Au pouvoir depuis 1990, le président du Kazakhstan Noursoultan Äbichouly Nazarbaïev devrait en principe se succéder à lui-même sans surprise, à l’issue des élections du 26 avril prochain. « Cà ne fait pas de doute », avançait ainsi Francis Étienne, l’ambassadeur de France dans ce pays de 17 millions d’habitants, lors des Rencontres Kazakhstan, organisées par Business France le 16 avril, le jour même de l’inauguration officielle de la ligne aérienne Paris-Astana (dans la pratique, ouverte par Air Astana depuis le 30 mars).
C’est le résultat, selon le diplomate français, « d’un travail de cinq années », qui tombe à pic, puisque le chef de cet État d’Asie centrale doit se rendre à Paris en novembre. Le dialogue avec son homologue français, François Hollande, serait excellent et régulier. La France figure, d’ailleurs, parmi les dix États européens dont les ressortissants ne sont pas soumis à un visa d’entrée pour une durée temporaire d’un an. Et « ce système sera prolongé après juillet 2015 », a assuré au Moci l’ambassadeur de France, qui veut booster « le partenariat stratégique » entamé depuis 2009, notamment à l’occasion de la tenue d’Expo Astana 2017, l’exposition universelle sur le thème des énergies du futur, qui doit accueillir quelque 5 millions de visiteurs dans la capitale administrative kazakhstanaise pendant trois mois (10 juin-10 septembre).
La France, troisième investisseur étranger
Grâce principalement à ses grandes entreprises, déjà très investies dans le pays, comme Total, Areva, Airbus ou l’Air Liquide, la France entend se renforcer. D’autant que d’autres échéances, si elles se concrétisaient, pourraient inciter les PME françaises à porter leurs efforts au-delà de la tenue de l’exposition universelle à Astana (nord du pays).
Malgré la candidature de Pékin aux Jeux olympiques d’hiver de 2022, Almaty (sud-est), qui accueillera en 2017 (29 janvier-8 février) la 28e Universiade d’hiver, festival sportif et culturel d’envergure internationale, espère l’emporter pour recevoir les JO.
« La France est le troisième investisseur étranger, avec un chiffre de 11,3 milliards de dollars, sur un stock total d’investissements directs étrangers (IDE) de 129 milliards », a délivré Jean-François Dathie, le chef des Services économiques d’Asie centrale. « Le Kazakhstan est le pays où notre groupe a le plus investi dans le monde », rapportait ainsi Massimo de Mauro, vice-président de Total Exploration & production pour le Kazakhstan. La major française est notamment associée à l’exploitation de Kachagan, nom donné au gisement géant de gaz en mer Caspienne, découvert dans les années 90. Arrêtée en raison de fuites dans les canalisations, la production devrait reprendre en 2017.
Dans le ferroviaire, en avril dernier, EKZ, une coentreprise entre Alstom, Transmashholding (TMH), Kazakh Railways (KTZ) basée à Astana, livrait à KZT la première locomotive passagers KZ4AT, développée par Alstom et TMH. Le transport urbain a aussi le vent en poupe, notamment dans les deux plus grandes villes, Almaty avec le métro et Astana avec le tramway.
Dans l’agroalimentaire, les seuls producteurs internationaux de yaourts sont français, Danone et Lactalis. Actif au Kazakhstan surtout dans la nutrition infantile et le lait, le groupe présidé par Franck Riboud « a triplé son chiffre d’affaires en quatre ans et doit encore le doubler dans les cinq à venir. Nous avons investi 20 millions d’euros dans une usine », détaillait ainsi à Paris Renaud Chamonal, directeur général de Danone Asie centrale et Caucase, qui compte au total 400 personnes, dont 10 expatriés. « Il y a une véritable volonté d’apprendre et nous n’avons pas de problème de production et de management», précisait-il.
S’agissant des approvisionnements en matière première, Danone « a des engagements à long terme avec des paysans et trouve facilement du lait de qualité », s’est félicité Renaud Chamonal, qui a également indiqué au Moci que sa société opérait notamment avec de grosses fermes, « dans lesquelles souvent de grands investisseurs kazakhs, soucieux de se diversifier, s’impliquent ». Danone a aussi été sollicité par l’OCDE pour un projet pilote visant notamment à augmenter la capacité de production des fermes. Dans le cadre de son programme de compétitivité en Eurasie, l’institution internationale a ciblé le secteur laitier, « un domaine avec un large potentiel de croissance », a expliqué le chef du projet Wouter Meester, selon lequel « des experts néerlandais, français » ont été requis « pour accroître les qualifications et éduquer les paysans ».
Les déboires de l’Union économique eurasienne
La visite à Paris du président Nazarbaïev pourrait paraître mal choisie au moment où l’économie kazakhstanaise subit un double choc, avec la crise entre l’Ukraine et la Russie et la chute du cours des hydrocarbures. La patrie de Vladimir Poutine est en récession, ce qui a un impact direct sur ses voisins, en particulier ses partenaires de l’Union économique eurasiatique : Biélorussie, Kazakhstan, Arménie, auxquels s’ajoutera le Kirghizstan à la fin de l’année (Danone a déjà anticipé avec ses premières livraisons dans ce pays).
Outre la diminution du pouvoir d’achat en Russie, des produits de l’Union y sont jugés non conformes ou interdits. Or, « la part de la Russie est de 35 à 40 % dans les importations et de 10 % dans les exportations kazakhs et la Russie est le principal canal pour les exportations non hydrocarbures », remarquait Anne-Sophie Fèvre, économiste senior en charge de la Communauté des États indépendants (CEI) chez Coface. La baisse du rouble a également incité de nombreux citoyens kazakhstanais à acquérir à des prix attractifs des véhicules automobiles, de l’autre côté de la frontière, en Russie.
Autre souci pour la patrie du président Nazarbaïev, la baisse des prix des hydrocarbures, qui représentent 20 % du produit intérieur brut (PIB), la moitié des recettes budgétaires et les deux tiers des exportations globales. Mais comme le budget a été calculé avec un baril à 50 dollars, le Kazakhstan possède encore une marge de manœuvre, juge Francis Étienne, qui a rappelé que l’agence Fitch table sur une croissance de l’économie de 2,5 % cette année. De plus, il dispose d’un joli matelas de 70 milliards de dollars de réserves à fin mars, logés dans un fonds pétrolier. En matière de risque pays, Coface a placé le Kazakhstan en B (sur une échelle allant de A1 à D, du meilleur au pire), ce qui est « une évaluation moyenne, a commenté Anne-Sophie Fèvre, car nous avons tenu compte de certaines faiblesses récurrentes, comme l’endettement important et le secteur bancaire ».
Les priorités sectorielles et la Route de la Soie
Évidemment, le grand projet d’exposition universelle en 2017 va soutenir l’activité économique, notamment la construction, favorisant au passage la diversification économique qui reste timide. Par ailleurs, le pays leader d’Asie centrale (75 % du PIB de la région), envisageant de rejoindre le club des 30 nations les plus développées du monde en 2050, a lancé un plan d’investissement de 2,7 milliards de dollars par an pendant au moins cinq ans, centré sur plusieurs secteurs prioritaires : métallurgie, chimie, industrie (automobile…), raffinage, agroalimentaire, etc. « Mon pays a des ressources naturelles et veut les transformer. Donc nous avons besoin de l’expertise et de la technologie étrangères », a exposé Assel Muratovna Ergazieva (notre photo), vice-présidente du Conseil d’administration de Kaznexinvest, l’Agence nationale de promotion des investissements.
De nombreuses préférences sont ainsi accordées : baisse des taxes, suppression des droits de douane, etc. Comme le Kazakhstan est vaste (2 717 300 km2, soit près de cinq fois la France), dix zones économies spéciales (ZES), offrant des avantages encore supérieurs, ont été créés à l’ouest (une dans la pétrochimie et une générale), au nord (une dans le tourisme, une deuxième dans la pétrochimie et une troisième générale), au sud-est (une dans le textile, une dans la chimie, une dans la logistique, une dans les industries des télécommunications et l’innovation) et au centre (une dans la métallurgie).
Pour attirer les opérateurs étrangers, Kaznexinvest met en avant la géographie du Kazakhstan, à la fois sa position centrale dans l’Union économique eurasienne et pour le passage d’un corridor routier et ferroviaire entre l’est et l’ouest. Le président chinois Xi Jinping a proposé la mise en place d’une « zone économique (ou ceinture) de la Route de la Soie », qui unirait l’Europe, la Chine, l’Asie centrale dans un marché de plus de trois milliards d’individus. La Russie comme la Chine, les deux grands voisins, pourraient trouver un intérêt dans ce projet, ce qui rend particulièrement optimiste à Astana et Almaty.
François Pargny