Tout a été dit ou presque sur le méga-contrat de 34 milliards d’euros, portant sur la livraison de 12 sous-marins nucléaires Barracuda, pour lequel l’Australie a retenu le champion tricolore DCNS*. « Team effort ! » commentait prosaïquement pour la Lettre confidentielle Christophe Lecourtier, l’ambassadeur de France à Canberra, très souriant, pour qualifier l’effort commun et le succès d’une équipe de France économique, industrielle et politique rassemblée au siège du Medef, le 27 avril, lors de la réception de Peter Cosgrove, gouverneur général d’Australie (représentant de la reine Elisabeth II dans cette ancienne colonie britannique membre du Commonwealth). Mais certains détails méritent d’être mieux connus.
« Un élément n’a, toutefois, pas été suffisamment mis en évidence, qui explique aussi le choix de Canberra en faveur de notre pays », nous a ainsi confié un participant à cette réunion au Medef, où se sont retrouvés une dizaine de dirigeants de sociétés françaises (DCNS, Groupe Muller, LafargeHolcim, BNP Paribas, Engie…), autour du président des conseils bilatéraux France-Australie et France-Nouvelle-Zélande de Medef International, Guillaume Pépy, également patron de SNCF. « Après l’effondrement de son industrie automobile, Canberra a besoin de maintenir ses chantiers navals à flots », a ajouté notre interlocuteur, bon connaisseur du dossier.
L’enjeu de la création d’emplois dans les chantiers navals
De fait, en quelques mois de fin 2013 à début 2014, Ford, puis General Motors et enfin Toyota ont annoncé l’arrêt de leur production en Australie en 2016 pour le premier et l’année suivante pour les deux autres. Ces constructeurs ont justifié ces retraits par un marché domestique trop petit et un manque de compétitivité de l’industrie australienne. Ce sont ainsi 45 000 emplois qui sont menacés, en incluant les entreprises associées (sous-traitants…), soit 5 % de l’emploi manufacturier !
Or, le contrat des sous-marins français devant remplacer les sous-marins conventionnels Collins généreront la création d’environ 2 800 emplois aux chantiers navals d’Adélaïde (Australie méridionale). Une bouée de sauvetage à laquelle se serait accroché le gouvernement dirigé depuis un an par Malcolm Turnbull, beaucoup moins attaché que son prédécesseur Tony Abbot au lien avec le partenaire traditionnel dans la région, le Japon.
Le fait qu’une société en bonne partie française, Airbus Helicopters, le premier fabricant au monde d’hélicoptères civils, ait déjà depuis longtemps démontré sa capacité et sa volonté de produire sur place a pu aussi joué en faveur de « l’équipe de France » dans la décision du Premier ministre australien. Bien sûr, à ce jour, on ne sait pas si tous les sous-marins seront construits aux antipodes. Réponse dans six à neuf mois, le temps que les détails du contrat aujourd’hui en négociation finale soient connus. En l’état actuel de nos informations, il n’y aurait qu’une, peut-être deux unités qui seraient construites à Cherbourg.
Peter Cosgrove : « dans un 100 mètres olympiques, il n’y a qu’un vainqueur »
Pour sa part, à Paris, Peter Cosgrove a salué « la stratégie positive de DCNS ». L’ancien général à la retraite de l’armée australienne, qui commanda en 1999 la mission internationale au Timor oriental (Interfet), a utilisé une métaphore sportive pour féliciter le groupe français, dont le P-dg, Hervé Guillou, était présent. « Les autres candidats était très bons », a-t-il ainsi insisté. Mais, a-t-il ajouté, « dans un 100 mètres olympique, il n’y a qu’un vainqueur ». Et pour lui, ce qui a pu faire la différence, c’est le sens de « l’innovation » et du « partenariat » du champion bleu-blanc-rouge.
Quittant le terrain militaire et sportif, Peter Cosgrove a affirmé que l’Australie « est ouvert aux affaires », qu’elle « n’est pas seulement le marché de quelques uns » et que « le marché veut le meilleur ». « Nous voulons faire du business pendant cinquante ans », a-t-il encore lâché dans un grand rire partagé avec ses interlocuteurs français, faisant ainsi allusion à la durée totale du contrat d’armement avec DCNS. Des propos qui ont certainement ravi Guillaume Pépy, qui a conduit une mission d’une quarantaine de chefs d’entreprises, représentants de centres de formation et de recherche, en Australie du 16 au 18 mars dernier.
Vers des négociations pour un ALE entre l’UE et l’Australie
A ce sujet, le président du directoire de SNCF s’est réjoui des contacts établis et a évoqué plusieurs éléments d’importance selon lui pour la relation franco-australienne. D’abord, le fait que l’Australie bénéficie « d’une robuste économie, d’une localisation stratégique en Asie-Pacifique et d’un cadre d’innovation ». Ensuite, que « des complémentarités » doivent exister entre la France, champion du climat, et l’Australie, roi du charbon souvent montré du doigt, qui a décidé de s’engager dans la transition énergétique.
Enfin, a estimé Guillaume Pépy, Paris et Canberra doivent être intéressés par « les nouvelles perspectives d’un accord de libre échange entre l’Union européenne et l’Australie ». Le projet de débuter les négociations de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande a été annoncé dans le dernier document de stratégie commerciale publié par la Commission européenne fin 2015. Et depuis le début de l’année, sont entamés les travaux préparatoires à l’ouverture de ces négociations.
François Pargny
*En ligne sur notre site : Défense / Export : DCNS remporte un méga-contrat de sous-marins en Australie
Pour prolonger :
– Contrôle / Agroalimentaire : Bureau Veritas se renforce en Australie
– Australie : Egis décroche un contrat d’exploitation et de maintenance autoroutière
– Armement : DCNS va étendre et renforcer son ancrage industriel dans le monde