« Nous nous sommes heurtés à
un mur de Bricq », ironisait un diplomate luxembourgeois à l’issue de la
réunion des ministres européens du commerce, vendredi 14 juin, peu avant
minuit. Il aura fallu plus de treize heures de négociations tendues pour que
les 27 adoptent enfin le mandat qui permettra à la Commission de négocier, en
leur nom, l’accord de libre-échange UE/Etats-Unis baptisé « Partenariat
Transtlantique pour le Commerce et l’Investissement » (TTIP). « Sur
98 % du mandat, il existait, dès le départ, un large consensus »,
soulignait Karel De Gucht lors de la conférence de presse finale. « Ce
n’est que sur 2 % du texte que les discussions ont buté », ajoutait le
Commissaire au Commerce.
Ces 2 % correspondent bien sûr à
l’exigence française d’exclure le secteur audiovisuel du champ de ces futurs
pourparlers. Et malgré les pressions de la Commission ou de certains grands
Etats membres, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, Nicole Bricq n’a pas lâché
prise. Seule contre tous – les autres pays sensibles aux arguments français
n’étaient pas prêts à bloquer un accord – la ministre du Commerce a finalement
obtenu gain de cause. A l’instar des autres accords de libre-échange négociés
par l’UE avec des pays tiers, celui avec les Etats-Unis, ne comprendra pas non
plus les services audiovisuels.
«L’Europe a ainsi fait le choix de respecter une
position constante : celle qui garantit le principe de l’exception
culturelle », s’est réjouie Aurélie Filipetti. Mais, et c’est grâce à ce « mais » qu’un
compromis a pu être obtenu à l’issue de cette journée marathon : les 27 ont
décidé de laisser la possibilité à la Commission de remettre le sujet sur la
table des négociations, en fonction des demandes américaines et de l’évolution
des tractations, si les Etats membres l’y autorisent à l’unanimité.
Des négociations qui s’annoncent difficiles
Si cette première bataille a été remportée, l’UE est
« bien loin encore, de remporter la guerre », analyse un négociateur
européen. Au-delà de la question de l’audiovisuel, les pourparlers s’annoncent
délicats, voire explosifs dans de nombreux domaines. L’affaire Prism a révélé
les écarts entre les deux blocs en matière de protection des données, considérées
d’un simple point de vue marchand aux Etats-Unis.
Sur les dossiers des OGM ou
des règles sanitaires, les restrictions européennes risquent aussi de gêner les
exportations américaines de produits agroalimentaires et biotechnologiques.
« Le haut niveau de protection de la vie et de la santé humaine, du
bien-être et de la santé animale, de l’environnement, et des intérêts des
consommateurs ne sera pas sujet à négociation », rassure la Commission
européenne qui rappelle que les directives en vigueur ne peuvent être remises
en question par des négociations de libre-échange.
Plus discrets jusqu’ici, les Américains ne manqueront
pas, à leur tour, de rappeler leurs lignes rouges, et elles sont nombreuses.
Pas question, par exemple, pour Washington d’aborder la question de la
régulation financière. L’exigence européenne d’ouvrir les marchés publics
risque également d’être difficile à accepter pour les Américains. Et c’est sur
ce dossier que les Français ont pourtant le plus à gagner d’un vaste accord de
libre-échange. Comme le souligne une note interne rédigé par les services de
Karel De Gucht « les entreprises françaises sont particulièrement bien
placées dans les secteurs fortement dépendants de la commande publique ».
Or à l’heure actuelle, jusqu’à 70 % du marché américain reste potentiellement
fermé aux entreprises européennes.
Epineux ou pas, tous ces sujets font aujourd’hui partie du champ du mandat.
« Ces négociations sont uniques par leur niveau d’ambition, en matière
d’ouverture des échanges bilatéraux (…). Elles couvriront tous les obstacles à
la frontière, droits de douanes mais aussi freins à l’investissement, obstacles
à la fourniture de services et restrictions d’accès aux marchés publics »,
peut-on lire dans la note de la Commission. Les pourparlers viseront également
à réduire, voire à éliminer, les surcoûts générés par la duplication des
systèmes réglementaires, jusqu’à dix fois supérieurs aux droits de douane.
Enfin, d’autres questions jugées « importantes pour la régulation des échanges
mondiaux », par les Européens, seront aussi abordées comme le
développement durable, l’énergie, les matières premières ou la régulation de la
concurrence.
Kattalin Landaburu à Bruxelles