645 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité et demain ils pourraient être plus nombreux. Quels outils de financement mettre en place pour accélérer, et surtout, quel tempo instaurer pour davantage mobiliser le secteur privé ?
Quelques pistes ont été apportées lors d’une conférence autour du thème « Collaboration Europe/Afrique : vers une accélération de l’électrification solaire du continent africain ? », organisée par Enerplan, le syndicat des professionnels de l’énergie solaire, le 15 octobre à Paris La Défense, au siège la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC).
Elle a notamment donné lieu à un échange passionnant entre Lionel Zinsou, fondateur de la banque d’investissement SouthBridge et ancien Premier ministre du Bénin, et Anne-Charlotte Bournoville, directrice de l’unité Relations internationales et élargissement de la Direction générale de l’énergie à la Commission européenne.
Des besoins énergétiques « considérables »
La situation est dramatique. « Les besoins énergétiques de l’Afrique sont considérables », a exposé d’entrée Lionel Zinsou. Les 48 pays d’Afrique subsaharienne ne disposent que de 46 gigawatts de capacité installée pour une population de plus d’1 milliard d’habitants. En comparaison, l’Espagne dispose de 106 gigawatts pour 45 millions d’habitants.
En outre, 850 millions d’habitants, principalement en Afrique subsaharienne, ont uniquement accès au charbon ou au bois pour cuisiner. Aujourd’hui, 70 % de la population rurale en Afrique n’accède pas à l’électricité. Et la demande d’électricité va doubler d’ici 2030 et tripler d’ici 2040 d’après la Commission européenne.
L’accès à la l’électricité, c’est pourtant « d’abord un besoin social » estime Lionel Zinsou. Alors qu’il était Premier ministre du Bénin (juin 2015-avril 2016), il a initié un programme « Lumière pour tous » de distribution de lampes solaires à tous les écoliers du primaire et élèves du secondaire. Ces derniers n’avaient pas de lumière pour travailler chez eux après les cours. Ce programme a suscité une vague d’inscriptions dans les écoles béninoises.
Des modèles économiques limités pour financer les projets
Au-delà de l’impact social, reste à trouver le bon modèle économique. C’est une première difficulté en Afrique. Et cela nécessite de sortir des sentiers battus. La première problématique à laquelle est confrontée l’Afrique dans le développement de son électrification est en effet son modèle d’affaires.
L’électrification des ménages ne profitera pas d’un point de vue financier aux opérateurs électriques traditionnels qui déjà, « dans 40 pays sur 54 sont en faillite », a révélé l’économiste franco-béninois. Selon lui, les opérateurs électriques traditionnels ne pourront pas appliquer des tarifs ajustés au pouvoir d’achat car « les populations sont trop pauvres ».
Autre frein au financement de l’électrification, les modèles économiques. Les business models africains « sont des modèles de production d’externalités », a indiqué Lionel Zinsou. Là encore, « il n’est pas certain » que les opérateurs profitent des bénéfices créés à partir des externalités générées par l’accès à l’électricité. Un paradoxe majeur apparaît. « Il y a des externalités considérables », a insisté l’ancien Premier ministre, mais les niveaux de profitabilité ne correspondent pas.
« Il faut des acheteurs d’externalité », a donc préconisé l’économiste. « Acheter des externalités, c’est le métier des bailleurs d’aides publiques au développement », a-t-il déroulé. « C’est le métier des gouvernements », a-t-il ajouté. « On a besoin d’acheteurs d’externalité », a-t-il encore insisté.
L. Zinsou : « On ne sait pas financer les petits projets »
Deuxième problématique, « on ne sait pas financer les petits projets », a déclaré le banquier d’affaires.
Que ce soient les institutions comme la Banque mondiale, les systèmes d’aide publique ou les gouvernements, aucun acteur ne sait financer des projets à 500 000 euros contrairement aux projets à 100 millions d’euros a déploré l’économiste.
Enfin, dernière problématique, « on n’a pas de venture capital », a encore relevé Lionel Zinsou. « D’abord on n’a pas de capital du tout », a-t-il glissé. « On est en pénurie massive de crédit », a-t-il ajouté. De ce fait, il n’y a pas de financement des projets décentralisés de développement des énergies renouvelables dans leur phase de démarrage. Pourtant, « la mortalité » de ces projets « est maximale » durant les premiers mois voire leur première ou deuxième année d’existence, a prévenu l’économiste.
Ces trois problématiques limitent les performances des systèmes de financement de projets solaires en Afrique. L’absence de modèles d’affaires, la difficulté à financer des projets trop petits et le manque d’accompagnement financier des projets dans leurs premiers mois d’existence constituent « trois goulots d’étranglement sur lesquels il faut que de l’intelligence collective travaille efficacement », a conclu Lionel Zinsou.
La réponse de l’Union européenne :
Voilà pour le diagnostic. Reste les solutions, même imparfaites.
Anne-Charlotte Bournoville, a pour sa part présenté les outils qui ont été développés par l’UE pour répondre à ces défis à défaut d’apporter une vraie réponse à ces trois goulots d’étranglement. « Plus que de ‘collaboration Europe/Afrique’, je préfère parler de ‘partenariat’ », a-t-livré d’emblée, faisant référence au thème de la conférence à laquelle devait initialement participer Brune Poirson, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, empêchée par une contrainte d’agenda.
« L’Union européenne est un partenaire politique de longue date de l’Afrique, elle est son principal partenaire commercial », a-t-elle rappelé. « L’Union européenne et ses pays membres sont également son principal bailleur de fonds », a-t-elle complété.
Plusieurs outils permettent de répondre selon elle aux besoins de financement de projets pour électrifier l’Afrique :
1/ Le plan d’investissement extérieur (PIE) de l’UE lancé en septembre 2017 est axé sur un certain nombre de domaines d’investissement prioritaires tels que l’énergie durable. Le volet énergie renouvelable du plan répond à trois objectifs :
– Promouvoir le renforcement des capacités pour le développement des énergies renouvelables et l’efficacité énergétique ;
– améliorer la gouvernance et promouvoir les réformes du secteur énergétique ;
– stimuler les investissements dans l’énergie durable par des instruments financiers innovants.
2/ Le projet ElectriFi (Electrification Financing Initiative) lancé en décembre 2015 est un programme dédié aux investissements dans les projets de petite taille dans les zones rurales et à l’efficacité énergétique. Il se concentre sur les connexions électriques (lignes et réseaux) nouvelles ou améliorées ainsi que sur la capacité de production à partir de sources d’énergie durables. Le ticket d’entrée se situe entre 0,5 et 10 millions d’euros. Pour Anne-Charlotte Bournoville, l’initiative ElectriFi permet de répondre à l’un des goulots d’étranglement évoqués par Lionel Zinsou à savoir la difficulté à financer des petits projets.
3/ Le programme GET.invest lancé en début d’année vise à mobiliser des investissements dans des projets décentralisés d’énergies renouvelables. Il aide les entreprises du secteur privé, les porteurs de projets, les financiers à créer des marchés de l’énergie durable. « C’est un projet multi-bailleurs », a résumé Anne-Charlotte Bournoville. En un an d’activité ce programme soutient déjà 50 projets pour une valeur d’investissements de 650 millions d’euros.
« L’Afrique est une grande priorité de la Commission Juncker et elle va rester une grande priorité de la Commission Von der Leyen », a assuré Anne-Charlotte Bournoville. « Cependant la coopération Union européenne-Afrique doit évoluer, et, elle est en train d’évoluer », a-t-elle complété.
L’Alliance Europe-Afrique pour un investissement et des emplois durables, lancée fin 2018, en est un exemple. Cette alliance vise à renforcer les relations économiques et commerciales et à dépasser l’approche « donateur-bénéficiaire ». Il s’agit de « développer un partenariat d’égal à égal qui soit centré sur l’intérêt mutuel », a relaté Anne-Charlotte Bournoville.
L. Zinsou : « Le temps du secteur privé n’est pas le temps de l’administration »
Les outils sont là mais leur mise en œuvre par les administrations qu’il s’agisse de Bruxelles ou des gouvernements africains est parfois trop longue estime pour sa part Lionel Zinsou, qui a néanmoins salué l’action de l’UE en matière de création d’instruments « qui va très clairement dans le bon sens».
Reste que pour l’ancien Premier ministre, qui s’est exprimé plutôt avec la casquette du chef d’entreprise qu’avec celle d’un directeur financier, l’UE, les institutions multilatérales, les gouvernements nationaux africains « n’ont pas le tempo du privé ». Résultat : face aux défis de l’électrification du continent, « on est dans l’urgence mais le développement institutionnel est très long », a encore souligné l’ancien Premier ministre.
« Obtenir une décision publique d’un gouvernement africain, c’est très long », a-t-il prévenu rappelant que le continent a « une tradition d’administration très lente ». Et d’ajouter, « les institutions multilatérales sont aussi lentes que les gouvernements ».
Le banquier d’affaires a notamment pointé du doigt la mise en œuvre qu’il juge tardive, au premier trimestre 2016, du mécanisme de financement ElectriFi dont le lancement a été initialement annoncé en décembre 2015 lors de la COP 21, la Conférence de Paris sur les changements climatiques. « Quand y aura-t-il une prise de conscience que le temps du secteur privé, le temps de l’efficacité, n’est pas le temps de l’administration », s’est-il insurgé.
« Je n’ai pas de baguette magique »
Anne-Charlotte Bournoville a réagi à ses propos. « Le temps de mise en place est long », a-t-elle reconnu allant même plus loin. « On n’est pas les champions de la rapidité dans l’Union européenne». « Je n’ai pas de baguette magique », a-t-elle glissé.
Néanmoins des projets et des instruments sont en place. C’est le cas de l’initiative ElectriFi dont l’instrument de garantie sera opérationnel à partir de l’année prochaine, a-t-elle annoncé. ElectriFI opère dans le monde entier. En outre, le programme de Bruxelles a élaboré des stratégies d’investissement personnalisées ciblant des pays et des régions spécifiques. Pour l’heure, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, la Zambie et la région du Pacifique.
Pour Lionel Zinsou, les pouvoirs publics doivent admettre, « aussi bizarre que ça paraisse », que le secteur privé « doit être l’acteur n° 1 » dans la transition énergétique. Son rôle doit être « beaucoup plus important » que les gouvernements.
Venice Affre