« Dans une région où l’accès au marché est complexe, mais où les opportunités sont réelles dans les infrastructures, les déchets solides, les services urbains ou l’adduction d’eau, les financements internationaux offrent une façon balisée de gagner des contrats », expliquait Élisabeth Puissant, directrice du bureau régional d’Ubifrance, à Moscou, lors d’un séminaire d’Ubifrance sur « les financements internationaux en Asie centrale », organisée par l’agence publique, le 18 novembre à Paris.
La représentante d’Ubifrance dans la zone faisait notamment référence au poids « lourd » de l’État. « Sachez, prévenait-elle, que dans ces pays on travaille avec ou en concurrence avec l’État. Le secteur privé est quasi inexistant ». Mais, ajoutait Élisabeth Puissant, « ces pays sont riches en ressources naturelles, les hydrocarbures pour le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan, l’eau pour le Tadjikistan, et de grands évènements internationaux vont y être organisés, comme en juin 2015 les Jeux Européens à Bakou (Azerbaïdjan) et en 2017 les Jeux asiatiques à Achgabat au Turkménistan et l’exposition universelle Expo Astana au Kazakhstan ». « C’est incontestablement une zone à fort potentiel de croissance, renchérit Christian Gianella, chef du bureau Turquie, CEI (Communauté des Etats indépendants), Balkans et Moyen-Orient à la direction générale du Trésor (DGT). Et la part de marché y est généralement faible, à peine 2 %, par exemple, au Kazakhstan.
« Les systèmes de transport sont vieillissants »
En Asie centrale, « les enjeux sont l’intégration régionale, le désenclavement et les systèmes de transport vieillissants », délivre Martin Amar, conseiller France pour la Banque asiatique de développement (BAsD), à Manille (Philippines). Tous les bailleurs de fonds – Banque mondiale, BAsD, Banque européenne pour la reconstruction et de développement (Berd), ou organismes bilatéraux, comme l’Agence française de développement (AFD) – opèrent, en fait, dans des secteurs similaires : transport, eau, assainissement, énergie entre autres.
Le groupe de conseil Egis, présent en Asie centrale depuis 25 ans, essentiellement sur financements internationaux, avec une succursale à Astana (Kazakhstan) et une base arrière à Kiev (Ukraine) pour la zone russophone, a décroché toute une série de projets internationaux ces cinq dernières années, notamment deux études régionales, l’une, sur fonds européens, pour les centres de logistique et les autoroutes de la Mer Noire et de la Mer Caspienne, l’autre portant sur la mise à jour de la stratégie Transport mise en place par la BAsD dans le cadre de l’initiative Carec (Central Asia Regional Economic Cooperation) lancée en 2001.
Egis a aussi remporté des affaires dans le rail au Kazakhstan sur financement français (train léger d’Astana) ou de la Berd (développement de la compagnie Kaztemirtrans JSC/KTT), dans la route au Kirghizstan, en Ouzbékistan et au Kazakhstan sur financement européen, de la BERD, de la BAsD et de la Banque mondiale (supervision des travaux entre Osh et Isfana…), dans l’eau avec la BAsD en Ouzbékistan (travaux d’irrigation et gestion des ressources en eau) et avec la Berd au Kirghizstan (amélioration des performances de la Société des eaux de Talas), dans le développement agricole et rural au Turkménistan sur financement européen et au Kazakhstan sur financement français (développement de marchés de gros).
France : une offre regroupée gagnante pour un simulateur en 3 D à Astana
Egis figure aussi dans le groupement Astainable (avec GDF Suez, Eiffage (mandataire), Poma, Enodo, Atlantis et Pierre Gautier Architecture), qui a remporté l’appel d’offres, lancé par le ministère du Commerce extérieur français en 2013 dans le cadre de l’offre française de la ville durable, pour réaliser un simulateur en 3 D d’Astana, la capitale du Kazakhstan depuis 1997, qui sera le siège de l’exposition internationale Expo 2017. Le simulateur va permettre de diagnostiquer les besoins en développement urbain durable et d’identifier des solutions techniques et technologiques adaptées.
« Nous avons associé les pôles de compétitivité, les centres de recherche technologique et les entreprises françaises dans un club industriel qui sert de relais auprès de 2 000 PME », détaille Matthieu Loussier (notre photo), directeur Europe et Asie centrale d’Egis. Selon lui, « les premiers résultats seront présentés début décembre, lors de la visite du président Hollande au Kazakhstan, et l’outil final sera livré en mai prochain à l’occasion du Forum économique d’Astana ».
L’État français a apporté son écot à ce grand projet de simulateur du mieux vivre, qui doit être ensuite utilisé comme une référence et une vitrine dans le monde entier, avec un Fonds d’aide au secteur privé (Fasep) de deux millions d’euros. « Le Kazakhstan est un pays prioritaire pour ce type d’outil. Nous avons ainsi octroyé un Fasep de 411 000 euros pour une étude de la Compagnie européenne d’intelligence stratégique (CEIS), portant sur la réalisation d’une unité pilote de production de modules solaires à Astana », rapporte Christian Gianella, à la direction générale du Trésor (DGT).
Ce Fasep a débouché sur un contrat de 90 millions d’euros pour CEIS et l’opération a aussi profité à d’autres sociétés ou organismes français qui ont été retenus pour leur savoir-faire en matière de services (Commissariat à l’énergie atomique/CEA), fourniture de biens d’équipement pour les lignes de production (ECM Technologies, Semco Engineering) et la toiture solaire (Urbasolar).
L’AFD a commencé à intervenir en Ouzbékistan
La France intervient aussi sous forme de prêt très concessionnel (élément de don de 35 %), dans le cadre de la Réserve pays émergents (RPE), pour appuyer des projets d’infrastructure qui ne seraient pas viables économiquement, à l’instar de la construction par Vinci de l’aérogare de Douchanbé au Tadjikistan. Le groupe français a empoché un contrat de 39 millions d’euros pour la conception-construction et la mise en œuvre des équipements et des systèmes associés.
Enfin, depuis peu, l’Agence française de développement intervient dans la zone, en l’occurrence, encore pour le moment uniquement en Ouzbékistan (mise en place de compteurs électriques intelligents et traitement de déchets solides), alors que d’autres projets sont en cours de discussion au Kazakhstan dans le transport urbain et en Azerbaïdjan dans le transport urbain et ferroviaire national.
De façon générale, l’agence publique est très friande de cofinancements. « Ce qui nous pose, parfois, des problèmes, relate un de ses économistes au département Asie, Bruno Vindel. En effet, dans la zone, les autorités locales n’aiment pas forcément que les bailleurs s’associent pour une même opération et, dans le cas du projet de déchets solide en Ouzbékistan, alors que c’est la Banque asiatique de développement qui est venue nous chercher parce qu’elle ne disposait pas de suffisamment des fonds, au final, c’est nous qui réalisons seuls le projet ».
Les entreprises françaises peuvent aussi décrocher des belles affaires en cognant à la porte de la BAsD. Au 24 octobre dernier, la banque a engagé 15,2 milliards de dollars de prêts et subventions dans 124 projets et 126 millions de dollars pour l’assistance technique dans 99 projets. Par secteur, le transport (40 %) et l’énergie (27 %) étaient les mieux servis, mais, dans le programme indicatif de la Banque pour 2015-2017, un meilleur équilibre est respecté entre énergie (29 %), transport (24 %), services urbains (21 %), secteur public (18 %) et agriculture et ressources naturelles (8 %).
La Banque mondiale ou la Berd sont encore très actives en Asie centrale. Au Kazakhstan l’institution européenne a engagé 500 millions de dollars l’an passé. Elle investit notamment dans l’eau et les infrastructures, par exemple la grande rocade d’Almaty, principale ville du Kazakhstan. « D’une longueur de 65,4 kilomètres, l’ouvrage va coûter 740 millions de dollars. L’appel d’offres sera lancé à la fin de l’année », précise Catarina Bjorlin-Hansen, responsable de l’Asie centrale au département Infrastructures environnementales et municipales (MEI).
Des partenaires locaux sont indispensables
« Ce qui est important dans les appels d’offres, c’est que tout est bien réglementé et encadré », observe Matthieu Loussier. Quant à la réalisation des projets, elle est plutôt sûre. Pour les paiements, Egis dispose d’un compte bancaire en France et, en cas de litige, c’est plus facile parce que les contrats sont généralement assez équilibrés et que le bailleur de fond peut même jouer le rôle de médiateur entre l’entreprise et son client.
Reste que des partenaires locaux sont indispensables, « et des partenaires qui soient agréés par les clients », insiste Matthieu Loussier, pour de multiples raisons. Notamment parce qu’il faut respecter des normes et des règles locales héritées en général de l’ex-Union soviétique. Au demeurant, si l’anglais est utilisé dans les contacts, le russe est la langue de travail. Il faut encore obtenir les licences indispensables et traiter les exigences de contenu local.
Pour identifier des partenaires fiables et intègres, Egis s’est abonné à des bases de données sur les entreprises et leurs dirigeants et impose à ses partenaires de remplir des formulaires de reporting tant pour la phase d’appel d’offre que de réalisation des projets. « Il faut savoir que la Banque mondiale et la Banque asiatique de développement se sont dotées de services Intégrité particulièrement efficaces », plaide Matthieu Loussier. Et le risque, avertit le dirigeant d’Egis, « c’est que si dans une opération des CV trafiqués apparaissent, l’entreprise se retrouve black listée pendant plusieurs années ». Un risque, donc, à éviter à tout prix.
François Pargny
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