L’Afrique va bien et la région orientale encore mieux. « Nous pensons que l’Afrique sera un vrai relais de croissance dans l’avenir » et que les deux régions « les plus porteuses » seront l’Afrique australe et l’Afrique orientale, déclarait ainsi Christophe Martin (notre photo), directeur régional Afrique australe de Sogea-Satom, lors de l’atelier d’information « Cap sur l’Afrique de l’Est » (Kenya, Ouganda, Tanzanie, Éthiopie), organisé, le 4 mars, par Business France.
Le Rapport mondial sur les investissements 2014, publié en juin dernier par la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced), corrobore l’optimisme du dirigeant de la filiale BTP de Vinci Construction en Afrique. L’Afrique de l’Est y est décrite comme la seule zone à afficher une hausse des investissements directs étrangers (IDE) en 2013, en l’occurrence + 18 % en un an, avec, justement, l’Afrique australe (environ + 100 % à 13 milliards de dollars). Les IDE s’y sont ainsi élevés à 6,2 milliards de dollars en 2013.
Dans des États qui ont, pourtant, affiché des croissances moyennes enviables depuis dix à quinze ans (+ 8 % en Éthiopie, + 6,5 % en Tanzanie, + 5 % au Kenya…), la présence tricolore demeure faible. En l’occurrence, 60 entreprises de l’Hexagone sont implantées au Kenya, la moitié en Tanzanie et en Ouganda, 40 à 50 en Tanzanie.
Le pays « préféré » de Sogea-Satom est l’Ouganda où l’entreprise opère sur des projets hydrauliques. « L’Administration est compétente. Il n’y a pas de problème de sécurité et le sentiment est plutôt favorable à la France, à laquelle est attachée une notion de qualité, surtout dans des domaines techniques comme la distribution de l’eau », rapportait le représentant de Sogea-Satom, qui souhaite aujourd’hui se développer dans ce pays dans les infrastructures (aéroports, rails…), « en dépit de la grande présence chinoise, turque, indienne ou israélienne ».
Ouganda : 6,5 milliards de barils de réserves pétrolières
Il y a à peine un mois, Kampala a attribué au groupe russe RT Global Resources (Rostec) un contrat de 2,5 milliards de dollars, portant sur la construction d’une raffinerie de 60 000 barils par jour à compter de 2018. L’Ouganda disposerait de 6,5 milliards de barils de pétrole de réserve. Mais des conditions fiscales assez dures et la baisse mondiale des cours de pétrole poussent les grandes compagnies à jouer l’attentisme. En 2010, Tullow Oil a réalisé des acquisitions, passant l’année suivante des conventions d’achat d’actions avec Total et China National Offshore Oil Corporation (Cnooc).
« Aujourd’hui, les différents partenaires négocient, certaines compagnies ayant retiré une partie de leurs effectifs, sans doute pour exercer une pression », notait Eric Duedal, chef du Service économique régional pour l’Afrique de l’Est et l’océan Indien.
En outre, « on parle de 40 puits, mais çà ne va pas être facile d’exploiter le pétrole qui se trouve dans une réserve naturelle », ajoutait Christophe Martin, faisant ainsi allusion aux contrats pétroliers délivrés dans des zones très sensibles du Graben Albertine, dont le parc national de Murchison Falls.
Géographiquement, l’Ouganda constitue un « accès privilégié vers le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo (RDC), le Rwanda et le Burundi », selon Jean-César Lammert, directeur régional Business France, basé au Kenya. En revanche, Kampala n’est pas un hub, à l’image d’Addis-Abeba tourné vers l’Asie ou de Nairobi, qui est la véritable plateforme continentale. Après avoir quitté l’Afrique, Trouvay & Cauvin y est revenu, en optant pour le hub de Nairobi.
« S’installer au Kenya est relativement facile, a relaté Stéphane Jaffret, son directeur Afrique. Cà se complique au niveau du management. Trouver des bureaux et des aires de stockage n’est pas non plus difficile, tout comme d’accéder à l’électricité et à l’eau. Le plus compliqué est d’obtenir une main d’œuvre compétente et fiable ». « En fait, on trouve des compétences bien meilleures qu’ailleurs, des ingénieurs, des financiers ou des comptables, mais ces ressources sont très volatiles pour des raisons salariales », précise Christophe Martin.
Les nombreuses opportunités du Kenya : infrastructures, biens de consommation, agriculture
« Le Kenya est un pays démocratique avec un réel contre-pouvoir, un véritable secteur privé, une presse et un secteur bancaire fort », explique à son tour Jean-César Lammert. « Il y a, d’ailleurs, un consensus politique entre le gouvernement et l’opposition en matière de grands projets d’infrastructures – rail, électricité, routes, etc. », poursuit Rémi Maréchaux, ambassadeur de France au Kenya. « Et une reconnaissance par les Kényans du travail effectué par l’Agence française de développement (AFD) », ajoute-t-il.
Preuve en est l’appel d’offres pour plus de 250 millions de dollars remporté par Sogea-Satom fin 2014, portant sur la construction du barrage de Ruiru II. « On a battu les Chinois qui avaient misé 3 milliards de dollars sur le rail. Et comme l’Eximbank chinoise ne pouvait plus intervenir avec des fonds concessionnels, non seulement nous étions moins disants, mais notre financement était plus intéressant », raconte Rémi Maréchaux.
Le Kenya dispose aussi de la classe moyenne la plus développée en Afrique de l’Est. Elle représente 40 % de la population urbaine, 12 à 15 % de la population totale. « C’est le plus avancé de tous dans la zone, ce qui est normal puisqu’il est aussi le plus riche de tous, mais cette tendance est générale dans la région », soulignait également Eric Duedal. En Ouganda, la classe moyenne oscille entre 10 et 12 % de la population globale, en Tanzanie entre 6 et 7 %, au Rwanda et en Éthiopie, le plus peuplé avec 91 millions d’habitants, de 3 à 5 %.
Récemment, une PME tricolore spécialisée dans les soins capillaires, Ceda, a profité d’une mission de Business France pour approcher le marché kényan. « Je cherchais un importateur-distributeur », relate Gilbert Tagne, le président de l’entreprise de cosmétiques ethniques. Quelques jours après son arrivée à Nairobi, le responsable des achats chez un distributeur local lui a proposé de démissionner pour vendre ses articles sur place. Les premières commandes ont ainsi pu être prises.
« Alors que Carrefour va s’implanter à Nairobi, la distribution moderne représente déjà une part de 40 % », selon Jean-César Lammert, qui rappelle que le Kenya est aussi leader en Afrique dans le paiement par mobile. « Les échanges par mobile payments représentent ainsi 20 milliards d’euros et 80 à 85 % des utilisateurs de mobiles au Kenya recourent à ce type de paiement », détaille ainsi le directeur du bureau régional de Business France. La consommation est le deuxième poste de dépenses de la classe moyenne, après l’éducation. des enfants (en moyenne, trois enfants par famille et un taux de scolarisation au Kenya de 85 % dans le primaire).
A cet égard, les ménages sont de gros consommateurs de maïs, un produit pour lequel, au demeurant, ils ne sont pas autosuffisants. Chaque année, Nairobi importe 1,6 million de tonnes de céréales. Or, remarque Rémi Maréchaux, « avec le changement climatique et la sécheresse, les rendements pour le maïs diminuent dans la vallée du Rift ». D’où la nouvelle politique du gouvernement, qui devrait intéresser les entreprises françaises : d’une part, relocaliser la production locale sur des terres irriguées, d’autre part, reconvertir les zones actuelles. Et, dans ce cas, développer l’élevage.
François Pargny