Le Moci. Quel est le rôle du gouvernement de transition ?
Abdelhamid Triki. Le gouvernement, qui travaille depuis quatre mois, est en place jusqu’à l’élection de l’Assemblée constituante. Après, un autre gouvernement intérimaire sera nommé. La nouvelle institution établira une nouvelle Constitution. Ce texte fera, ensuite, l’objet d’un vote ou d’un référendum populaire et les élections législatives et présidentielles pourront alors se tenir. Ce n’est qu’une fois ces échéances passées qu’un gouvernement légitimé par les urnes sera formé.
S’agissant du gouvernement temporaire, en place depuis la révolution du 14 janvier, il a, d’abord, été amené à prendre les mesures d’urgence qui s’imposaient pour aider les populations déshéritées ou les familles ayant fui la Libye. La crise libyenne a de fortes répercussions sur notre commerce extérieur et nos revenus. S’y ajoutent la montée des cours du pétrole et des produits de base dont nous sommes dépourvus et, bien sûr, la chute des recettes dans certains secteurs, comme le tourisme et le transport aérien. En termes de richesse, le manque à gagner est de l’ordre de 1 milliard d’euros et nous évaluons nos besoins immédiats à 2 milliards. Le nombre de chômeurs à la fin de 2011 passera de 490 000 à 750 000 et la croissance de notre économie variera entre 0 et 1 %. Ensuite, ce gouvernement prépare le deuxième semestre et le budget préparatoire pour 2012. Donc, il est amené à raisonner non pas sur un an, mais sur deux, alors que sa durée de vie est très courte. Bien sûr, il s’agit d’un budget intérimaire, qui fera, ensuite, l’objet de discussions à l’Assemblée constituante. De même, l’équipe au pouvoir n’a pas attendu pour commencer les négociations salariales. Mais ce n’est peut-être pas elle qui signera les accords en la matière.
Le Moci. L’environnement politique et social est instable. Ne craignez-vous pas que les investisseurs étrangers évitent la Tunisie ?
Abdelhamid Triki. Non. Évidemment, il y a de l’attentisme, c’est naturel. Mais aujourd’hui, on ne s’interroge pas sur l’après-Ben Ali, on parle de la démocratie. C’est mieux. Les agences de notation devraient faire preuve de plus de discernement, mais, fort heureusement, la communauté internationale est soucieuse que la Tunisie réussisse. C’est important pour le printemps arabe. Les investisseurs arabes reviennent pour s’informer et les Américains, très hésitants dans le passé, démontrent aujourd’hui une certaine volonté. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un ou deux ans en matière d’investissement direct étranger, ce qui serait grave en matière d’emploi et de formation. C’est pourquoi le gouvernement intérimaire soutient aussi les grands projets d’infrastructures, comme l’autoroute reliant Béja au nord-ouest à la frontière algérienne. Je suis aussi partisan d’un port en eau profonde entre Sousse et Hammamet, à Enfidha. Peut-être faut-il redimensionner le projet actuel, mais, pour moi, cet ouvrage est vital pour le désenclavement et le développement de l’intérieur du pays.
Le Moci. Allez-vous renforcer les incitations à l’implantation ?
Abdelhamid Triki. Nous avons déjà décidé de déplafonner la prime d’investissement qui peut aller jusqu’à 25 % du total. Le gouvernement est aussi conscient qu’il faut dès maintenant combler le besoin de zones industrielles. Reste que Leoni [entreprise allemande], qui emploie déjà 13 000 cadres et agents en Tunisie, a pu trouver un terrain de 10 000 m2 pour fabriquer des câbles et composants automobiles au centre du pays, à Sidi Bouzid. Nous sommes sensibles aux projets de développement régional. La réglementation prévoit la possibilité d’offrir un terrain industriel pour un dinar symbolique. De même, l’État peut prendre en charge les cotisations sociales d’une entreprise pendant dix ans.
Propos recueillis par François Pargny