Dans l’aéronautique, l’export, indispensable au succès de ce fleuron de l’industrie hexagonale, doit rester au cœur du réacteur. Chacun en est conscient, alors que le Covid-19 met à mal toute une filière.
A preuve, dans le cadre du plan de soutien « pour une industrie verte et compétitive » (voir fichier en pdf), que présentait à Bercy le 9 juin Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie et des finances a cité en premier lieu toute une série de mesures visant à maintenir l’activité à l’international, comme les garanties de prêt à l’export.
« Le soutien à la demande par la garantie export de l’État doit permettre aux compagnies aériennes de poursuivre la modernisation de leur flotte », s’est félicité, à l’issue de la réunion de Bercy, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas).
D’un montant global de 15 milliards d’euros, ce plan d’urgence et de relance était annoncé la veille de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi de finances rectificative n°3, devant intégrer la part déjà promise au transporteur national Air France (7 milliards, dont un prêt bancaire garanti par l’État de 4 milliards et une avance en compte courante d’actionnaire de l’État de 3 milliards).
S’agissant des garanties de prêt à l’export, Bruno Le Maire a indiqué que plusieurs milliards d’euros allaient être mobilisés. En matière d’assurance crédit publique, le bras armé de l’État est Bpifrance Assurance Export. Ainsi, la filiale de la banque d’investissement Bpifrance a-t-elle accordé sa garantie au financement de la part française sur la vente de plusieurs moyens courriers d’Airbus à la compagnie aérienne turque Pegasus Airlines.
Assouplir les conditions de remboursement
Autre mesure en faveur des compagnies aériennes, le report de douze mois des remboursements de leurs crédits à l’export. Une mesure qui leur apportera « un gain en trésorerie de 1,5 milliard d’euros », a précisé Bruno Le Maire.
Parallèlement, Français, Allemands, Britanniques et Italiens se sont accordés sur les conditions d’octroi d’un moratoire d’un an portant sur les échéances en principal pour les contrats des compagnies aériennes bénéficiant déjà de garanties et dont les prêts sont en cours de remboursement. Les échéances reportées sont ensuite remboursables sur les trois années suivantes.
Poursuivant sur son idée, Paris a demandé à la Commission européenne de proposer au sein de l’OCDE un assouplissement temporaire des modalités de remboursement des nouveaux achats d’avions Airbus. Les compagnies pourraient ainsi « attendre jusqu’à 18 mois au lieu des 6 mois habituels », se félicitait Bruno Le Maire, ce qui représenterait un effort global de 2 milliards d’euros.
Enfin, l’hôte de Bercy, qui était entouré de quatre autres membres du gouvernement (Florence Parly pour les Armées, Élisabeth Borne pour la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher pour l’Économie et les finances et Jean-Baptiste Djebbari pour le Transport), a déclaré que 832 millions d’euros de commande publique militaire, de gendarmerie et de sécurité civile allaient être engagés.
Pour 600 millions, a détaillé Florence Parly, il s’agit de commandes « accélérées » (A330-MRTT Phénix/Multi-Role Tanker Transport), hélicoptères Caracal), pour plus de 100 de l’avion léger de surveillance et de reconnaissance et de drones pour la Marine. En présence d’Eric Trappier, P-dg de Dassault Aviation et président du Gifas, la ministre des Armées a insisté sur l’importance que revêt la poursuite du succès de l’avion de combat Rafale à l’international.
Appui historique des grands à la supply chain
Les discussions sur le plan ont « parfois été âpres avec les industriels » n’a pas caché Bruno Le Maire. Ce fut notamment le cas pour la création d’un fonds d’investissement en fonds propres d’un milliard d’euros, auxquels les industriels ont accepté de contribuer, comme l’État, à hauteur de 200 millions via Bpifrance.
La société gestionnaire qui sera désignée par appel d’offre apportera 100 millions et devra trouver auprès d’investisseurs les 500 millions manquant. « C’est la première fois qu’Airbus, Safran, Dassault, Thales acceptent de mettre de l’argent ensemble pour soutenir le tissu industriel », s’est réjoui le ministre de l’Économie et des finances.
Parallèlement, des fonds vont être injectés dans la robotisation et la digitalisation (30 millions sur trois ans), la recherche et développement (1,5 milliard sur trois ans) et la décarbonation, avec comme ambition de parvenir à « un avion neutre en 2035 au lieu de 2050 », a pointé Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique.
Paris considère que l’excellence européenne en matière d’aéronautique lui donne la capacité de fixer un certain nombre de normes mondiales. Élisabeth Borne rappelait ainsi que la flotte d’Airbus représente environ 45 % des appareils moyen et long courriers et Safran motorise 70 % des avions moyen courrier dans le monde.
B. Le Maire : « nous n’avons pas vocation à être les idiots du village »
Au final, le président du Gifas a qualifié le plan gouvernemental, appuyé par la filière, de « ambitieux et historique ». L’enjeu social est considérable. Sur les 300 000 emplois que recouvre l’aéronautique, 100 000 seraient menacés dans les six mois et 1 300 entreprises pourraient potentiellement faire faillite. Sans compter les 35 000 ingénieurs en R & D qui pourraient se retrouver à la rue. Enfin, dans le sillage, le bel excédent commercial de l’aéronautique (34 milliards d’euros en 2019) pourrait s’envoler.
En réponse à une question d’un journaliste sur la comptabilité du plan français avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), Bruno Le Maire a rétorqué que « nous n’avons pas vocation à être les idiots du village ». L’hôte de Bercy faisait référence aux aides massives de l’Etat fédéral américain à son industrie aéronautique, mais aussi à la Chine.
François Pargny