Menacés par la concurrence marocaine qu’ils considèrent comme déloyale, les producteurs français de tomates pensaient avoir obtenu une victoire importante devant la justice européenne. C’était sans compter sans l’attentisme de la Commission européenne et du Maroc, qui semblent décidés à éviter la mise en œuvre de la décision. Revue de détails dans cet article proposé par notre nouveau partenaire éditorial La newsletter BLOCS.
La joie des producteurs de tomates français aura été de courte durée. Perturbés par la concurrence marocaine qu’ils jugent déloyale et, en particulier, par la production en provenance du territoire contesté du Sahara occidental annexé par le Maroc, les secteurs de la tomate français mais aussi espagnol pensaient avoir obtenu une victoire d’ampleur devant la Cour de justice de l’UE (CJUE), le 4 octobre.
Après une longue procédure, les juges de Luxembourg ont en effet décidé de mettre fin à l’extension au Sahara occidental des avantages commerciaux accordés au Maroc en matière agricole, estimant que le consentement du peuple sahraoui n’avait pas été recueilli.
Cette extension, décidée en 2019, est basée sur un accord agricole UE-Maroc signé en 2010. Cet accord n’a certes pas entraîné l’élimination systématique des barrières douanières applicables aux tomates marocaines. Pour en bénéficier, celles-ci sont soumises à des prix d’entrées et à des limitations annuelles : pas plus de 285 000 tonnes entre le 1er octobre et le 31 mai. En dehors de cette période, les tomates marocaines peuvent bénéficier d’un abattement de 60 %, à condition de respecter les prix minimums fixés par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
L’extension de cet accord au Sahara occidental permet notamment la vente sur le marché européen de tomates cerises produites sur ce territoire contesté à des prix défiant toute concurrence.
La CJUE a néanmoins ordonné que soit désormais indiquée clairement l’origine sahraoui sur ces lots de tomates, et donné un an de délai aux pouvoirs publics européens et marocains pour faire disparaître les effets de cette extension.
Hausse de la part de marché du Maroc
Une décision prise dans un contexte d’augmentation constante de la part de marché marocaine dans les tomates consommées dans l’UE.
Pour ce qui est de l’Hexagone, elle a augmenté de 50 % entre 2017 et 2022, puis de plus de 7 % en 2023, dans un contexte de recul de la production locale. Une progression poussée par l’écart abyssal de coût du travail, le salaire horaire chargé d’un ouvrier au Maroc étant de 0,74 euro contre 13,64 euros en France, selon Légumes de France. Les producteurs français ciblent aussi le manque de contrôles qui permettrait, selon eux, aux producteurs marocains d’utiliser des pesticides interdits dans l’UE.
Sur le papier, la décision de la CJUE devrait permettre de freiner l’avancée marocaine. Problème : la Commission européenne paraît peu désireuse de mettre en œuvre cet arrêt, comme l’a confirmé une audition organisée au Parlement européen le 18 novembre.
La Commission semble traîner des pieds
« Les décisions sont assez complexes et plusieurs éléments sont en jeu, c’est pourquoi la Commission étudie et évalue attentivement cette décision et ses implications, afin d’être en mesure de proposer des mesures de suivi concrètes » expliquait ainsi à cette occasion Mauro Poinelli, chef d’unité de la direction générale de l’agriculture de la Commission.
Deux mois après la décision, la Commission semble ainsi traîner des pieds et viser une nouvelle extension au Sahara occidental respectant la décision de la CJUE.
De quoi provoquer la colère des producteurs français, représentés notamment par la Confédération Paysanne et l’Association d’organisations de producteurs nationale « Tomates et Concombres de France », qui estiment qu’elle fait « la sourde oreille », et s’inquiètent aussi de l’attitude marocaine. Au lendemain de la publication de l’arrêt de la CJUE, le 8 octobre, le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, pointait ainsi une décision « en déphasage avec la réalité ».
Dans un contexte de renforcement du partenariat entre les pays de l’UE et le Maroc, symbolisé par la visite d’Emmanuel Macron à Rabat fin octobre, les pouvoirs publics des deux côtés de la Méditerranée font ainsi montre d’un attentisme vis à vis du jugement de la CJUE, qui pourrait susciter de nouvelles actions des producteurs de tomates. Ceux-ci s’étaient signalés début 2024 en déversant des centaines de kilos de légumes sur l’autoroute A7 et en s’en prenant à des camions d’origine étrangère.