L’Accord de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne (UE) et la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) + la Mauritanie sera-t-il finalisé avant la date limite du 1er octobre 2016 ? Bien que les chefs d’État de la Cedeao aient signé l’APE le 10 juillet 2014 – au dire de certains, sous la pression du président ivoirien Alassane Ouattara, ancien numéro 2 du FMI – rien n’est moins sûr. Dans plusieurs pays de la zone, comme la Côte d’Ivoire et le Ghana, on ne cache pas une certaine inquiétude.
En effet, si l’accord n’était pas finalisé, a-t-on expliqué à la Lettre confidentielle du Moci à Abidjan et Accra, ces deux pays perdraient le taux zéro à l’entrée de leurs produits sur le marché européen. Du moins en théorie, car la Côte d’Ivoire sentant venir la catastrophe a anticipé, en concluant un accord de partenariat intérimaire, aujourd’hui ratifié par son Parlement. Ce qui n’est pas le cas du Ghana, qui, contrairement à son voisin francophone, après avoir dit oui à ce type d’accord, semble s’en désintéresser. Aujourd’hui, le temps presse, car le Parlement ghanéen ne devrait plus aborder cette question après juillet.
Ghana : 10 000 emplois concernés par l’export dans l’UE
A Accra, dans les milieux internationaux, on se montre perplexe, voire désabusé : « Officiellement, commente un expert, le gouvernement se déclare en faveur de l’accord, mais, en fait, ce n’est pas clair, souligne cet homme d’affaires français. En 2014, le Ghana affichait son appui à l’intégration régionale, se voyant comme un grand hub dans la zone, et maintenant il insiste sur le contenu local dans la production et l’investissement étranger, en oubliant que 10 000 emplois directs et indirects sont concernés par leurs exportations dans l’UE ».
Pour le Ghana, qui exporte librement dans l’UE du thon, du cacao, des bananes, ainsi que quelques produits transformés, l’échec de l’accord régional, a-t-on précisé à la LC dans la communauté française, se traduirait par l’application par l’UE du système de préférences généralisées (SPG), qui est bien moins avantageux. Les bananes seraient ainsi imposées à 19,5 % et le thon, quant à lui, devrait être soumis à un taux de 20,4 %.
L’enjeu n’est pas mince pour le Ghana. Les 28 États membres de l’Union européenne, qui ont tous depuis fin 2014 signé l’APE, représentaient au total 35 % de ses exportations en 2014 et les entreprises européennes y avaient investi plus de six milliards d’euros sur les 20 dernières années. A ce dernier chiffre, s’ajouteraient 500 millions pendant le premier semestre, d’après le Ghana Investment Promotion Centre (GIPC).
Le Nigeria ne veut pas signer l’APE
Les APE s’inscrivent dans le cadre des accords de coopération de Cotonou signés le 23 juin 2000 entre l’UE et 77 pays Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP), qui sont répartis en six blocs : Afrique de l’Ouest ((Bénin, Burkina Faso, Cap Vert, Côte d’Ivoire, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Liberia, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Sénégal, Sierra Leone, Togo), Afrique centrale, Afrique orientale et australe, Afrique australe, Caraïbe, Pacifique). Ils succèdent à 24 ans de partenariats régis par les conventions de Lomé.
S’agissant de la Cedeao + Mauritanie, le principal blocage vient du Nigeria. Dans la pratique, le géant ouest-africain ne semble pas prêt à ouvrir son grand marché de 182 millions d’habitants, condamnant ainsi tout espoir de conclure avant la date butoir. A moins évidemment qu’au nom de la lutte contre Boko Haram, Abuja change son fusil d’épaule. La puissante Association des industriels du Nigeria (Man) s’est à maintes fois prononcée contre un APE. Même le milliardaire Dangote, un temps favorable à l’accord, y est aujourd’hui opposé, sans doute parce qu’il préfère bénéficier de la protection de ses affaires sur le sol natal.
Pourtant, l’APE prévoit, entre autres aides et garanties, une série de clauses de sauvegarde pouvant être utilisées quand les importations de produits libéralisés augmentent trop vite et perturbent ainsi les marchés locaux. Une protection spéciale est également prévue pour les industries naissantes. De façon générale, pour la zone Cedeao, l’APE paraît incontournable, l’UE, son premier partenaire commercial, ayant absorbé près de 38 % de ses exportations en 2014.
Alors, en théorie, un APE avec la Cedeao + la Mauritanie (laquelle s’est engagée à le signer avant la date limite) est encore possible, si Abuja le signe. En effet, pour qu’il soit appliqué, il n’est pas nécessaire que tous les Parlements africains le ratifient. Il suffit des deux tiers. Mais dans la communauté d’affaires européenne, on ne semble pas y croire. Le 1er janvier 2015, la zone a bien mis en place un tarif extérieur commun (Tec) avec cinq niveaux allant de 0 à 35 %, mais ce Tec aurait été établi sans véritable étude et son application manquerait de transparence.
A Abuja, la création du Tec est mise aussi en avant pour justifier le refus de l’APE. Estimant qu’il n’a pas encore digéré le coût d’ajustement du tarif commun de la Cedeao, le Nigeria ne veut pas de nouvelles mesures de libéralisation du commerce, qui mettraient en péril son secteur privé et public, face au mastodonte que représente son homologue européen.
L’Afrique de l’Ouest a exclu les produits sensibles
Plus la date butoir de l’APE se rapproche, plus l’UE semble agacée par les atermoiements des capitales africaines. A Bruxelles, on répète à l’envi que l’APE est un accord asymétrique offrant aux ACP des avantages conséquents. La Commission européenne a ainsi rappelé que « l’Afrique de l’Ouest a exclu tous les produits qui sont considérés les plus sensibles et qui sont soumis à un taux de 35 % sous le tarif extérieur commun de la Cedeao, comme la viande (y inclus la volaille), les yaourts, les œufs, la viande transformée, la poudre de cacao et le chocolat, la pâte de tomate et en concentré, le savon ou les tissus imprimés ».
Seraient également exclus de la libéralisation environ la moitié des produits soumis à un taux de 20 % sous le Tec de la Cedeao, tels que le poisson et les préparations à base de poisson, le lait, le beurre et le fromage, les légumes, la farine, les spiritueux, le ciment, la peinture, les parfums et les cosmétiques, la papeterie, le textile, les vêtements et les voitures. Mais ces arguments n’ont pas rassuré les communautés paysannes et plus généralement les organisations de la société civile.
De notre envoyé spécial en Côte d’Ivoire et au Ghana
François Pargny
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