A l’occasion du lancement de l’Alliance des médicaments critiques le 24 avril à Bruxelles, Roland Lescure, ministre délégué à l’Industrie et l’Energie, et Frédéric Valletoux, ministre délégué en charge de la Santé et de la Prévention, ont présenté un manifeste pour un plan d’investissement dans les relocalisations de la production. Huit pays leur ont déjà emboîté le pas.
Un véritable parcours du combattant. Quatre ans après la pandémie de Covid-19, il est toujours très difficile de trouver en pharmacie certains médicaments : des antibiotiques (Augmentin, Clamoxyl), des traitements contre le diabète (Trulicity, Ozempic, Victoza), des collyres (Cosidime, Vitabact, Tobrex, Tobrabac), des corticoïdes (Cortisone, Solupred) ou encore des antifongiques pour enfants (Mycostatine, Fungizone).
En France, l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a enregistré l’année dernière 4 925 signalements de ruptures (contre 3 761 en 2022 et 2 160 en 2021), mais ces pénuries touchent également les autres pays européens, ainsi que les Etats-Unis et le Canada. Si ce phénomène n’est pas nouveau (il dure depuis une dizaine d’années), la crise sanitaire puis la guerre en Ukraine et leurs conséquences sur les chaînes d’approvisionnement de l’industrie pharmaceutique l’ont gravement accentué. Entre 2016 et 2023, le nombre de signalements à l’ANSM a ainsi été multiplié par 12.
L’Asie pointée du doigt
En cause : la disponibilité des principes actifs des médicaments, provenant à entre 60 % et 80 % d’Asie, principalement de Chine et d’Inde. « La crise sanitaire nous a fait collectivement prendre conscience de notre dépendance et de la nécessité de mener une politique déterminée de réindustrialisation en matière de santé », résume le communiqué du gouvernement français annonçant la présentation d’un plan d’investissement en faveur des relocalisations à l’occasion du lancement de l’Alliance des médicaments critiques par la Commission européenne.
Cette initiative prône des « actions coordonnées au niveau européen » et propose de « mieux intégrer les critères liés à la résilience des chaînes d’approvisionnement européennes dans le cadre des marchés publics ». Pour les médicaments dont la production en Europe « n’est pas viable sans une aide publique significative » il préconise un « projet important d’intérêt européen commun (PIIEC) ciblé sur les capacités de production de médicaments critiques ». Huit Etats membres ont déjà indiqué leur soutien : les Pays-Bas, la Grèce, l’Italie, la Hongrie, Malte, la Slovaquie, Chypre et la Roumanie.
Bruxelles lance une Alliance pour sécuriser l’approvisionnement
Ces sujets seront débattus dans le cadre de l’Alliance pour les médicaments critiques lancée (pour 5 ans) par la Commission européenne et dans laquelle la France espère jouer un rôle moteur. Annoncée pour la première fois en octobre dernier, elle compte 250 membres inscrits et réunit les autorités nationales, les entreprises, les organisations de soins de santé ainsi que les représentants de la société civile. Cette alliance aura pour première tâche de déterminer les meilleures mesures à mettre en place pour remédier aux pénuries.
Ce mécanisme consultatif devra œuvrer à l’amélioration de la sécurité de l’approvisionnement, renforcer la disponibilité des médicaments et réduire les dépendances de la chaîne d’approvisionnement de l’UE. Pour ce faire, elle formulera des recommandations sur les goulets d’étranglement dans la chaîne d’approvisionnement des médicaments critiques de la liste publiée par l’UE en décembre 2023. Cette dernière comprend plus de 200 substances considérées comme essentielles. A la fin de ce mois d’avril, l’analyse des vulnérabilités d’une première tranche de 11 médicaments sera prête à être examinée. Toutes ces recommandations formeront un plan stratégique pluriannuel contenant des étapes et des échéances pour leur mise en œuvre.
Les discussions au sein de l’Alliance permettront à la Commission à recenser des « projets d’investissement innovants » qui pourraient bénéficier de financements européens et nationaux. L’Alliance examinera également comment les incitations commerciales, telles que la possibilité d’étendre le recours aux contrats de réservation de capacités et à la passation conjointe de marchés, peuvent être utilisées pour renforcer la sécurité de l’approvisionnement.
Le facteur prix
« Concrètement, l’Alliance permettra d’améliorer l’échange d’informations entre les Etats membres, pour anticiper les tensions et y répondre plus rapidement, a résumé Roland Lescure dans un entretien au site Euractiv. Ensuite, elle vise à changer les règles de la commande publique. De nombreux médicaments sont en effet achetés par la puissance publique. Si on change les règles de commande publique, on peut acheter plus français et européen, ce qui changera de manière très concrète les pénuries. »
Ce qui pose la question du prix de ces médicaments produits en Europe, forcément plus chers que ceux fabriqués dans des pays à bas coûts de production comme la Chine et l’Inde. « Il y a 40 % d’écart de prix, dont la moitié vient de la qualité environnementale, constate le ministre délégué. Si on renforce les normes, on va réduire les écarts de prix. » Autre question posée par la volonté de relocaliser la production en Europe, celle de sa viabilité économique, a fait l’objet en 2021 d’une étude de BCG qui compare la compétitivité française avec celle des 19 plus grandes économies productrices de produits manufacturés. Résultat : dans la biopharmaceutique, la France ne rentre pas dans le top 10.
Enfin, si le manifeste présenté par Roland Lescure et Frédéric Valletoux se focalise sur les relocalisations et la réindustrialisation, il semble que leur délocalisation ne constitue pas le seul facteur expliquant les pénuries. Ainsi, fin février, le président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (Uspo) Pierre-Olivier Variot s’étonnait dans Le Point de « ruptures qu’on n’explique pas ». « Nous avons des pénuries de médicaments alors qu’ils sont stockés par les industriels. »
Sophie Creusillet