A l’occasion des championnats du monde de ski, qui se sont déroulés du 6 au 19 février à Courchevel et Méribel, le cluster Montagne a accueilli une importante délégation de décideurs de stations américaines. L’occasion de revenir sur les perspectives de la filière aux États-Unis et au grand export avec Benoît Robert, le directeur général de ce pôle de compétitivité lancé en 2012 et qui réunit aujourd’hui 180 entreprises.
Le Moci. Le ski est actuellement en plein essor aux États-Unis. Comment expliquez-vous cet engouement ?
Benoît Robert. C’est le premier marché mondial devant la France et l’Autriche, avec un modèle de développement très différent de celui que nous connaissons en France, où les stations ont été créées à partir de villages de montagne qui n’existent pas aux États-Unis. Les investisseurs se sont focalisés sur l’immobilier, très rentable, au détriment des équipements qui n’étaient pas de dernière technologie comme des télésièges à pinces fixes. Le pays a compté jusqu’à 700 stations, alors qu’il y en a aujourd’hui environ 500. Dans les années 2000 et 2010, la donne a changé avec l’arrivée des multipass, des forfaits à l’année qui donnent accès à un éventail de stations et sont plus avantageux que des forfaits journaliers pouvant coûter jusqu’à 300 euros.
Néanmoins, skier reste plus cher qu’en France. La conception des loisirs est différente : les Américains n’ont que deux semaines de congés, ont des revenus trois à quatre fois supérieurs et leur consacrent donc des budgets beaucoup plus importants. Toujours est-il que cette nouvelle offre a permis de démultiplier les recettes, de dégager des marges et d’impulser une nouvelle dynamique d’investissements, plus orientés sur les équipements.
« Ces championnats du monde
sont une vitrine de notre savoir-faire »
Le Moci. Comment se positionnent les entreprises françaises sur ce marché ?
B.R. Elles mettent en avant leur capacité d’innovation technologique. C’est ce qu’est venue chercher la délégation que nous avons reçue, composée de représentants de stations et d’agents d’entreprises françaises installées aux États-Unis : ces championnats du monde sont une vitrine de notre savoir-faire qui permet de faciliter le business.
Dans le cluster Montagne nous comptons des entreprises en pointe dans les remontées mécaniques avec Poma, spécialisée dans la fabrication de systèmes de transport par câble. En 2022, soixante remontées ont été construites dans les stations américaines et autant le seront cette année. Les carnets de commande de Poma ou de ceux du concurrent autrichien Doppelmayr sont pleins sur deux ans. Les investisseurs sont donc à la recherche de nouveaux fournisseurs.
Les 180 entreprises de notre cluster ont des activités très variées : les pièces détachées avec IDM, la gestion des domaines avec Imagina International, la signalétique avec Lumiplan, les caméras dynamiques de Skaping qui permettent de mettre en avant les atouts des stations, mais aussi l’urbanisme et l’architecture, la gestion des risques naturels, le déclenchement d’avalanches à distance ou encore les systèmes d’enneigement. En France, nous avons des installations au top et la délégation que nous avons reçue est venue observer toutes ces innovations in situ.
Le Moci. Les États-Unis ont la réputation d’être un marché très protectionniste…
B.R. Les Américains préfèrent travailler entre eux, c’est évident. Pour cette raison, les entreprises françaises qui sont présentes sur place n’ont pas forcément de filiale en direct. Par exemple Poma, dont ils savent à peine qu’il s’agit d’une entreprise française, s’est associé à l’italien Leitner sur ce marché et l’entité s’appelle Leitner-Poma of America. Ceci étant, l’expertise française est reconnue et les liens entre nos deux pays sont anciens. Dans les années 1960 et 1970, quand les stations ont commencé à se développer, des Français qui accueillaient des Américains sur nos pistes sont partis donner des coups de main sur place. Je pense notamment à la légende du ski tricolore Emile Allais. De nombreux jumelages se sont également mis en place. Les entreprises y ont vu une opportunité et la dynamique américaine d’investissements rapides a fourni d’importants relais de croissance pour les équipementiers non seulement des stations mais aussi des skieurs, avec Rossignol notamment.
« Les entreprises du cluster commencent
à être recontactés par des prospects chinois »
Le Moci. Qu’en est-il du marché chinois ? Il semblait prometteur avant des Jeux olympiques qui se sont déroulés l’an dernier quasi en vase clos…
B.R. La Chine est un pays qui n’a pas de culture du ski et de la glisse. Avant les Jeux, il y avait de petites stations avec 4 ou 5 remontées mécaniques et quelques stations vitrines comme Hubei. Il y fait en général très froid et les dénivelés sont faibles. Les Chinois y passent une journée et s’en vont. Ceux qui pratiquent régulièrement préfèrent aller au Japon. L’idée était évidemment de s’appuyer sur ces Jeux olympiques pour susciter un engouement, mais la pandémie de Covid-19 a coupé cet élan. Pourtant il y a un appétit pour le ski chez les très jeunes Chinois et c’est un loisir qu’il vaut mieux commencer tôt. Les stations existent, les Chinois ont le produit, mais est-ce qu’ils auront le marché ? L’avenir le dira. En attendant, et c’est très récent, les entreprises du cluster commencent à être recontactés par des prospects chinois datant d’avant la crise sanitaire.
Le Moci. Les prochains Jeux d’hiver se tiendront en Italie. Est-ce que des opportunités se dessinent pour les entreprises françaises ?
B.R. Ils seront plutôt la vitrine des entreprises italiennes, qui sont championnes dans les remontées mécaniques et l’enneigement !
Le Moci. Et pour les Jeux asiatiques d’hiver qui se dérouleront en Arabie saoudite en 2029 ?
B.R. Cet événement est à l’image des autre projets de la péninsule arabique… Il émane d’un mouvement indépendant du comité international olympique mais qui joue sur une certaine confusion. Le projet manque de lisibilité et je ne connais aucune entreprise française qui se soit positionnée. Le sujet est très polémique et en terme d’image ce serait déplorable.
Propos recueillis
par Sophie Creusillet