« L’Espagne, deviendrait-elle l’Allemagne ? » et « l’Allemagne, deviendrait-elle l’Espagne ? », s’interrogeait, le 24 octobre à Paris, Yves Zlotowski (notre photo), chef économiste de Coface, à l’occasion de la présentation du panorama Risque pays d’automne de l’assureur crédit export. Une interrogation qui, en fait, ressemblait plus à une affirmation. Car en osant une comparaison entre l’Espagne, pays plombé par la crise économique mondiale en 2008, et l’Allemagne, première puissance économique de l’Union européenne (UE), Yves Zlotowski a voulu rendre hommage aux deux : au grand pays de la péninsule ibérique dont la reprise se confirme et à la grande nation dirigée par Angela Merkel où, affirmait-il, « tout va bien ».
Chez Coface, on explique ainsi que « le réveil de la demande interne, l’amélioration de la situation financière des entreprises, des exportations dynamiques et les faillites en recul de 30 % (à fin juin, sur un an) alimentent la baisse des risques espagnols ». Du coup, l’assureur crédit export a été conduit « à relever son évaluation B, sous surveillance positive depuis juin dernier, à A 4», sur une échelle de sept niveaux, allant de A1 (le meilleur) à D et pouvant être assortis de surveillance.
« Certes, la croissance économique n’est pas superbe, + 1,2 % en 2014 et + 1,5 % en 2015, complète Yves Zlotowski, mais l’Espagne est entrée dans un cercle vertueux et la consommation se réveille, ce qui explique la hausse des importations ».
Allemagne : les défaillances d’entreprises baissent
Quant à l’Allemagne, déjà classée A1, « s’il y a des inquiétudes à moyen terme, ce n’est pas le cas à court terme », martèle le responsable de Coface, qui affirme « ne pas être du tout inquiet de la récession technique outre-Rhin ». Le pays est compétitif à l’international, même si elle souffre de la situation en Russie, voire en France, mais « les fondamentaux sont bons », la consommation notamment qui doit rester un soutien important pour l’économie. Les défaillances d’entreprises ont même baissé, tout comme les encours fournisseurs. Yves Zlotowski note, toutefois, que le coût des défaillances est élevé, car, parfois, sont touchées de grandes entreprises, comme dans la grande distribution.
Selon lui, les importations allemandes vont continuer à croître et l’offre allemande dans le haut de gamme va rester « très compétitive auprès des pays émergents ». En revanche, l’atonie de la zone euro lui pose un « sérieux problème ». En définitive, le chef économiste de Coface affiche sa confiance, car « si le moteur de l’exportation ne sera plus aussi puissant, la consommation est déjà là ».
Outre l’Espagne, Coface a amélioré les notes de la Belgique et des Pays-Bas, tous deux évalués A3, mais désormais avec une surveillance positive. La croissance économique y est de retour (0,7 % attendu cette année aux Pays-Bas et 1 % en Belgique), les exportations et investissements sont en hausse et les défaillances d’entreprises en baisse. Les Pays-Bas doivent, néanmoins, gérer la dette élevée de ses ménages. Dernier pays reclassé, le Cambodge, toujours classé en D, une évaluation assortie aujourd’hui d’une surveillance positive.
Les sociétés turques exposées au risque de change
Dans son panorama Risque pays d’automne, Coface a aussi déclassé six pays : le Venezuela, de C avec surveillance négative, tombe en D ; le Liban et le Sierra Leone sont tous deux maintenus dans la catégorie C, mais avec une surveillance négative ; le Ghana et la Russie passent de B avec surveillance négative à C ; enfin, la Turquie, évaluée A4 avec surveillance négative, est placée dans la catégorie B.
En Turquie, l’activité ne serait pas si mauvaise (+ 3,3 % cette année), mais « du côté des entreprises, l’endettement extérieur reste élevé, ce qui accentue leur exposition au risque de change », explique-t-on chez Coface. Or, l’économie est très sensible à la politique financière de la Fed américaine et les capitaux en Turquie sont volatiles. Et, du coup, la situation financière des entreprises turques s’est détériorée. Elles évoluent aussi dans un environnement politique interne et externe dégradé (la question kurde, l’offensive de l’État islamique à la frontière avec la Syrie).
La Turquie a bien réussi à attirer des investissements directs étrangers (IDE) dans la banque ou l’automobile, « mais ce n’est pas suffisant pour stabiliser sont déficit courant et ce n’est pas suffisant parce que c’est difficile de s’y installer. Il faut un partenaire turc et les groupes locaux sont déjà forts dans nombre de secteurs », constate Yves Zlotowski. Certes, l’ex-Empire Ottoman peut faire valoir sa position géographique avantageuse entre l’Occident et l’Orient, mais la puissance de feu du capitalisme turc, paradoxalement, se révèle un frein sur certaines zones qui pourraient être prospectées d’Istanbul ou d’Ankara par des entreprises étrangères. Par exemple, en Asie centrale, nombre de marchés de construction sont gagnés par des compagnies turques.
La forte dette à court terme d’une partie du secteur privé russe
Quant à la Russie, ses entreprises ont accumulé un endettement considérable. Certaines doivent, au demeurant, faire face à des échéances importantes de remboursement d’ici un an, au moment même elles souffrent de la faiblesse du rouble et des sanctions économiques que nombre de capitales occidentales ont pris à l’encontre de Moscou pendant la crise ukrainienne.
Le renforcement progressif des sanctions des États-Unis et de l’Union européenne pèsent sur la consommation et l’économie devrait stagner cette année, mais, s’agissant de l’investissement, il est important de noter qu’il baissait déjà en 2013, ce qui illustre « un manque de confiance des acteurs économiques russes dans le climat des affaires », souligne-t-on chez Coface. En août dernier, la Banque centrale a annoncé son intention de passer à la convertibilité du rouble.
« La Banque centrale ne veut pas s’épuiser à défendre la monnaie nationale et donc perdre ses réserves en devises », commente Yves Zlotowski. Selon l’économiste français, le pays des tsars « possède une économie beaucoup plus diversifiée qu’on le croit généralement ». L’abandon par la Banque centrale du taux de change devrait ainsi pousser les entreprises russes à être plus compétitives.
François Pargny