La macromania n’a pas déferlé sur Bercy, mais il soufflait un vent d’optimisme. Le IXe Forum économique international Amérique latine Caraïbes (notre photo), qui se tenait ainsi au ministère de l’Économie, le 9 juin, n’a pas fait l’économie de petites phrases enthousiastes sur l’avènement d’un nouveau président de la République en France.
Deux de ses homologues, les chefs d’État du Pérou et du Guatemala, Pedro Pablo Kuczynski et Jimmy Morales, participaient à ce rendez-vous traditionnel, ouvert cette année par le nouveau ministre de l’Économie. Bruno Le Maire n’a pas ainsi manqué de rappeler, au moment où les États-Unis semblent s’orienter vers plus d’isolationnisme, que « la France est fortement opposée au protectionnisme », tout en plaidant « pour une meilleure régulation des échanges ».
Selon l’hôte de Bercy, c’est « pour que tous bénéficient du commerce international » que le gouvernement français est partisan d’accords commerciaux « de nouvelle génération ». Et, à cet égard, a-t-il précisé, en présence également d’Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), et Luis Alberto Moreno, président de la Banque inter-américaine de développement (BID), « les négociations commerciales multilatérales et bilatérales, notamment avec le Mercosur et avec le Mexique, ne doivent pas se limiter à la seule dimension tarifaire, mais inclure aussi les problématiques non tarifaires ».
Les temps changent
Né dans les années 90 à l’initiative du Brésil, de l’Argentine et du Venezuela (à l’heure actuelle, suspendu de l’organisation), le Mercosur, qui compte aussi l’Uruguay et le Paraguay, jouait à l’origine un rôle surtout politique, la création d’un tarif extérieur commun (Tec), n’étant pas évoqué. Ce n’est pas le cas de l’Alliance du Pacifique entre le Mexique, le Pérou, le Chili et la Colombie, fondée à Lima le 8 avril 2011 à l’initiative du président péruvien de l’époque, Alan Garcia Perez, qui, à la fin de cette année, pourrait avoir complété une Union douanière déjà réalisée à plus de 90 %.
L’Alliance Pacifique avait pour objectif à l’origine, comme l’indique son nom, de renforcer les liens avec l’Asie-Pacifique. Mais les temps changent. L’isolationnisme des Etats-Unis, les relations difficiles entre Washington et Mexico depuis l’élection de Donald Trump ont poussé les deux communautés régionales à se rapprocher, d’abord par solidarité vis-à-vis du Mexique sous l’impulsion du Brésil et de l’Argentine, ensuite par réflexe d’autodéfense à l’encontre des États-Unis.
Preuve encore de changements profonds en Amérique latine, le pays du président Enrique Pena Nieto, qui dispose depuis 2000 un accord de libre-échange (ALE) avec l’Union européenne (UE) dans les biens et services, en négocie aujourd’hui « la modernisation » pour l’étendre à de nouveaux domaines : investissement, marchés publics, énergie, barrières non tarifaires, mesures phytosanitaires, appellations d’origine, cohérence des réglementations. Selon le Trésor français, la finalisation d’un accord modernisé avec le Mexique serait ainsi en bonne voie.
Enfin, le Mercosur, dont les relations avec l’UE ont toujours été compliquées en raison du volet agricole, et l’UE, en proie à ses propres doutes, ont renoué le dialogue.
L’Argentine en pleine révolution
S’il est un pays sud-américain qui traduit bien une évolution positive vers plus d’ouverture, c’est bien l’Argentine de Mauricio Macri, élu à la plus haute magistrature, le 22 novembre 2015. Le rapprochement entre Buenos Aires et Brasilia, les deux locomotives du Mercosur, est patent depuis la victoire de cet ancien homme d’affaires, alors que « pendant les quinze dernières années, le gouvernement était resté fermé et peu d’accords commerciaux avaient été signés », soulignait à Paris Francesco Cabrera, ministre argentin de la Production.
Mais aujourd’hui, Buenos Aires a déposé sa demande d’adhésion à l’OCDE et s’apprête à recevoir la conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) du 11 au 14 décembre, avant d’accueillir, l’année prochaine, le 13e Sommet du groupe des Vingt (G20), le premier en Amérique du Sud.
Francisco Cabrera a dévoilé qu’une « lettre » avait été déposée à la BID « pour une intégration entre l’Argentine et le Brésil ». Pour son pays, les priorités sont, dans l’ordre, le Mercosur, l’Alliance du Pacifique et l’UE. Selon lui, « le fait que le TTIP avec les États-Unis (traité de partenariat transatlantique) a échoué a incité l’UE à miser plus sur le Mercosur ».
Les mêmes priorités ont été citées par le ministre brésilien des Finances, lors du forum de Bercy. « L’Argentine et le Brésil jouent la carte de l’intégration », a confirmé Henrique Meirelles, qui a également indiqué que le gouvernement avait concocté « une série de réformes pour moderniser l’économie et préparer le pays à son adhésion à l’OCDE » et s’était déjà prononcé pour « une plus grande intégration au sein du Mercosur et avec la communauté internationale ». A cet égard, il a mentionné que « des négociations préliminaires avec le Royaume-Uni étaient entamées pour un traité après le Brexit et que, dans un souci de plus grande intégration commerciale et d’investissement, des relations étaient nouées avec le Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande ».
Investir dans les infrastructures et l’énergie
Faisant allusion au Mercosur et à l’Alliance du Pacifique, le président exécutif de la Banque de développement latino-américaine (CAF), Luis Carranza Ugarte, a, de son côté, insisté pour « que ces blocs arrivent à s’intégrer encore plus ». Et ce, déjà pour tenir compte des « réalités physiques ». Le dirigeant de la CAF a rappelé qu’au-delà « des défis que représentent la Cordillère des Andes et la forêt amazonienne, il n’y a pas de bonnes connexions entre les pays de la région » et que, par conséquent, il est nécessaire d’investir dans les infrastructures de communication et dans l’énergie. Mais aussi dans l’intégration des marchés financiers et des filières de production. A cet égard, Luis Carranza Ugarte a pris l’exemple du cuivre, encourageant à la création d’un cluster transfrontalier entre le nord du Chili et le sud du Pérou, où se trouverait la moitié des réserves mondiales.
« Développer les systèmes de transport est essentiel pour que les deux blocs, Mercosur et Alliance du Pacifique, profitent pleinement de leur double exposition maritime sur l’Atlantique et le Pacifique », a renchéri la Costaricaine Rebeca Grynspan, secrétaire générale du SEGIB (Secrétariat général ibéro-américain), basé à Madrid, qui prône plus de pragmatisme. D’où sa proposition de lancer un programme de facilitation commerciale et de renforcer l’intégration non seulement par les infrastructures, mais aussi « pour la population », en développant « les accompagnements universitaires, la recherche, les marchés numériques ».
Pour développer les infrastructures, la dirigeante du SEGIB a milité pour l’essor des partenariats public-privé (PPP), ce qui nécessite, selon elle, un changement de comportement de la part des États. « Ce n’est pas seulement une question règlementaire, il faut donner confiance », a-t-elle assuré, en estimant que « les fonds publics seraient toujours insuffisants ». Il n’y a pas d’autre choix, si l’Amérique latine veut gagner le pari des communications.
François Pargny
Pour prolonger :
–UE / Mercosur : le bloc sud-américain espère signer un accord de libre-échange en 2017
–UE / Mercosur : le scandale de la viande avariée brésilienne pèse sur les négociations