L’Allemagne, championne de l’export, s’appuie sur une normalisation forte dans ses activités industrielles pour imposer ses modèles sur le marché européen. Dans les secteurs les plus normalisés, les fédérations professionnelles saluent le lien entre normes et croissance. En France, des secteurs comme la fabrication de piscines tentent d’adopter une stratégie similaire pour prendre le marché de vitesse.
Une étude macroéconomique publiée en juin 2011 sous la direction de Knut Blind, professeur d’économie de l’innovation à l’université technique de Berlin, atteste de l’impact prépondérant de la normalisation sur la croissance de l’économie allemande. En valeur, l’impact économique de la collection actuelle de normes a été chiffré à 16,77 milliards d’euros par an, en moyenne, sur la dernière période observée, entre 2002 et 2006. La contribution de la normalisation à la croissance économique allemande s’établit à 0,72 % du produit intérieur brut, contre 0,3 % seulement de contribution à la croissance pour le capital et 0,5 % pour les ventes de licences. « La normalisation est un puissant levier de la croissance économique », observe Knut Blind, assisté dans son étude par André Jungmittag, de l’université des sciences appliquées de Francfort, et par Axel Mangelsdorf, conseiller à la Banque mondiale et à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). « La croissance macroéconomique ne dépend pas seulement de la création et/ou de l’importation de nouvelles connaissances, mais également, si possible, d’une rapide et large vulgarisation ou diffusion de ces connaissances au sein d’une économie nationale, poursuivent les auteurs de l’étude. Cette diffusion est représentée, dans le modèle empirique, par le nombre de normes. » Le stock de normes en Allemagne est passé de moins de 10 000 en 1961 à près de 35 000 en 2008, avec une progression de plus de 25 % sur les dix dernières années. « On constate, après la réunification allemande, un effet stabilisant des normes sur la croissance, qui est de l’ordre de 0,7 % à 0,8 % du produit intérieur brut », concluent Knut Blind et ses collègues.
Le soutien sans faille du BDI
Le Bundesverband der Deutschen Industrie (BDI), confédération nationale de l’industrie allemande, considère la normalisation comme un élément stratégique important au service de la compétitivité de l’économie nationale et de l’export. « La norme propose un langage commun dans tous les maillons de la chaîne de création de valeur, estime Mirjam Merz, référente en charge de la normalisation au sein du BDI. La norme facilite l’accès aux marchés mondiaux. C’est essentiel pour notre économie exportatrice.
Les industriels qui participent aux travaux de normalisation peuvent, enfin, supporter les technologies qui soutiennent leur marché et s’ouvrir des perspectives à l’international. » La confédération représente les intérêts de 38 fédérations de branches en Allemagne, soit une centaine de milliers d’entreprises, totalisant 8 millions de salariés. Le Bundesverband der Deutschen Giesserei-Industrie (Bdguss), fédération de la fonderie allemande, un secteur dont le chiffre d’affaires a progressé de 15 % en 2011, voit l’activité de ses entreprises membres tirées par le marché international très normalisé de la machine-outil : l’export (+ 17 %) progresse plus rapidement que le marché national.
Les industriels de la céramique, représentés par le Bundesverband Keramische Industrie (BVKI), proches des secteurs du bâtiment, voient leur marché national subir les tensions engendrées par des importations de produits à bas coûts. Mais l’export vers les pays de l’Union, soutenu par la normalisation européenne, progresse plus vite que le marché local. Même son de cloche dans la construction navale – Verband für Schiffbau und Meerestechnik (VSM) –, où les chantiers de cargos, de yachts, de plateformes offshore rencontrent un fort potentiel de croissance à l’export. « Fin septembre 2011, les carnets de commandes font état de 71 cargos à construire, pour un volume de 8 milliards d’euros, avec une part à l’exportation de 97 %, indique la fédération VSM dans son rapport annuel. Les équipementiers et les chantiers navals peuvent continuer de profiter des nouvelles exigences environnementales et des normes qui régulent ce marché pour poursuivre le développement favorable engagé en 2011. »
Cet article est extrait du dossier « Les normes, voies d’accès aux marchés malgré la crise mondiale » publié dans le numéro de mars d’« Enjeux », le magazine de la normalisation et du management édité par l’Afnor. Nous le publions avec l’aimable autorisation de la rédaction du magazine. On peut se procurer le magazine en allant sur le site : www.enjeux.org
Olivier Mirguet
Revue « Enjeux », Afnor Editions
Mars 2012, n° 322
Les normes, arme secrète des fabricants de piscines
« La norme, à l’export, c’est encore compliqué ! » Jacques Braun, président-directeur général de Waterair, possède à son catalogue près de 200 000 modèles de piscines en kit. Son entreprise, installée à Seppois-le-Bas (Haut-Rhin), réalise 55 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont 30 % à l’export. « Dans notre profession, il y a plusieurs types de normes à respecter, en commençant par les normes électriques, les structures ou la sécurité.
Mais en Espagne, sur l’un de nos marchés porteurs, la décentralisation orchestrée par les 17 communautés autonomes nous impose de nous adapter, à chaque fois, à des exigences différentes. D’où l’intérêt d’une normalisation européenne, qui s’imposerait à tous. » La Fédération des professionnels de la piscine (FPP), à Paris, s’est engagée pour obtenir, contre l’avis de l’Allemagne, réticente, la création du comité technique Cen/TC 402 consacré aux piscines et aux spas domestiques.
Les travaux, qui aboutiront à une normalisation européenne des structures et des équipements de filtration, ont commencé en septembre 2011. La France a obtenu le secrétariat du WG 1 Structures de piscines : conception, fabrication, installation. L’Allemagne a obtenu le second secrétariat consacré à la circulation, à la filtration et au traitement de l’eau. « Ces travaux de normalisation sont stratégiques pour nous, parce que la norme définira un niveau de qualité élevé sur les différents marchés, observe Jacques Braun. À l’export, on pourrait militer pour durcir dans certains pays les normes existantes. Au Maroc, par exemple, les sociétés internationales bien introduites vont mieux se faire entendre quand elles s’appuieront sur une norme forte venue d’Europe. »
« On a la maîtrise du groupe de travail, avec des normes françaises bien en place depuis 2001 sur les piscines en kit et depuis 2004 sur la sécurité, rappelle Joëlle Pulinx Challet, déléguée générale de la Fédération des professionnels de la piscine. En partant d’une copie nationale, c’est plus facile de piloter des travaux au sein d’un comité européen de normalisation. » Avec 2 800 entreprises et entre 28 000 et 30 000 emplois en France, ce secteur essentiellement composé de PME-PMI totalise 1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires. La France est le premier marché européen pour les piscines familiales. « Les piscines en kit, qui s’exportent, ne représentent qu’une partie de notre marché, précise Joëlle Pulinx Challet. Cela n’a pas empêché les Allemands de bloquer, pendant trois ans, la création de ce TC 402, parce qu’ils voulaient imposer en Europe, dans les piscines familiales, des normes de piscines publiques qui existent déjà chez eux. »
Pour Waterair, les travaux de normalisation européenne en cours traduisent aussi une volonté de protéger le marché européen contre des produits importés depuis l’extérieur de l’Union. « Je n’aime pas l’idée de mettre des barrières, déclare Jacques Braun, mais la norme a l’avantage de réguler ce qui est importé. La concurrence chinoise est forte dans les sous-produits comme les pompes de filtration. La profession se dit qu’elle risque de perdre des affaires parce qu’ils sont moins chers, mais déceptifs parce que ces éléments seraient de mauvaise qualité ou présenteraient des risques sanitaires pour les baigneurs. Dans trois ans, la norme européenne sera à la fois un outil défensif et offensif. »
O. M.
Revue « Enjeux », Afnor Editions.
Mars 2012, n° 322