En choisissant cette année comme thème de son 5e forum Afrique Développement, les 15 et 16 mars à Casablanca, au Maroc, « les nouveaux modèles de croissance inclusive », Attijariwafa Bank a donné une dimension sociale à un évènement jusqu’à présent purement économique. Cette année, la filiale de la Société nationale d’investissement (SNI) avait choisi le Burkina Faso comme pays invité d’honneur. Roch Marc Christian Kaboré (notre photo), le président du « pays des hommes intègres », qui ouvrait la manifestation, a rappelé que « la pauvreté est en Afrique plus forte qu’ailleurs » et que « les inégalités continuent à se creuser » et « touchent en particulier les jeunes ».
Une menace et un défi à prendre au sérieux, a-t-il prévenu, en rappelant que le continent sera habité par 2,4 milliards d’âmes en 2050 et que, dans quinze ans, un Africain sur deux vivra en zone urbaine. A ce rythme, le continent risque d’être déstabilisé par la pauvreté, laquelle peut générer une « révolution sociale » et être un « terreau fertile pour le terrorisme », convenait un jeune industriel marocain, venu rencontrer des homologues des 30 pays représentés (les produits de sa société sont déjà distribués au Sénégal et en Algérie).
« Plus encore, voyez la fracture sociale dans les villes marocaines, avec des logis, des quartiers encore insalubres, dans un pays dominé par un parti fondamentaliste, le PJD (Parti justice et développement), très implanté localement », pointait un observateur de la vie marocaine, ajoutant aussitôt : « aujourd’hui, le roi tient le pays, mais demain ? ».
Le Royaume veut rejoindre la Cedeao
En son temps, le Royaume chérifien avait cherché à s’arrimer à l’Europe en demandant son adhésion à l’Union européenne. Il avait dû se contenter d’un accord de libre échange. L’Union du Maghreb arabe étant un échec, les banques marocaines, dont le marché domestique était saturé, ont naturellement trouvé des relais de croissance au sud. C’est en marchant que les Marocains ont appris à connaître une Afrique subsaharienne complexes à leurs yeux.
Aujourd’hui cette stratégie semble payer. Le printemps arabe a fragilisé la Tunisie, la Libye – qui jouait un rôle de banquier des Etats subsahariens sous le régime Kadhafi-, est à terre, l’Algérie est dans l’attente de l’après-Bouteflika et confrontée au yoyo des cours du pétrole, l’Égypte se tourne résolument vers l’Afrique de l’Est, qui n’est pas (encore) une priorité du Maroc, enfin, l’Afrique du Sud, confrontée à la baisse des cours de matières premières et à une crise politique et sociale larvée, demeure focalisée sur une Afrique australe que le Maroc n’a pas encore vraiment investi.
En revanche, si le président du Burkina Faso a salué le retour récent du Royaume chérifien dans la « Maison Afrique », c’est-à-dire dans l’Union africaine, Salaheddine Mezouar, le ministre marocain des Affaires étrangères, a, pour sa part, insisté sur la demande d’adhésion de son pays à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Un souhait, qui correspond, selon lui, à la « conviction » que « les espaces régionaux doivent se consolider » et qu’il ne faut pas seulement « une intégration économique, mais aussi humaine ». Le Maroc veut participer à ce mouvement.
Un partenariat avec la France en Afrique plus difficile
Tant que Mohammed VI est à la barre, la stratégie fonctionne : le « roi VRP » a accéléré le rythme de ses déplacements au sud du Sahara : dernièrement le Sud Soudan, le Ghana, la Côte d’Ivoire, la Guinée et la Zambie. Les groupes marocains, souvent à capitaux étrangers, français notamment, ont suivi ou anticipé, accompagné. Il y a eu un effet d’entraînement sur des PME familiales ou non, mais au capital marocain, qui ont franchi le pas. Si bien qu’aujourd’hui il n’est pas certain que le rêve de Paris d’un partenariat avec Rabat au sud du Sahara soit possible et désiré.
Certes, confiait un industriel du Royaume, « il n’est pas rare qu’un fournisseur français nous livre pour un produit que nous allons ensuite exporter au sud ». De même, des entreprises françaises et basées en France n’hésitent pas à travailler avec les banques marocaines pour se rendre en Afrique subsaharienne. Mais certaines sociétés de l’Hexagone commencent également à estimer que leurs homologues du Royaume sont des concurrents.
Ce n’est pas Bouygues ou un groupe asiatique qui a ainsi enlevé le marché de l’aménagement de la baie de Cocody à Abidjan, mais le Marocain Marchica Med, avec le financement d’Attijariwafa Bank. De ce vaste chantier », a précisé, lors du forum, Saïd Zarrou, président du Conseil d’administration de Marchica Med, le plan d’eau du chenal et la marina sont bien avancés et seront prêts le 7 août prochain ».
« Le modèle a été présenté à Madagascar », a-t-il encore souligné, et, début février, des études de faisabilité pour la valorisation et la sauvegarde du canal des Pangalanes à l’est de la Grande Ile ont été entamées. « Un mémorandum of understanding a été signé, suite à la visite du roi, s’est-il félicité, et le projet sera ainsi présenté à Mohammed VI et au gouvernement malgache en mai ». Le chantier est colossal, car, plus que les 700 km du canal, il s’agit d’intervenir sur une zone de 1 200 km de longueur au total, avec une largeur de 90 km.
De notre envoyé spécial à Casablanca,
François Pargny