L’économie allemande souffre, à l’instar de son industrie, plombée par les déboires de l’automobile. C’est dans ce contexte que la campagne électorale pour le scrutin fédéral du 23 février s’est déroulée, marquée par la percée du parti d’extrême-droite AfD. Avec quels enjeux pour le premier partenaire commercial de la France ? Revue de détail dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS.
Pour la deuxième année d’affilée, l’Allemagne a connu la récession en 2024. Après avoir baissé de 0,1% en 2023, son PIB a baissé de 0,2% l’an dernier, selon les chiffres publiés par l’Office fédéral de statistiques allemand (Destatis) le 15 janvier.
Le secteur industriel, qui pèse 20 % du PIB en Allemagne contre 10 % en France, symbolise bien les difficultés qui s’amoncellent outre-Rhin, et constituera à n’en pas douter le dossier prioritaire sur le bureau du Chancelier qui s’imposera après l’élection fédérale prévue ce dimanche.
Plans sociaux massifs
L’année 2024 a en effet été marquée par des annonces de plans sociaux massifs, parmi les fleurons industriels allemands. Chez Volkswagen, un accord conclu fin décembre a acté la suppression historique de 35 000 emplois d’ici à 2030. Quelques semaines auparavant, c’est le groupe Bosch, premier équipementier automobile du monde, qui annonçait la suppression de 10 000 postes sur le territoire allemand.
Autres annonces marquantes : 11 000 emplois doivent disparaître chez ThyssenKrupp, 5 000 chez Continental, 14 000 chez ZF, 2 900 chez Ford. De quoi laisser augurer des difficultés à venir sur le marché du travail, qui a jusqu’ici fait preuve de résilience, estime Le Monde.
Des actions malmenées sur le marché
Ces difficultés du secteur industriel sont aussi perceptibles en bourse, où les actions de tous les groupes automobiles allemands ont enregistré des baisses de valeur. Les entreprises chimiques Bayer et BASF ont également laissé des plumes, en 2024.
Seuls le groupe d’armement Rheinmetall (+116%) et le fabricant de turbines d’avions MTU Aero Engines (+66%) ont connu des envolées liées à la guerre en Ukraine.
De son côté, le MDAX, l’indice des entreprises à moyenne capitalisation et le SDAX, celui des entreprises à petite capitalisation, sont tous deux nettement dans le rouge depuis 2021.
« La récession industrielle touche en premier lieu les entreprises cycliques, celles qui suivent les variations de l’économie et qui sont représentées de manière importante dans ces segments d’actions », analyse Yvan Roduit, conseiller investissement du groupe bancaire Raiffeisen Suisse.
Les échanges commerciaux France Allemagne en 2024
Les exportations françaises de biens en Allemagne subissent le contrecoup de la récession allemande : avec 77,8 milliards d’euros (Md EUR) en 2024, elles ont reculé de 5,3 % par rapport à 2023. Les importations en provenance d’Allemagne sont elles aussi moins dynamiques : -4,6 % en 2024, à 86,6 Md EUR. Le solde commercial reste fortement déficitaire : -8,7 Md EUR, contre -8,6 Md en 2023. L’Allemagne reste toutefois, de loin, le premier partenaire commercial de l’Hexagone : elle absorbe pour 13,2 % de ses exportations dans l’Union européenne et pèse 12,6 % de ses importations en provenance de l’UE.
Source : Le Moci, à partir des données du Rapport sur le Commerce extérieur de la France 2025 de la DG Trésor.
Modèle industriel fragilisé, hésitations face à la Chine
Les causes de ce marasme sont connues : le modèle industriel allemand, reposant sur une forte capacité d’innovation, une énergie bon marché et un excédent commercial massif, a volé en éclat.
Bousculé par la flambée des prix de l’énergie depuis l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, l’industrie allemande subit aussi la concurrence écrasante de la Chine, et les tensions commerciales globales qui promettent d’atteindre leur apogée avec Donald Trump.
Face à ces chocs externes, l’Allemagne n’a fait que démontrer sa vulnérabilité. Crispée sur le front énergétique, au point d’irriter ses partenaires européens et peu en verve face aux États-Unis, Berlin a aussi peiné à défendre une ligne claire face à Pékin.
Incapable d’obtenir des garanties relatives à l’ouverture du marché chinois aux produits allemands, le chancelier Olaf Scholz ne s’en est pas moins opposé aux sanctions européennes contre les véhicules électriques chinois, tout en tentant de convaincre son industrie de réduire ses dépendances critiques à l’Empire du Milieu.
Sans grand succès : les géants allemands ont continué à investir lourdement dans le pays, en dépit du verrouillage toujours plus fort de son marché.
La position de Berlin pourrait toutefois changer radicalement. C’est du moins ce qu’a laissé entendre le favori à la Chancellerie, Friedrich Merz, le leader de l’alliance conservatrice CDU-CSU, créditée d’environ 30% des intentions de vote.
Qualifiant l’investissement en Chine de « décision à haut risque », M. Merz a ainsi mis en garde, fin janvier, les entreprises qui se retrouveraient en difficulté après avoir fait un tel choix. « Vous ne devez en aucun cas vous tourner vers l’ État pour qu’il vous aide sur le plan économique dans une telle situation », a-t-il averti.
Manque de cohérence de la politique économique
Au-delà des chocs externes, les difficultés de l’industrie allemande tiennent au manque de cohérence de la politique économique menée par la coalition au pouvoir depuis 2021.
Déchiré entre ses trois composantes, sociale-démocrate, verte et libérale, le gouvernement fédéral, trop hésitant, a semé la défiance parmi les patrons du tissu industriels, comme l’explique un reportage très intéressant de Médiapart.
« Nous fabriquons des ventilateurs pour pompes à chaleur, illustre Joachim Ley, P-dg de Ziehl-Abegg, cité par Mediapart. Un projet de loi prévoyait à l’origine que les systèmes de chauffage utilisant des combustibles fossiles seraient complètement interdits. En conséquence, d’importants investissements ont été réalisés dans des usines de pompes à chaleur, en Allemagne ou en Europe de l’Est. Ces immenses projets ont ensuite implosé en quelques semaines parce que la loi n’a pas été introduite comme prévu au départ ».
Rétablir la confiance de l’industrie
La future coalition parviendra-t-elle à rétablir la confiance avec son industrie ? L’ascension de l’AfD, une formation d’extrême-droite qui attire environ 20 % des intentions de vote, n’incite pas à le penser.
« Les plans de l’AfD visant à faire sortir l’Allemagne de l’UE et de la zone euro sont non seulement dangereux, mais aussi destructeurs pour la croissance économique allemande, explique à BLOCS Jeanette Süss, chercheuse au Comité d’études des relations franco-allemandes (Cerfa) de l’Ifri. Par ailleurs, l’AfD adopte une posture opposée à l’innovation, notamment en matière de mobilité électrique et d’énergies renouvelables ».
En dehors de l’AfD, qui ne devrait pas faire partie de la future coalition gouvernementale, les autres formations politiques, et notamment les sociaux-démocrates et les conservateurs, tentent pour leur part de rassurer l’industrie.
Pour ce faire, elles rivalisent de promesses sur la baisse de la charge administrative, qui constitue en effet l’une de ses grandes préoccupations. Le Pacte vert européen pourrait en faire les frais.
Le rétablissement de la compétitivité allemande ne se fera toutefois pas sans un ingrédient autrement moins consensuel : l’augmentation drastique du niveau d’investissement, au plus bas depuis des années.
Selon un rapport réalisé par le cabinet BCG et l‘Institut de l’économie allemande de Cologne à la demande du patronat, 1400 milliards d’euros d’investissements supplémentaires seraient nécessaires d’ici à 2030, soit à peu près 5 % du PIB allemand sur une base annuelle.
Même si cette somme peut en partie être atteinte grâce au secteur privé, un tel investissement nécessitera en tout état de cause un allègement voire une suppression du frein à l’endettement, inscrit dans la Constitution, et qui limite pour l’heure les nouveaux emprunts à 0,35 % du PIB.
Ce sujet brûlant, qui a causé l’implosion de la coalition menée par Olaf Scholz à l’automne dernier, divise aussi les conservateurs. Et même si M. Merz a laissé entendre qu’il pourrait réviser cette règle, une révolution ne paraît pas à l’ordre du jour. « Ce sujet va certainement faire l’objet d’un débat en interne mais nous ne pouvons pas nous attendre à un assouplissement considérable de cette règle », estime Jeanette Süss.