Est-ce que dans son « action collective » vis-à-vis de l’extérieur l’Union européenne (UE) est aussi tétanisée que Pierre Moscovici le laisse penser ? S’exprimant le 13 septembre à Paris, au lendemain du discours du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sur l’état de l’Union en 2018, le commissaire chargé des Affaires économiques et financières, de la fiscalité et des douanes, faisait ainsi allusion « aux critiques » émanant des États-Unis et « aux menaces » de la Russie.
L’ancien ministre français de l’Économie de François Mitterrand ajoutait que « l’Europe est la seule solution face à la Chine ». Et Pierre Moscovici de prévenir. La croissance économique, la lutte contre le protectionnisme, la politique d’investissement, entre autres, ce ne serait « pas possible sans l’Europe ».
P. Moscovici : « faire une confiance aveugle » à D. Trump « serait dangereux »
Au sujet de la politique commerciale de Donald Trump, force est de constater que le bras de fer continue avec la Chine. Pour autant, rien n’indiquerait à ce stade que l’on assiste à un véritable apaisement entre les États-Unis et ses alliés traditionnels. Sur les futures relations avec les Américains, Pierre Moscovici est prudent, comme le montre la réponse très brève au MOCI qui lui demandait s’il était « confiant » ou « dubitatif », après la rencontre et la déclaration commune à Washington de Donald Trump et Jean-Claude Juncker et l’accord annoncé par les États-Unis et le Mexique.
Selon lui, « il faut rester extrêmement vigilant avec ce président » et « lui faire une confiance aveugle serait dangereux ». Mais il a aussi alerté : « casser l’Europe, ce serait casser la France ». Or, constate Pierre Moscovici, « les forces nationalistes n’ont jamais autant été écoutés ». Elles voudraient que « les frontières se ferment ». Certes, « sur le continent, il n’y a pas d’Hitler », mais « des petits Mussolini », a-t-il lâché, ce qui doit alerter et appeler les Européens à se mobiliser. Pour lui, « l’Europe n’est pas peuplée seulement de chrétiens blancs ».
Combattre la démocratie « illibérale », favoriser le libre-échange
Au cours de son intervention à Paris, l’ancien ministre français s’en est pris à plusieurs reprises au ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini et au Premier ministre hongrois Viktor Orban, chantre de la démocratie illibérale, une voie aussi suivie par la Pologne, qui consiste à se faire élire (démocratie) tout en bridant les libertés (illibérale).
Dans le prolongement de la fermeture des frontières, on critique aussi les accords commerciaux avec le Canada ou le Japon, comme s’il y avait d’autres façons aujourd’hui d’échanger utilement, a déploré Pierre Moscovici. C’est « pour des raisons aussi bien économiques que géopolitiques » que l’accord de partenariat avec le Japon doit être ratifié d’ici le Sommet européen du 9 mai, à Sibiu en Roumanie, expliquait Jean-Claude Juncker, le 12 septembre.
D’après Pierre Moscovici, la crise actuelle « est une crise du savoir faire ensemble ». Il faut « un cadre, un environnement global » pour augmenter l’investissement, pousser le multilatéralisme, renforcer l’euro à l’international, accroître le partenariat avec l’Afrique, trouver un accord satisfaisant dans le cadre du ‘Brexit’ qui permette de maintenir une « relation privilégiée » avec le Royaume-Uni.
Dans son discours devant le Parlement européen, Jean-Claude Juncker convenait que le « point de départ » d’un partenariat avec Londres « devait être une zone de libre-échange », faisant ainsi référence à la déclaration de Chequers du gouvernement de Theresa May.
J-C. Juncker : « l’Afrique a besoin de partenariat équilibré »
Sur l’Afrique, le président de la Commission européenne a proposé « une nouvelle alliance », « une alliance pour des investissements et des emplois durables ». L’Afrique, a-t-il insisté devant les députés européens, n’a pas besoin de charité, elle a besoin de partenariat équilibré, d’un vrai partenariat ». Des propos que l’on entend aussi de plus en plus en France dans les ministères (Quai d’Orsay, Bercy) et les organisations professionnelles (Medef International, Cian…). « Nous voulons créer un cadre permettant d’attirer davantage d’investissements privés », a précisé à Strasbourg l’ancien Premier ministre luxembourgeois.
Il y a deux ans, Bruxelles a lancé un fonds d’investissement extérieur devant mobiliser jusqu’à 44 milliards d’euros d’investissement dans les secteurs public et privé. A ce jour, les projets prévus et engagés devraient déjà représenter une somme de 24 milliards. Par ailleurs, le programme Eramus ayant déjà été ouvert à l’Afrique, l’objectif qu’il faut se fixer est de passer de 35 000 étudiants et chercheurs d’ici à 2020 à 105 000 jusqu’en 2027.
Enfin, Jean-Claude Juncker, qui a rappelé à Strasbourg que l’UE représentait pour l’Afrique 36 % de son commerce, déclarait « que nous devions faire évoluer les nombreux accords commerciaux entre l’Afrique et l’Union européenne vers un accord de libre-échange de continent à continent ». Il a évoqué au passage ses bonnes relations avec son homologue de l’Union africaine (UA), le Rwandais Paul Kagamé. Ce n’est peut-être pas le hasard. En effet, sous l’égide de l’UA, la plupart des pays membres ont accepté de s’engager dans la constitution d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC).
Développer l’euro sur la scène internationale
Pierre Moscovici a abordé également le rôle de la monnaie européenne, au moment où il estime qu’une réforme de la zone euro est « indispensable ». « Si on veut un euro complet, qui protège, dynamise et qui ait une position dominante dans les échanges internationaux pour ne être dépendant du dollar, alors il faut une vraie réforme européenne », a-t-il défendu.
« L’euro doit devenir l’instrument actif de nouvelle souveraineté européenne », avait la veille affirmé Jean-Claude Juncker, pour lequel « il est aberrant que l’Europe règle 80 % de sa facture d’importation d’énergie – qui s’élève à 300 milliards d’euros par an – en dollars américains, alors que 2 % seulement de nos importations d’énergie nous proviennent des États-Unis », et « que les compagnies européennes achètent des avions européens en dollars et non pas en euros ».
Pierre Moscovici est un fervent partisan d’un budget de la zone euro, projet initié en France par Emmanuel Macron, qui a réussi à faire partager son approche d’une zone plus intégrée à la chancelière Angela Merkel dans la déclaration franco-allemande de Meseberg, le 19 juin. Mais reconnaît le commissaire européen, « les positions sont figées » entre les pour et les contre, menés au nord par les Pays-Bas. Pierre Moscovici plaide aussi pour un ministre des Finances de la zone euro responsable devant le Parlement européen. Mais cela, avouait-il, « ce sera un jour, pour plus tard ».
François Pargny