Le dernier Conseil présidentiel pour les partenariats internationaux (CPPI) appelle à une convergence des orientations de l’aide publique au développement (APD) et des priorités stratégiques de l’économie française, impliquant une coopération accrue entre le groupe AFD et les opérateurs en charge des aides à l’export des entreprises. Certaines de ces conclusions seront au menu du prochain Conseil présidentiel du Commerce extérieur, prévu le 13 mai. Nous avons interrogé l’AFD et Bpifrance sur ce que cela signifie concrètement dans leur manière de travailler avec les entreprises. Enquête.

« Concrètement il s’agit de mieux articuler les différents outils, mais toujours dans le cadre de l’aide déliée » souligne Marie-Hélène Loison, directrice générale adjointe de l’Agence française de développement (AFD), commentant les dernières conclusions du CPPI (ci-contre). Cela se justifie d’autant plus que selon elle, « un certain nombre de pays et d’entreprises ont envie de davantage de technologies et de savoir-faire français. »
Le groupe AFD, qui comprend également la filiale dédiée au financement du secteur privé Proparco et celle dédiée à l’assistance technique Expertise France, est le plus important opérateur de l’aide publique au développement (APD) française : près de 13,5 milliards d’euros d’activité en 2023, dont 11,4 de nouveaux projets signés, selon son bilan 2023. Elle consacre, entre autres, 1,5 milliard d’euros chaque année à financer des projets qui donnent lieu à des appels d’offres internationaux.
La question paraît simple : comment faire en sorte qu’une part plus importante de ces projets puisse être réalisée par des entreprises françaises alors que l’AFD est tenu par les engagements de la France remontant à l’après-guerre de respecter le principe de l’aide déliée, autrement dit, non conditionnée à des achats de biens et services Made in France ?
Dialogue au sein des filières et veille sur des pays prioritaires
A Paris, le dialogue en amont s’organise notamment au sein des comité stratégiques des sept filières prioritaires identifiées en 2023 : santé, agriculture, transports, numérique, transition énergétique, ville durable et industries culturelles et créatives. Les comités se réunissent une à deux fois par an. « Il s’agit de se parler afin d’être le mieux informé possible des dernières nouvelles et offres ». Ce dialogue a également lieu localement, dans chaque pays.
« Notre travail, c’est aussi d’identifier des projets sur lesquels des offres françaises peuvent être pertinentes » souligne la directrice générale de l’AFD. Dans ce but, l’AFD et la direction générale du Trésor, qui se réunissent chaque mois dans le cadre d’un comité, ont conclu un accord de coopération visant à assurer une veille systématique sur les projets en gestation dans 13 pays prioritaires : en Afrique, le Maroc, l’Egypte et le Sénégal, en font partie, en Asie, ce sont le Bengladesh, le Cambodge, l’Indonésie, en Amérique latine, le Brésil ou encore en Europe, le Brésil en fait partie.
« L’idée est de structurer des packages d’offres industrielles et financières, explique Marie-Hélène Loison. Il s’agit de mieux travailler sur le continuum depuis la préparation de projet jusqu’à l’offre financière. C’est une démarche très structurante pour orienter les projets ».
Des aides à l’export clairement « liées »
Précisons que contrairement à l’AFD, le Trésor octroi des financements clairement « liés » à des exigences fermes de part française : prêts directs aux États pour le financement de grands projets d’infrastructures (part française de 50 à 70 %), subventions aux études de faisabilité et démonstrateurs réalisés par des entreprises françaises dans le cadre du Fasep (Fonds d’étude et d’aide au secteur privé), pour lequel une part française de 85 % est exigée.
C’est aussi le cas de Bpifrance, dont la filiale Bpifrance assurance export gère l’assurance-crédit publique export : la part française minimum exigée pour en bénéficier est de 20 %.
Un bon taux de participation des fournisseurs français
Les cas où cette meilleure articulation des outils a pu être mis en œuvre ne manquent finalement pas. A l’instar du projet de TER de Dakar, qui a bénéficier d’un financement de l’AFD mais aussi d’un prêt du Trésor, mais aussi de la LGV du Maroc. Dans ces opérations, Bpifrance assurance export est aussi intervenue pour des crédits export finançant des exportations de matériels et de services. « L’idée aujourd’hui est de proposer ce genre de démarche le plus en amont possible des projet » souligne encore la directrice générale adjointe de l’AFD.
Sur la période 2020-2023, 50 % des appels d’offre internationaux financés par l’AFD ont bénéficié à des fournisseurs français, le reste se répartissant entre les entreprises locales (25 %), les entreprises de l’Union européenne (8 %) et les entreprises de pays tiers (20 %, dont 10 % de fournisseurs chinois). « Cela montre que même dans le cadre de l’aide déliée, l’offre française peut être valorisée » glisse Marie-Hélène Loison.
C’est davantage avec Proparco que Bpifrance trouve des complémentarités sur le terrain, avec comme terrain de jeu privilégié l’Afrique.
Les terrains de coopération de Bpifrance et Proparco
« Cela fait quatre ans que l’État veut ce rapprochement, souligne Arnaud Floris, responsable Afrique de Bpifrance, évoquant les dernières conclusions du CPPI. Mais c’est plutôt sur le terrain que nous avons évolué car nous avons fait le constat que nous sommes très complémentaires dans nos outils ». « Nous nous sommes beaucoup rapprochés de Proparco car nous avons le même ADN de banquier, ajoute le responsable. L’idée est de faire plus d’opérations communes avec davantage de part française ».
L’Afrique a été un terrain d’expérimentation privilégié car les deux banques publiques y sont très actives. Au Sénégal, récemment, elles ont mené une mission commune de prospection dans la vallée du fleuve Sénégal. Un projet d’achat de deux fermes avicoles a été bouclé. « Le marché des équipements agroindustriel présente un important potentiel dans toute l’Afrique » complète Arnaud Floris.
Quelles vont être les prochaines étapes après de CPPI, dont certaines orientations sont renvoyées au prochain Conseil présidentiel du Commerce extérieur, le 13 mai ?
Le plan « Connect » vise à identifier les fournisseurs français pertinents

« Concrètement, à court terme, nous souhaitons générer davantage de part française dans les opérations que Proparco finance, indique Olivier Vincent, directeur exécutif Export de Bpifrance (ci-contre). A moyen long terme, nous souhaitons développer plus d’opérations communes, en cofinancement ou co-investissement. Cela ne va pas se traduire par une augmentation spectaculaire des dossiers dès cette année, nous irons pas à pas ».
Pour générer davantage de part française dans les projets en Afrique, il faut, selon lui, « raisonner en termes de plan de financement au moment où on réunit un tour de table de prêteurs ». Et être en mesure de proposer des solutions françaises compétitives.
C’est tout l’objet de la stratégie du plan « Connect » du service export de la banque publique française, lancé sans tambours ni trompettes il y a un an. Il vise à détecter des « leads » pour les fournisseurs français, autrement dit des acheteurs potentiels de leurs équipements et services.
C’est aussi une déclinaison concrète des forums d’affaires « Inspire & Connect » organisés dans un pays d’Afrique chaque année – le dernier a eu lieu à Nairobi en novembre 2024- pour aider la mise en relation entre PME et ETI tricolores et leurs homologues africaines. « Nous allons chercher les acheteurs et nous les mettons en relation avec nos clients en France » résume Olivier Vincent. Les profils recherchés ? Des entreprises africaines « bancables » et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 6 millions d’euros.
Christine Gilguy