« Aujourd’hui chez nous, on s’interroge pour savoir si la Russie peut connaître une baisse de son produit intérieur brut (PIB) équivalente à celle de 2009 (- 7,8 %) et si c’est toujours une économie émergente ou un pays qui va évoluer selon ses propres règles », relatait Natalia Orlova (notre photo), chef économiste d’Alfa Bank, lors d’une matinale du Club du Cepii (Centre d’études prospectives et d’informations internationales), le 2 mars.
Malgré l’embargo économique des nations occidentales, l’économiste russe, formée en partie en France (université de Clermont-Ferrand), prévoit plutôt une situation de stagnation. « On ne retrouvera pas les plus de 4 % de 2010 et 2011, mais, en même temps, le PIB peut croître de 1 à 2 % pendant trois à cinq ans, surtout si les prix du pétrole remontent », a-t-elle exposé dans un excellent français.
Pour autant, les hydrocarbures ne constitueront pas pour elle la clé du développement, ce seront les réformes structurelles. Aujourd’hui, la croissance économique souffre d’un double handicap : une évolution démographique défavorable et des capacités de production insuffisantes.
Un manque de main d’œuvre qualifiée
La Russie manque de main d’œuvre. Entre 1989 et 2012, le nombre de jeunes de moins de 20 ans est tombé de 44 à 30 %, ce qui correspond à une perte de 14 millions d’individus. « L’immigration, en provenance surtout d’Asie, peut aider dans certains secteurs, mais pas dans tous. L’économie est devenue sophistiquée », explique Natalia Orlova, estimant, toutefois, que « dans l’avenir, la Russie pourrait profiter d’une main d’œuvre plus qualifiée originaire d’Ukraine ».
Second frein, l’industrie, fonctionnant à pleine capacité, n’est pas capable d’accroître son niveau de production. Sa seule possibilité pour gagner de la compétitivité est donc une baisse de la monnaie, le rouble. Or, tant qu’il n’y aura pas de mesures structurelles, « la productivité restera faible », expose Natalia Orlova, qui craint que, « si l’inflation augmente, de nouvelles pressions sur le rouble apparaissent », ce qui pèserait alors sur le seul véritable moteur de la relance, c’est-à-dire l’investissement.
Certes, de grandes entreprises internationales cherchent aujourd’hui à profiter du contexte économique pour réaliser des acquisitions en Russie, mais le climat d’affaires n’est pas favorable aux investissements directs étrangers (IDE). Au sein du gouvernement, nombreux sont ceux qui veulent privilégier l’investissement russe. C’est pourquoi la corruption y est généralement acceptée. Elle est une barrière aux IDE et est utilisée généralement en faveur des opérateurs locaux.
Une coopération limitée avec la Chine
Au demeurant, Natalia Orlova se déclare « pessimiste » quant à l’évolution de la coopération avec la Chine. S’agissant du partenariat financier, « les Chinois ne se pressent pas », assure-t-elle. Quant au volet pétrolier, « où sont les investissements chinois ?», interroge-t-elle. Le secteur des hydrocarbures étant aux mains des Russes, « il devrait le rester », pense-t-elle, la corruption servant aussi à les protéger.
Au total, les IDE comptent peu dans l’économie russe. Les acteurs étrangers sont surtout présents dans l’automobile et l’agroalimentaire, deux secteurs qui bénéficient de la bonne tenue jusqu’à présent de la consommation, soutenue par les hausses de salaires et la diminution du chômage, dont le taux est historiquement faible à 5 %. En 2013, 59 % des dépenses dépendaient du budget public : 25 % pour les salaires des fonctionnaires et 34 % pour les retraités. L’État continue à créer des emplois et à augmenter les salaires.
Pour autant, la consommation ne sera pas aussi forte que par le passé, en raison notamment de la progression de l’inflation, qui est passée de 6 % à 11 % à la fin de l’année dernière, puis à 14 % aujourd’hui. Elle monterait encore à 17 % en mai prochain, avant de redescendre à 10 % à la fin de l’année, selon l’économiste d’Alfa Bank, qui juge « hautement irréalistes », les prévisions de 4 à 4,5 % de la Banque centrale russe (CBR). Pour Natalia Orlova, compte tenu des risques inflationnistes et de la faible croissance économique, « une nouvelle phase de dépréciation du rouble est juste une question de temps ».
François Pargny
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