La responsabilité sociale et environnementale (RSE) des entreprises peut-elle être un des outils de la rénovation des relations franco-africaines, alors que la position de la France en Afrique s’érode de jour en jour sous les coups de boutoir des grands émergents ? Ce fut, en filigrane, l’un des thèmes du forum économique organisée par Bercy et Medef International le 4 décembre, en avant-première du Sommet Afrique-France des 6-7 décembre, sur le thème « Pour un nouveau modèle de partenariat économique entre l’Afrique et la France ».
Le diagnostic avait été posé par Pierre Moscovici, le ministre français de l’Économie et des finances, en ouverture : la part de marché de la France est tombée de 10,1 % en 2000 à 4,7 % en 2011. L’objectif avait été rappelé en clôture par le président François Hollande : il faut «doubler ses échanges économiques avec l’Afrique dans les deux sens, exportations et importations ».
Les grandes entreprises se sont d’ores et déjà emparées de la RSE, un des éléments différenciant avec les approches des entreprises des pays émergents : le Medef a ainsi publié,avec la fédération des patronats d’Afrique, Business Africa, une déclaration commune « pour un nouveau modèle de partenariat économique entre l’Afrique et la France », tenant en trois points : infrastructures et accès à l’énergie, responsabilité sociale et environnementale (RSE) et capital humain.
D’autant plus que la RSE est déjà un argument qui permet à l’Agence française de développement (AFD) de sortir du vieux dilemme à propos de l’aide déliée, avec une opposition un peu caricaturale entre aide au développement et soutien des savoir-faire français dans les marchés publics que ces fonds génèrent (Lire Afrique-France 2*). « La RSE est un sujet souvent évoqué dans les bureaux de l’Agence française de développement à l’étranger», confirmait à la Lettre confidentielle, en marge du forum, un diplomate en poste sur ce continent. Alors que la les entreprises françaises, mais aussi Bercy, demandent un « retour sur investissement » plus net de l’aide publique française, les responsables de l’AFD répondent que leur mission est le « développement » et non pas l’aide aux entreprises françaises.
Mais, en cette période de crise économique en France, il n’est plus rare d’entendre certains responsables de l’AFD répondre – certes avec prudence et toujours avec beaucoup de finesse – que la RSE figure dans leurs critères d’intervention, fait l’objet d’un dialogue permanent avec les Etats africains, et que, par conséquent, « les entreprises françaises sont bien placées pour gagner des marchés, puisqu’elles respectent la RSE ». Sous-entendu, les sociétés chinoises, elles, ne respectant pas cette double responsabilité, ont toutes les chances d’être exclues.
Reste à convaincre les États africains qu’il va de leur intérêt de faire respecter la RSE. Or, l’émergence de nouveaux concurrents venus des pays émergents semble avoir un peu changé la donne. A tel point qu’un homme d’affaires, familier de la zone Franc, rencontré à Bercy, s’avouait « déboussolé » par les nouveaux comportements de ses interlocuteurs africains. « Les affaires et les rapports deviennent très durs », lâchait de son côté à la LC un opérateur implanté dans une dizaine de pays du continent. Selon lui, « au moins quand ils voulaient être cadeautés, ils y mettaient les formes. Maintenant plus du tout ». Caricatural ?
Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura aussi une manière nouvelle d’aborder les opportunités des marchés africains. « Nous sommes des donneurs de leçons et les Africains sont de plus en plus agacés. Le ressentiment et la méfiance se renforcent dans la zone franc comme dans les régions anglophone et lusophone où nous prétendons aujourd’hui étendre notre influence », confiait ainsi à la LC un autre chef d’entreprise établi de longue date au sud du Sahara, dans les coulisses de la conférence.
Premier visé, l’État français, « qui se croit légitime en donnant des leçons de démocratie ou de droits de l’homme, ce dont se passent fort opportunément tous nos compétiteurs, à commencer par la Chine». Et les entreprises françaises elles-mêmes, « qui ne savent pas la rabaisser ». Selon lui, « on en paye le prix en ce moment et il est urgent de changer nos comportements ». La conférence de Bercy aura eu le mérite de poser quelques pistes pour de nouveaux repères.
François Pargny
*Afrique-France 2: variations autour de la pratique française de l’aide déliée