C’est par une salve d’applaudissements, le 12 février, que les 240 participants aux Rencontres Russie (12-13 février), organisées par Business France, ont accueilli l’annonce du cessez-feu en Ukraine. Il est vrai que les entreprises françaises n’ont pas le moral, à l’instar de ce producteur de foie gras, dont le quatrième débouché extérieur, la Russie – après l’Espagne, la Suisse et la Belgique – s’est fermé soudainement en raison de l’embargo russe sur les produits agroalimentaires occidentaux (hors vins et spiritueux). Toutes espèrent un apaisement de la situation.
« Début janvier, les conseillers du Commerce extérieur de la France se sont réunis et personne n’était optimiste à court terme », a révélé le président de la section Russie, David Lasfargue (notre photo), selon lequel «toutes annoncent des pertes, licencient, se séparent d’expatriés ou prévoient des licenciements ». Les exportateurs comme les investisseurs sont touchés. « Il n’y a plus de financement », a-t-il assuré. Pire, selon le président de la section Russie des conseillers du Commerce extérieur de la France (CCEF), « si, en juillet prochain, les sanctions contre la Russie ne sont pas levées, il n’y aura pas de nouvelles phases d’investissement ».
« Ces sanctions sont d’autant plus inutiles, qu’elles ont échoué. Elles n’ont pas empêché l’annexion de la Crimée, la guerre en Ukraine orientale et leur impact est limité au plan macro-économique. En revanche, elles ont un effet majeur sur le business », a martelé de son côté Philippe Pégorier, qui préside l’Association d’affaires européenne (AEB).
Trois mots clés pour l’avenir : localisation, diversification et substitution (aux importations)
Il est aujourd’hui trop tôt pour savoir si le processus de paix lancé aujourd’hui en Ukraine aboutira. «Mais ce qui est certain et ce pour longtemps, a prévenu David Lasfargue, c’est que les Russes ont la volonté de développer la localisation et que c’est irréversible. Les Russes veulent être indépendants, indépendants des hydrocarbures, et donc il va falloir maintenant produire sur place ».
Les derniers décrets pris dans la pharmacie confirmeraient déjà cette évolution, puisque une priorité dans les marchés publics des hôpitaux et de l’État serait accordée aux fabricants dans le pays. « Pour nous, entreprises européennes, qui représentons 75 % des investissement directs étrangers (IDE), on va clairement passer à un niveau de localisation plus haut », a renchéri Philippe Pégorier.
Plus que les sanctions, qui ont quand même entraîné un mouvement de défiance, avec un fort retrait de capitaux de la Russie, c’est la baisse du prix du baril de pétrole qui explique l’entrée en récession du pays. Comme l’économie est dépendante des hydrocarbures, la monnaie nationale a suivi la même pente. « Le rouble a ainsi perdu la moitié de sa valeur par rapport au dollar l’an dernier et, même si le prix de l’or noir remonte lentement, on prévoit cette année une récession de l’activité entre – 3 et – 3,5 % », a livré Daniel Maître, ministre conseiller pour les Affaires économiques et financières, chef du Service économique (SE) pour la Communauté des États indépendants (CEI).
C’est pourquoi Moscou a lancé un plan anti-crise, a exposé Vladimir Tkatchenko, directeur Europe, Amérique du Nord et organisations internationales au ministère du Développement économique de Russie. « Ce document d’une cinquantaine de pages comprend des mesures économiques et sociales » que le responsable a détaillées : recapitalisation des banques ; injection de 2 trillons de roubles en 2015 dont profiteraient notamment 200 entreprises, notamment étrangères, sélectionnées ; appui aux PME (fiscalité adoucie, simplifications administratives…) ; aux exportateurs, y compris étrangers ; et soutien à l’emploi, programmes pour les plus démunis, les familles et les retraités.
Moscou a également annoncé une politique de substitution aux importations. « La substitution ne se fera pas du jour au lendemain », mais la diversification dont on parlait déjà du temps de l’Union soviétique « pourrait devenir une réalité », a avancé Daniel Maître. Du coup, a renchéri Gilles Chenesseau, vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe (CCIFR), « il faut d’ores et déjà prendre des positions, car de nouveaux circuits se mettent en place et peuvent remplacer les nôtres. Ce qui rend encore plus crucial la levée des sanctions occidentales ».
Les Européens perdent du terrain face à la Chine dans un pays orienté vers l’Europe
Entre les onze premiers mois de 2014 et la période correspondante de 2013, détaille Daniel Maître, la part de marché (PDM) de la France est tombée « de 4,1, à 3,8 % ». Tous les grands pays européens, le Japon, l’Ukraine évidemment ont également perdu du terrain, alors que les États-Unis et surtout la Chine se sont renforcés. Des pays tiers, comme la Turquie et Israël, auraient également capté des niches.
De façon concrète, les parts de marché de l’Allemagne et l’Italie sont passées respectivement de 12 à 11,5 % et de 4,6 à 4,2 %, celles de l’Ukraine de 5,1 à 3,8 % et du Japon de 4,4 et 3,9 %. Les États-Unis ont gagné 1,3 point à 6,5 % de PDM. Moins touchés par l’embargo alimentaire que ses concurrents européens, « ils auraient aussi profité de livraisons de Boeing l’an dernier », précise Vladimir Tkatchenko.
A l’inverse, la part de marché de la Chine aurait atteint 17,7 %, contre 16,8 % un an plus tôt. « La Russie demeure un grand marché avec un potentiel énorme à moyen-long terme, tourné essentiellement vers l’Europe. Et même s’il y a un rééquilibrage vers l’Asie, l’orientation européenne perdurera », a néanmoins estimé David Lasfargue, qui a remarqué qu’à « aucun moment les autorités n’ont imaginé de prendre des sanctions administratives à l’encontre de l’Europe ». Selon le président de la section Russie des CCEF, « les visas de travail sont délivrés de façon normale, les sociétés sont enregistrées de façon normale et les entreprises étrangères sont traitées comme auparavant dans les appels d’offres ».
Le 12 février, tous les intervenants aux Rencontres Russie se sont félicités que « la bonne image et le lien avec l’opinion russe » soient maintenus. « La preuve en est que les Russes ont exprimé leur admiration au peuple français après les attentats de janvier dernier à Paris », relate l’ambassadeur de France à Moscou, Jean-Maurice Ripert. « Nous ne voulons pas que la Russie s’éloigne de l’Europe et nous ne voulons pas que l’Europe s’éloigne de la Russie. Nous ne voulons pas de dérive, pas de fracture », a-t-il encore déclaré.
D’après Daniel Maître, « un bon moyen de réussir pour les entreprises est aujourd’hui de nouer des partenariats ». Or, se réjouit-il, « les Russes ont de la mémoire et donc se souviennent de ceux qui sont restés sur place, des pays qui ont essayé de dialoguer, mais aussi des sociétés ». Le partenariat, croit-il, devrait être un outil essentiel pour rétablir la confiance avec les Russes.
François Pargny