Créer des « partenariats stratégiques » avec le monde arabe, tel était le thème du forum organisé par la Chambre de commerce franco-arabe (CCFA) à la CCI Paris Ile-de-France, le 10 février, une zone sous les feux des projecteurs, en raison du séjour, les 10 et 11 février, du secrétaire d’État au Commerce extérieur, Mattias Fekl, au Qatar, et des espoirs de livraisons de Rafale à l’Égypte. De fait, le 12 février, le journal Le Monde annonçait un accord avec Le Caire sur un important contrat d’armement, dont 24 Rafale, devant être signé le 16 février.
Une bonne nouvelle pour le groupe Dassault Aviation, jusqu’à présent en panne de commandes de son avion de combat de pointe à l’étranger. Une bonne nouvelle aussi pour la France qui s’inquiète de sa perte d’influence économique dans la zone.
« Il est incontestable que ces cinq dernières années il y a eu un recul de l’export de la France, et ce d’environ 10 %, mais nous sommes dans la moyenne européenne et d’autres on fait moins bien que nous, comme l’Allemagne, avec – 11, – 12 %, et le Royaume-Uni, avec – 15 % », nuance le président de la CCFA, Hervé de Charrette (notre photo). Selon l’ancien ministre des Affaires étrangères, « ce n’est pas un manque de savoir-faire de notre part, mais le résultat logique de la mondialisation et l’ouverture du monde arabe vers d’autres mondes, notamment l’Asie et un peu l’Amérique latine ».
Il y a donc « un rééquilibrage », que Rémy Rioux a également noté. Le secrétaire général adjoint, en charge des Affaires économiques, au ministère des Affaires étrangères et du développement international (MAEDI), parle ainsi de « plateau ». La France « n’a pas amélioré ses exportations entre 2013 et 2014… Elles n’ont pas progressé au Proche et au Moyen-Orient, où notre excédent s’est réduit et est limité, et également en Afrique du Nord. Avec 55-56 milliards d’euros d’échanges à la fois pour l’export et l’import, la France réalise avec le monde arabe 8 % de ses exportations totales et 5 % de l’ensemble de ses importations », ce qui, « compte tenu de la richesse de notre relation, reconnaît Rémy Rioux, est insuffisant ».
Investir plutôt qu’exporter
Il y a quand même 3 500 sociétés françaises implantées dans la zone, selon Pierre-Antoine Gailly, président de CCI Paris Ile-de-France. D’après la CCFA, elles seraient 450 PME installées en Algérie, 750 au Maroc, 1 300 en Tunisie, 68 en Arabie Saoudite et 600 dans les Émirats Arabes Unis.
« Nous ne sommes plus seulement dans l’export, mais aussi dans l’investissement sur place et, encore plus important pour l’avenir, dans les investissements arabes en France », a souligné Marie-Cécile Tardieu, sous-directrice des Relations économiques bilatérales au Trésor. Et de reconnaître que si au Maghreb la Chine en Algérie ou l’Espagne au Maroc ont dépassé la France en matière d’export, la France fait de la « colocalisation » au Maroc et y contribue à développer les nouveaux métiers (offshoring, automobile…).
En Tunisie, l’alliance nouée dans le numérique autour de coentreprises peut aboutir à des partenariats solides, y compris sur d’autres marchés d’Afrique. En Algérie, l’usine de Renault à Oran y favorise l’essor d’une filière industrielle et d’une région. En mai 2013, François Hollande a nommé Jean-Louis Levet, un ancien conseiller auprès du Commissaire général à l’investissement, haut Responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne, pour développer « une coopération transversale » conformément à la déclaration commune de 2012 du président français et de son homologue Abdelaziz Bouteflika*.
Partenariats industriels pour travailler en Algérie et dans le reste monde – « 6 000 des 12 000 entreprises exportatrices françaises opèrent en Algérie, mais seulement 400 PME sont implantées en Algérie, ce qui nous donne une marge de manœuvre considérable », a assuré Jean-Louis Levet – coopération technologique, formation et création de pôles d’excellence (par exemple, un institut de logistique), « nous sommes d’ores et déjà passés de la boussole à l’action », s’est félicité l’économiste français.
Le transfert de technologie devient une obligation
Le transfert de technologie est devenu une demande récurrente des pays du Sud, à laquelle les États du Nord ne peuvent plus échapper. « Mais attention, sur les grands contrats notamment, ce n’est pas seulement un transfert de technologique qui est recherché, c’est de plus en plus un transfert de construction », a pointé Nicolas Galey, délégué interministériel à la Méditerranée (Dimed). Ainsi, en Égypte, où il était ambassadeur de France jusqu’à sa nomination à la tête de la Dimed en novembre dernier, Nicolas Galey a rappellé que si la DCNS a arraché une commande de quatre corvettes l’an dernier, « trois vont être réalisées à Alexandrie ».
Le forum France-Pays arabes a mis aussi en lumière une nouvelle demande des pays du Sud : la participation des entreprises étrangères à l’essor de secteurs sociaux. Les révolutions du printemps arabe, la montée du terrorisme liée à la pauvreté et au chômage de Rabat à Mascate inquiètent. Le nombre de diplômés sans emploi s’accroît dans nombre de pays. En Arabie Saoudite, 65 % des chômeurs sont des jeunes. « Les investissements français ne concernent pas le développement social en Arabie Saoudite, alors que le chômage est très élevé », regrettent ainsi Wissam Fattouh, secrétaire général de l’Union des banques arabes (UBA).
Pour lutter contre une dérive, il faut aider les petites et moyennes entreprises (PME) à se développer. Or, « 10 % des crédits accordés dans le monde arabe parviennent aux PME », selon lui. D’après une étude de l’UBA et de la Banque mondiale, il n’y a pas d’établissements spécialisés pour ce type d’entreprises dans la zone et le secteur bancaire n’offre pas aux PME de garantie pour leurs projets.
« Je pense donc que la coopération arabo-française doit aujourd’hui se tourner vers la constitution d’un front économique et social pour lutter contre le chômage », a lancé à Paris Wissam Fattouh. « Il faut amorcer une coopération dans le domaine des PME », a précisé le secrétaire général de l’UBA. Et donc développer des investissements directs et des projets qui associent les plus petites entreprises.
François Pargny
*Relire, notamment : France-Algérie : les discrètes avancées de la Mission Levet