Secteur clé pour l’économie et l’emploi en Afrique, l’agriculture s’imposera-t-elle comme un thème important du Sommet du G7 des 26 et 27 mai à Taormine (Sicile) en Italie ? Certains observateurs en sont convaincus, qui estiment que la souveraineté et la sécurité alimentaires sont menacés par la mondialisation. La Banque africaine de développement (Bad) a déjà fait de l’agriculture « son fer de lance du développement du continent », s’est ainsi félicité Khaled Igué, directeur des partenariats publics et institutionnels d’OCP (Office chérifien des phosphates) International, lors d’un petit déjeuner, organisé le 4 avril par l’Institut de prospective économique sur le monde méditerranéen (Ipemed). Mais à l’heure de l’immigration de masse en Europe, il est temps « de repenser l’Afrique, la Méditerranée et donc de repenser l’Europe », a défendu de son côté Cosimo Lacirignola, secrétaire général du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes (Ciheam).
J-L Rastoin dénonce « la vision de libre-échange forcené de l’OMC »
Les traités internationaux, de façon générale, « ne permettent pas de traiter les Africains sur un pied d’égalité, a regretté Khaled Igué. La mondialisation change les habitudes alimentaires », aboutissant « à une perte d’identité et de savoir-faire dans les pays africains ». Prenant le cas de son pays d’origine, le Bénin, sur les marchés de Cotonou, a-t-il affirmé « on ne trouve plus les mangues que l’on produit, mais on trouve des pommes que l’on ne produit pas ». Et « si demain il n’y a plus de pommes, qu’est-ce qu’on fait ? », s’est interrogé le responsable africain.
C’est pourquoi, sous réserve de faire évoluer certaines règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), il vaudrait mieux agir autour des principes de souveraineté et de solidarité alimentaires, selon Jean-Louis Rastoin, conseiller scientifique de la Chaire en alimentations du monde à l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture), qui a dénoncé « la vision de libre-échange forcené de l’OMC ». Et ainsi de présenter trois propositions :
- réintégrer la connaissance de l’alimentation dans les programmes scolaires;
- encourager le concept de filière, avec le lancement de dix projets de bio économie agroalimentaire systémique territorialisée (Best), allant de la récolte à la commercialisation, sur le modèle des fermes pilotes de la Songhaï Leadership Academy, fondée récemment avec l’appui de l’Agence française de développement (AFD);
- assurer l’approvisionnement, alors que au contraire, « les accords de partenariat économique (APE) que l’Union européenne veut imposer vont ruiner les Africains, en les privant de ressources douanières et en facilitant les importations », selon Jean-Louis Rastoin.
K. Igué : le problème n’est pas « la productivité », mais le « gaspillage »
Les APE avec les 79 Etats d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) menaceraient les productions vivrières. Et, d’après l’ONG (organisation non gouvernementale) Sol, ils aboutiraient dans les États de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à une perte immédiate de 26 milliards de dollars de recettes douanières. Or, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), les balances commerciales agricoles et alimentaires de l’Afrique et du Moyen-Orient avec l’Union européenne (UE) sont déjà largement déficitaires, de 10 milliards pour l’Afrique subsaharienne, de 29 milliards pour le nord du continent, de 60 milliards pour le Moyen-Orient, soit un total d’environ 100 milliards, à comparer à l’excédent global de l’UE de 13 milliards.
« L’Europe a une capacité exportatrice et il ne s’agit pas de dire que l’Afrique peut tout produire. On aura toujours besoin de concurrence internationale et d’importer en complément, mais il faut des accords d’approvisionnement solides, des contrats négociés dans le temps avec des fourchettes de prix pour échapper aux négociations sur les marchés spots », a expliqué Jean-Louis Rastoin.
Reste que, pour développer l’agriculture et éliminer la malnutrition en Afrique et au Moyen-Orient, il faut un environnement favorable. Contrairement à une idée reçue, « l’Afrique n’est pas confrontée à un problème de productivité, si l’on considère qu’elle produit bien ce qu’elle consomme, mais le gaspillage est important, du fait des défaillances en matière de transport et de stockage », a exposé Khaled Igué.
OCP a créé la Maison du fermier
« L’agriculture est gourmande en capital et si les échanges en Afrique ne dépassent pas 15 %, c’est faute d’infrastructures », a encore indiqué le responsable de l’OCP, par ailleurs, président-fondateur du think tank indépendant Club 2030 Afrique. Les infrastructures sont, selon lui, l’affaire de la sphère publique, « mais aussi il faut laisser la place aux privés, pas seulement aux investisseurs étrangers mais aussi aux locaux – il peut s’agir de petits centres de production d’une centaine de personnes créant de l’activité et de l’emploi ».
Depuis plusieurs années déjà, l’Ipemed appelle aussi à l’émergence du codéveloppement ou de la coproduction entre Méditerranéens du Sud et du Nord, a rappelé son président, Jean-Louis Guigou. Des coopérations scientifiques, techniques et des transferts de technologie contribueraient ainsi à l’essor de la filière agricole.
De son côté, OCP a créé la Maison du fermier, un guichet unique pour aider les agriculteurs, confrontés aux besoins de financement et de conseil. Ils peuvent ainsi y trouver des solutions à leur approvisionnement en semences, en engrais et fertilisants ou des conseils pour la protection des sols. En novembre dernier, le groupe marocain prévoyait à l’horizon 2020 d’ouvrir 10 maisons dans 10 villes agricoles africaines en vue de toucher un million de familles d’agriculteurs.
François Pargny
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