En 2024, la France a enregistré un déficit commercial de -81 milliards d’euros en matière de marchandises, selon les chiffres publiés le 7 février par les douanes. Si l’Hexagone n’a pas dégagé d’excédent sur les biens depuis 2002, l’écart entre les importations et les exportations se réduit pour la deuxième année consécutive. Toutefois, les risques de guerre commerciale, exacerbés par les tensions internationales et l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, pourraient compromettre ce début de redressement. Revue de détail, secteur par secteur, dans cet article proposé par notre partenaire La newsletter BLOCS, qui complète l’analyse précédemment publiée par Le Moci.
« Dans un contexte international peu porteur, notre balance commerciale s’améliore, s’est félicité, vendredi, le ministre délégué au Commerce extérieur, Laurent Saint-Martin, lors de la publication des résultats de la balance des biens et services pour l’année 2024. Pour la seconde année consécutive, la balance des biens est en croissance et les exportations en volume progressent démontrant à nouveau l’excellence et le savoir-faire français reconnus internationalement ».
Une embellie qui reste cependant à nuancer. L’amélioration de la balance commerciale en 2024 s’explique avant tout par une baisse plus marquée des importations que des exportations, et non par un véritable rebond de ces dernières. En effet, les exportations ont reculé de 1,6 %, pénalisées notamment par les difficultés du secteur automobile [dont le déficit atteint -22 milliards d’euros]. Plus largement, le déficit s’est réduit grâce au repli des importations d’énergie, dans le sillage de la baisse des prix des hydrocarbures.
La France n’est toutefois pas sans atouts. Aéronautique, cosmétique, vins et spiritueux… Zoom sur ces secteurs qui tirent le commerce extérieur français, sans oublier la sphère des services, où le pays a enregistré un excédent de 48,9 milliards d’euros l’an dernier.
Principaux soldes sectoriels en 2024
Excédents
- Aéronautique et spatial : + 28,7 Md EUR
- Parfums et cosmétiques : + 17,3 Md EUR
- Agri-Agroalimentaire : + 4,9 Md EUR
- Produits pharmaceutiques : + 4,3 Md EUR
Déficits
- Energie : – 55,6 Md EUR
- Biens d’équipements : – 37,5 Md EUR
- Automobile : – 22,5 Md EUR
Source : DG Trésor, rapport sur le commerce extérieur 2025
Le joyau aéronautique menacé
En 2024, l’excédent commercial de l’aéronautique, point fort traditionnel de l’économie hexagonale, a baissé pour la première depuis trois ans.
Après avoir atteint son plus haut niveau historique en 2019 (+31 milliards), le solde positif avait été divisé par deux en 2020 en raison de la crise sanitaire. Puis il avait progressé graduellement dans un contexte de reprise du trafic aérien… jusqu’à l’année dernière.
Le puissant secteur tricolore n’en reste pas moins le premier contributeur à la balance commerciale nationale en matière de biens, avec un solide +28,5 milliards d’euros (contre +30,5 en 2023). Les exportations ont d’ailleurs augmenté, mais moins que les importations, portées en particulier par les approvisionnements en provenance des États-Unis.
La bonne santé de la filière dépendra toutefois des futures décisions douanières de Donald Trump, qui a annoncé de premiers tarifs à l’encontre de l’acier et de l’aluminium. Des mesures protectionnistes plus larges auraient le potentiel d’affaiblir l’aéronautique tricolore, premier secteur exportateur outre-Atlantique – avec 7,8 milliards d’euros de marchandises envoyées aux États-Unis en 2024, contre 9,4 milliards d’euros d’imports.
Une telle offensive serait donc perdant-perdant : les deux grands avionneurs, l’européen Airbus — leader du marché — et l’américain Boeing, se partagent les mêmes sous-traitants, répartis des deux côtés de l’Atlantique.
« Boeing, par exemple, équipe ses 737 Max de moteurs Safran, construits en France. Et les commandes de vols du 787 sont conçues par Thales », note Le Parisien. Sans compter des centaines de PME françaises qui fournissent des pièces pour les avions américains. En 2019, lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà instauré des droits de 15 % sur les pièces aéronautiques dans le cadre du « conflit Boeing-Airbus ».
Le beau visage de la cosmétique
22,5 milliards d’euros de produits vendus à travers le monde. En 2024, le cosmétique Made in France a signé un nouveau record d’exportations. La croissance de + 6,8 % enregistrée est certes plus faible qu’en 2023 (+10 %) et qu’en 2022 (+19 %).
Mais la filière n’en est pas moins « le deuxième contributeur à la balance commerciale hexagonale », avec un solde positif de 17,6 milliards d’euros, en progression, se félicite la Fédération des Entreprises de la Beauté (FEBEA). Ces chiffres flatteurs sont avant tout à mettre au crédit des parfums, qui représentent 1 milliard des 1,4 milliards d’euros de la croissance totale, même si les « Maquillages et soins du visage » restent la première catégorie de produits exportés.
Cette tendance est structurelle : les exportations de parfums ont plus que doublé ces cinq dernières années. « Un véritable atout pour la France, qui reste la plus grande parfumerie du monde avec une filière industrielle amont intégrée, que ce soit pour la production d’alcool ou la verrerie du flaconnage », analyse l’Usine Nouvelle.
Le Spleen des vins et spiritueux
Atout historique de l’Hexagone, le secteur des vins et spiritueux est dans l’œil du cyclone. Si en 2024, les exportations de produits agroalimentaires « transformés » (boissons, produits laitiers, huiles, préparations, viandes, pâtes et pains, etc.) ont progressé, le cognac et le champagne ne sont notamment pas à la fête (- 12,4 % et – 9,5 %, respectivement).
Le spleen du cognac est le résultat direct des surtaxes de 30 % à 38 % mises en place récemment par la Chine à l’encontre des eaux-de-vie de vin européennes. Ces droits de douanes constituent une mesure de rétorsion dans le cadre du conflit entre Pékin et Bruxelles sur les véhicules électriques chinois.
Le secteur, qui a l’habitude d’être la victime collatérale de tensions qui le dépasse, scrute désormais avec anxiété les annonces de Trump. Les professionnels français des vins et spiritueux craignent par-dessus tout de se voir fermer les portes des États-Unis, leur premier marché à l’export. Lors de son premier mandat, le président républicain avait infligé pendant deux ans des surtaxes de 25 % en guise de riposte dans le dossier Boeing-Airbus. Selon la Fédération des exportateurs de la filière, le manque à gagner s’était alors élevé à 450 millions d’euros.
Aux services de la France
2024 n’a pas fait exception à la règle : le solde commercial français a une nouvelle fois été porté par les services. Leur excédent grimpe ainsi à +48,9 milliards d’euros, le deuxième plus élevé de tous les temps, en progression de 13,4 milliards par rapport à 2023.
Une hausse en bonne partie liée au tourisme, dont l’excédent s’établit à 15,8 milliards d’euros – du jamais vu depuis 2013. Contre-intuitivement, les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) ne semblent avoir joué qu’un « rôle modéré » dans cette embellie, selon le Trésor.
La vente des droits télévisés étrangers et les recettes de billetterie alimentées par les non-résidents (+1,1 milliards d’euros à elles deux), qui comptent comme des exportations de service de voyage, ont certes bien aidé.
Pour autant, « les JOP ont donné lieu à un changement de profil des touristes », analyse Bercy, notant une baisse des recettes des boutiques des musées et des nuitées hôtelières des non-résidents au troisième trimestre. Ces derniers semblent néanmoins avoir « renforcé l’attractivité de la destination France », note le Trésor, mettant en avant les bons résultats au 4ème trimestre 2024.
Les services de transports, qui avaient atteint des excédents inédits en 2021 et 2022 sur fond de reprise post-Covid, reviennent quant à eux à des niveaux plus modestes, surtout tirés par le transport maritime, dont les exportations ont augmenté de 13,9 % grâce notamment à la hausse des prix du fret maritime.
Le secteur financier établit quant à lui un record absolu, avec un solde bénéficiaire de 16,3 milliards d’euros. Un chiffre permis par le renforcement de l’attractivité de la place de Paris, désormais installée dans le Top 5 mondial, concrétisé par le renforcement de la présence des établissements financiers, dans un contexte post-Brexit.
Reste à savoir si l’instabilité politique et les hausses de charges prévues dans le budget 2025 n’entraveront pas cette dynamique, comme le craignent certains.