Préparé par la DG Trésor en toute discrétion dans les semaines qui ont suivi le remaniement ministériel du 3 avril, un plan visant à une coupe drastique des dépenses publiques générées par l’assurance prospection –un des dispositifs phares du soutien public à l’exportation des PME que gère Coface-, de l’ordre de 30 % d’ici 2015, suscite depuis quelques jours une levée de boucliers de diverses organisations professionnelles.
De quoi s’agit-il ? L’assurance prospection -AP pour les habitués- est un dispositif reposant sur l’assurance. Il permet , sur une période de 4 ans, d’obtenir un soutien financier pour ses dépenses de prospection, de couvrir le risque d’échec et d’accéder, sous condition, à un préfinancement bancaire. Ayant fait l’objet de simplifications et d’assouplissements ces dernières années, sous les gouvernements successifs, pour stimuler les PME à l’export, l’AP aurait bénéficié à près de 11 000 PME et ETI à fin 2013, près du double qu’en 2010 (6 000), selon les chiffres que nous avait livrés Christophe Viprey, directeur des Garanties publiques de Coface, en novembre 2013*.
Réduire de 40 millions d’euros le coût de l’AP pour l’État
Présenté lors d’une réunion interministérielle la semaine dernière, le plan envisagé par Bercy viserait, selon les informations recueillies par la Lettre confidentielle, à réduire de 40 millions d’euros le coût de l’AP pour l’État, qui est de l’ordre de 120 millions d’euros par an.
Il consisterait à resserrer les conditions d’éligibilité des entreprises à cet instrument public et à « raboter » les montants garantis dans plusieurs domaines : suppression du coup de pouce accordé aux sociétés innovantes (la quotité garantie repasserait à 65 % au lieu de 75 % du budget de prospection actuellement) ; réduction d’un tiers du forfait journalier couvrant les frais de mission à l’étranger (il est de 300 euros actuellement) ; baisse de 75 à 50 % de la part des dépenses liées au recours à des prestataires extérieurs (consultants, etc.) pouvant être couvertes; plafonnement des montants couverts par l’Assurance prospection « premiers pas » (A3P), un produit lancé à grand renfort de communication fin 2012 pour aider les très petites entreprises (TPE)…
Pris de court, Medef, CGPME et OSCI sont vent debout contre ce projet. Leur grogne est d’autant plus forte qu’elles n’ont pas été consultées, rompant avec une pratique qui prévalait jusqu’à présent à Bercy. « L’ensemble a été décidé sans le moindre début de concertation avec les entreprises » s’agace François Coulin, vice-président de l’OSCI en charge des relations avec Coface, contacté par la Lettre confidentielle. Cela fait, en effet, près d’un an que la rumeur d’une baisse des fonds alloués à l’assurance prospection court, dans le cadre de la lutte contre le déficit public. Mais l’ancienne ministre du Commerce extérieur Nicole Bricq avait réussi à gagner du temps de sorte que le sujet était devenu, au fil des mois, un serpent de mer.
« C’est encore une politique en zigzags »
« On peut tout imaginer pour faire des économies, nous sommes prêts à en discuter », indique Vincent Moulin Wright, directeur général du Groupement des fédérations industrielles (GFI), affilié au Medef. Mais celui-ci cache mal son amertume. « C’est incompréhensible, car cela porte atteinte à un pilier du dispositif public de soutien aux exportations au moment même où le gouvernement veut mettre les bouchées doubles dans ce domaine : pour les industriels, qui génèrent 80 % des exportations françaises, c’est un nouveau coup dur » soupire-t-il. Et d’ironiser : «Alors que tous les plans gouvernementaux considèrent l’international comme un levier formidable pour le redressement de l’industrie, c’est encore une politique en zigzags ! ».
Même climat à la CGPME, dont un responsable aurait appris le 5 mai l’existence de ce projet au directeur de cabinet de Fleur Pellerin, secrétaire d’État au Commerce extérieur, qui n’était pas au courant !
L’affaire prend du reste une tournure plus politique dans le contexte de la rivalité entre le Quai d’Orsay et Bercy. Car Pierre Moscovici, ex. ministre de l’Économie et des finances, aurait tranché deux jours avant le remaniement ministériel du 3 avril, en présence d’un représentant des cabinets de Nicole Bricq et de son homologue du Budget, Bernard Cazeneuve.
La DG Trésor aurait été priée de plancher rapidement sur un plan d’économie drastique. Intervenant dans l’intervalle qui a suivi la longue maturation des décrets d’attribution du nouveau ministre des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI) sur le Commerce extérieur -près de 2 semaines-, le travail a été mené sans associer les services de son nouveau titulaire. Lesquels n’auraient trouvé rien à redire au coup de rabot proposé lors de la réunion interministérielle.
Douche froide à l’Osci
A l’OSCI, organisation qui regroupe SCI/sociétés de commerce international, et SAI/sociétés d’accompagnement à l’international, la douche est d’autant plus froide que ses membres sont directement touchés par la réduction de la part des prestataires extérieurs : dans le cadre d’une convention signée par l’ancienne secrétaire d’Etat au Commerce extérieur Anne-Marie Idrac, ils avaient obtenu un relèvement à 75 % de la part de leurs prestations pouvant être couvertes par l’AP (au lieu de 30 % auparavant). Ils pensaient en outre avoir enfin obtenu une reconnaissance de leur contribution au commerce extérieur par les pouvoirs publics après le succès de leur conférence du 24 avril sur l’exportation indirecte, d’abord prévue à Bercy puis accueillie au MAEDI**.
«Cela va exclure 30 % des entreprises actuellement soutenues par ce dispositif, soit toutes les PME qui n’ont pas en interne les ressources pour mener une stratégie de développement international dans la durée », assène François Coulin, qui précise que les membres de l’OSCI sont à l’origine d’un tiers des bénéficiaires actuels de l’AP. François Coulin, qui dirige Marex, une société française qui a été pionnière dans la gestion déléguée de l’export – elle gère les service export de quelque 35 PME à l’international actuellement- est d’autant plus amer qu’il avait transmis à Nicole Bricq il y a quelque mois, au nom de l’OSCI, des propositions de réforme de l’AP qui auraient abouti, selon lui, au même résultat sans raboter aveuglément ni réduire l’efficacité du système. « Il s’agit de sortir de la logique de subvention pour gérer ce dispositif davantage dans une logique de gestion du risque », explique le vice-président de l’OSCI.
Ses solutions ? D’abord, supprimer l’A3P qui, pour lui, est un « gadget » et un dispositif « anti-pédagogique » vis-à-vis des TPE et des artisans, qui a entraîné « une multiplication des effets d’aubaine » ; ensuite, augmenter de quelques points les taux d’amortissement (de 7 à 10 % pour les biens et de 14 à 20 % pour les services) et le taux de prime (de 2 à 3 % du budget garanti), ce qui ne nuirait pas aux marges brutes des entreprises bénéficiaires ; et enfin adopter une démarche plus sélective dans l’instruction des dossiers pour réduire la part du « tout venant ».
Sollicités le 6 mai par la LC, le MAEDI et le secrétariat au Commerce extérieur n’ont pas encore fait part de leur position. Les représentants des entreprises, eux, espèrent que la messe n’est pas encore dite. « Nous attendons de Laurent Fabius, qui reprend ce dossier du Commerce extérieur avec des ambitions et des idées nouvelles, qui y nomme Fleur Pellerin qui a une vision moderne, des orientations nouvelles. Il n’est pas impossible qu’il mette fin à ce mauvais coup budgétaire », veut croire Vincent Moulin Wright. En attendant, la nouvelle organisation du Commerce extérieur, dont la stratégie est passée au Quai d’Orsay mais dont les armes techniques et financières sont restées à Bercy, traverse sa première vraie épreuve du feu…
Christine Gilguy
*Aides à l’export : l’enquête de satisfaction qui rassure Coface
**Première conférence sur l’export indirect au… Quai d’Orsay