EUR (+ 27 %), 561 dossiers.
-Assurance change : 612 M EUR (-4 %), 257 dossiers .
-Assurance prospection : 287 M EUR (+ 23 %), 1376 dossiers .
-Crédit export de Bpifrance : 398 M EUR (+ 83 %), 27 opérations.
-Nombre de PME accompagnées par Team France Export : + de 4000
La France pousse à l’évolution de l’arrangement OCDE pour 2023
A court et moyen terme, plusieurs nouveautés importantes découlent par ailleurs de l’évolution de l’Arrangement OCDE sur les crédits export*, sur lequel s’aligne la France pour les modalités pratiques de ses aides, dont certaines ne s’appliqueront qu’en 2023. François Lefèbvre, directeur de BAE, en a donné les principales lignes :
–nouveau mode de calcul du TICR (taux d’intérêt commercial de référence) destiné à mieux prendre en compte la période de risque et s’aligner aux taux du marché ; elle entrera en vigueur en 2023.
–règles de part locale : hausse du financement de la part locale de 30 à 40 % (pour les pays émergents en catégorie I de risque pays) ou 50 % (pour les pays en catégorie II) * ; elle est effective depuis avril 2021.
–quotité financée : sur une période d’un an à compter du 5 novembre 2021, pour les pays de catégorie II, possibilité de financer jusqu’à 95 % d’un achat par des acheteurs souverains ou publics avec garantie de la banque centrale ou du ministère des Finances.
D’autres évolutions de cet arrangement sont en cours de discussion, dont sur l’évolution des primes d’assurance-crédit, la flexibilité des termes et conditions financières et enfin l’élargissement des incitations financières aux projets « durables ». Cette dernière est particulièrement poussée par Paris, qui souhaite élargir le principe des « bonus climatiques » aux autres pays.
Les financements export sont donc bien entrés de plain-pied dans la transition écologique.
Christine Gilguy
*Les catégories de l’OCDE correspondent à des profils de risques pays. Elles vont de 0 à 7, du meilleur au pire : pour en savoir plus sur l’Arrangement OCDE, cliquez ICI