Le sujet agite actuellement toutes les organisations interprofessionnelles françaises de l’agroalimentaire – les « interprofessions » -, en particulier celles du secteur du vin, et est en haut de la pile des dossiers prioritaires à traiter par l’ambassade de France à Pékin : l’autorité de Sécurité de la municipalité de Shanghai bloque toutes leurs campagnes promotionnelles depuis mi-février, en vertu d’une loi de 2017 sur les organisations non gouvernementales (ONG).
Le président d’Inter Rhône, l’interprofession des vins de la Vallée du Rhône, Philippe Pellaton, s’est ainsi ému le 12 mars de cette situation auprès de Franck Riester, le ministre français en charge du Commerce extérieur, en visite dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, indiquant que cette loi avait été brutalement activée après plusieurs années sans qu’il ne se passe rien, selon la lettre d’information spécialisée Vitisphère.
Vérification faite auprès de plusieurs sources en France et en Chine, tout serait parti d’un contrôle inopiné opéré en février, peu avant le Nouvel An chinois, par la Sécurité publique de Shanghai – l’équivalent de la police municipale- auprès de la filiale locale de Sopexa, un fleuron français de la promotion des produits agroalimentaires dans le monde. La police de Shanghai aurait identifié les interprofessions concernées lors de divers événements promotionnels.
Verdict : ces interprofessions et d’une manière générale toutes les associations Loi 1901 étant considérées par les autorités chinoises comme des organisations non gouvernementales (ONG), elles relèvent d’une loi de 2017 qui oblige toute ONG étrangère désireuse de mener des actions en Chine continentale à être autorisées, et à disposer soit d’un bureau de représentation sur place, soit d’un accord de coopération avec un organisme étatique pour des actions ponctuelles.
Plusieurs centaines d’ONG étrangères se sont mises en conformité
« Beaucoup d’ONG étrangères se sont faites enregistrées à la suite de cette loi et ont créé des bureaux de représentations ou signé des accords de coopération, mais les interprofessions sont passées à travers », constate Sylvie Savoie, avocate au bureau de DS Avocat à Pékin.
Cette juriste chevronnée connaît bien le dossier pour avoir été sollicitée par l’ambassade de France afin de présenter cette fameuse loi de 2017 et ses modalités concrètes lors d’un webinaire le 25 février, auquel ont participé plus d’une trentaine d’interprofessions françaises. Parmi les secteurs représentés, le vin, mais aussi les produits laitiers, les huîtres, et la viande.
Comment autant d’interprofessions ont-elles pu passer à travers ?
Pour l’avocate, c’est « une question d’ignorance » de cette Loi et de son impact, et d’incompréhension de ce qu’est le concept d’ONG en Chine.
Dans ce dernier pays, toutes les associations Loi 1901 sont en fait considérées comme des ONG, terme qui en Europe, recouvre plutôt des organismes à but caritatif ou humanitaire. « Une fédération professionnelle comme l’ANIA, dont le statut en France est celui d’une association Loi 1901, est considérée comme une ONG en Chine », confirme Chloé Berndt, qui dirige la société de conseil VVR International, spécialisée sur la Chine.
De fait, les enregistrements obligatoires se faisant en ligne, sur un portail gouvernemental géré par le ministère de la Sécurité publique , il est facile de vérifier : 586 bureaux de représentation d’ONG étrangères ont été enregistrés depuis 2017, dont quelques français comme celui de la Fondation Mérieux, de France export céréales, ou de la Fédération française du prêt à porter féminin. Par ailleurs, 3320 inscriptions d’activités temporaires y sont également enregistrées émanant d’associations comme la Fondation de France ou la Fédération sportive des étudiants de France.
Les interprofessions d’autres pays potentiellement concernés
Pourquoi ce rappel à l’ordre soudain, à la veille du Nouvel An Chinois, une période d’intense consommation en Chine, trois ans après l’entrée en vigueur de cette loi ?
La question reste pour le moment sans réponse. Une chose semble certaine, les interprofessions françaises et leurs agences de communication ne sont pas les seules concernées par ce rappel à l’ordre des autorités chinoises. Les organisations d’autres pays producteurs de vins – Australie, Espagne, Italie, Chili …- seraient également sur la sellette, tout aussi mal informées de cette législation chinoise que les Français, selon une source diplomatique rapportée par un participant du séminaire du 25 février. Le Deutsche Weininstitut allemand aurait ainsi sollicité récemment une dérogation gouvernementale.
Comprendre les motivations et l’état d’esprit des autorités de Sécurité publique de Shanghai, expliquer aux autorités chinoises l’absence de connaissance de ces règles par les interprofessions de bonne foi et obtenir un délai pour leur permettre de s’organiser, font partie des priorités de la diplomatie française, qui pourrait être rejointe par d’autres Européens.
Si le défaut de conseil dont les interprofessions se sentent victime de la part de leur agence de communication locale est légitime – le représentant de Sopexa aurait fait profil bas lors du webinaire du 25 février-, reste que cela va obliger nombre d’entre elles à remettre à plat leur stratégie pour mener campagne sur le marché chinois. Les sanctions en cas de non mise en conformité peuvent aller du simple avertissement à l’expulsion ou à la détention administrative, voire l’interdiction d’exercer une activité sur le sol chinois.
Il n’y a pas d’autres solutions, « elles doivent soit créer un bureau de représentation local si elles veulent continuer à faire des campagnes de promotion récurrentes, soit signer un accord de coopération avec un organisme étatique chinois pour des opérations ponctuelles et localisées », souligne Sylvie Savoie. La création de bureaux de représentation partagés serait heureusement possible sous certaines conditions, ce qui permettrait de réduire les frais.
Dans chaque cas, la procédure doit être rigoureusement suivie, les démarches administratives sont conséquentes et compte tenu du contexte des restrictions sanitaires, les délais d’obtention des documents exigés sont longs. Autrement dit, pour beaucoup d’interprofessions, c’est le risque de voir toutes les campagnes prévues en 2021 remises en cause au moment où le marché chinois repart et où elles se seraient bien passées d’un tel couac administratif.
C.G