Les dirigeants d’entreprises françaises présentes en Chine y ont peu recours mais la délégation de pouvoir permet de conserver une maîtrise opérationnelle de leurs activités sur place malgré l’interdiction des déplacements internationaux. Anne Séverin, avocate spécialiste du droit des sociétés chinoises et directrice du bureau de Shanghai du cabinet DS Avocats revient sur cet outil juridique utilisé par nombre de grands groupes étrangers, notamment allemands et américains.
Le Moci – Qu’est-ce que la délégation de pouvoir et qu’est-ce qui la différencie de la délégation de signature ?
Anne Séverin : A la différence de la délégation de signature, la délégation de pouvoir transfère à un dirigeant local un pouvoir et une responsabilité. Il s’agit de désigner représentant légal une personne qui a la capacité de diriger de diriger les opérations. Cet outil permet de prendre des décisions importantes, notamment en matière d’investissements, sans que le dirigeant du siège n’ait à se déplacer, ce qui est pour l’instant impossible. Nous préconisons de ne pas désigner le directeur de la filiale chinoise pour éviter une trop forte concentration des pouvoirs.
Le Moci – Comment se formalise-t-elle ?
Anne Séverin : Par un mandat officialisé dans les statuts de la filiale ou par le vote d’une instance collective afin de protéger juridiquement le dirigeant du siège en montrant que celui-ci ne fuit pas ses responsabilités. Il s’agit de trouver un équilibre entre la protection et la délégation.
Dans l’esprit, la délégation de pouvoir en Chine ressemble à celle qui existe dans le droit français, mais avec quelques spécificités. Pour toutes les démarches qui engagent la filiale comme un bail ou des commandes, les documents doivent comporter le sceau de la filiale. Au total 7 tampons sont délivrés par la Sécurité publique. Ils sont gravés et enregistrés auprès de la police. Par exemple, pour un contrat en dessous de tel montant, celui du directeur administratif et financier est demandé, tandis qu’au-delà c’est celui du directeur de la filiale qui est exigé. Dans le cas d’une délégation de pouvoir une annexe à la délégation doit préciser à quels sceaux le représentant légal a accès.
« Les trois zones où les risques sont les plus forts sont la fiscalité, la sécurité au travail et l’environnement »
Le Moci – Avant de mettre en place une délégation de pouvoir, quels sont les points de vigilance à surveiller ?
Anne Séverin : En Chine, les natures de risques sont différentes. Les trois zones où les risques sont les plus forts sont la fiscalité, la sécurité au travail et l’environnement. Dans ce dernier domaine, les Bureaux locaux de l’environnement veulent connaître l’équivalent du responsable HSE, qui est responsable principal en cas de pollution par exemple. C’est une façon de protéger les dirigeants locaux et les représentants légaux.
Le Moci – Il faut donc déterminer à l’avance les responsabilités de chacun. Auriez-vous une excemple illustration la complexité de cet exercice ?
Anne Séverin : Nous avons accompagné une ETI de l’Ouest de la France, disposant de 3 filiales industrielles en Chine. Le maintien de la fermeture des frontières l’a incitée à s’organiser pour permettre à son dirigeant local français de prendre des engagements plus significatifs dans un cadre contrôlé. La complexité du cas est venue du fait que le dirigeant local, tout en étant représentant du groupe en Chine au titre de sa mission expatriée, ne disposait pas de délégation tirée implicitement de ses fonctions chinoises dans les filiales industrielles dont il n’était pas le directeur général et qu’il n’avait pas vocation à devenir.
Nous avons donc organisé une première nomination en tant que mandataire social de chacune des 3 filiales puis nous avons organisé une délégation de pouvoirs qui lui a permis également de sous- déléguer une partie de ses pouvoirs au directeur général, au directeur industriel, et directeur HSE. Cette délégation et ces sous-délégations ont ensuite été officialisées et diffusées à l’ensemble des cadres des 3 filiales en Chine. Depuis la mise en place de cette délégation, plusieurs investissements ont pu être réalisés dans des conditions de plus grande efficacité et sécurité.
« Depuis 6 à 8 mois, les choses sont en train de changer »
Le Moci – Comment expliquer que les sociétés françaises font moins appel à cet outil que d’autres entreprises étrangères présentes en Chine ?
Anne Séverin : Par la méconnaissance de cet outil, mais depuis 6 à 8 mois les choses sont en train de changer.
Au début de la crise, les entreprises n’ont pas voulu procédurer leurs relations avec les dirigeants locaux et ont préféré travailler en visoconférence. La perception a changé au cours de l’été 2020 : les dirigeants locaux ont commencé à ne plus y voir un outil de contrôle mais un cadre d’engagement local. Notre cabinet a organisé pour eux des formations pour leur permettre de mieux appréhender le périmètre de risque.
Le Moci – Quels conseils donneriez-vous à une entreprise hésitant à mettre en place une délégation de pouvoir ?
Anne Séverin : Si l’entreprise hésite, nous pouvons, en tant que cabinet d’avocats, être dépositaire des sceaux. Si le dirigeant local hésite pour une démarche nous vérifions avec lui qu’elle ne dépasse pas ces engagements. Cela permet de le rassurer.
Propos recueillis
par Sophie Creusillet