L’annonce du
lancement d’un plan de relance de quelque 87 milliards d’euros (10300
milliards de yens) le 11 janvier dernier par le nouveau Premier ministre Shinzo
Abe a plutôt été perçue comme une bonne nouvelle par les observateurs. Axé sur
la croissance et la création d’emplois, il prévoit notamment une relance des dépenses publiques dans les
chantiers de rénovation d’infrastructure (routes, établissements scolaires), un
programme d’aide financières aux PME et des mesures d’incitation aux
investissements.
Ce plan est-il de nature à sortir durablement l’économie
japonaise de sa léthargie ? Rien n’est moins sûr.
Un plan de relance très « court termiste »
Ludovic Subran, chef économiste d’Euler Hermes, en doute. Au
plan de la stratégie, l’horizon du gouvernement Abe est politiquement
fragile : « Le contexte dans lequel il faut toujours se placer
lorsqu’on essaye d’évaluer une politique publique au Japon est un contexte très
court-termiste : il y a des changements au gouvernement quasiment chaque
année depuis dix ans, relève-t-il. Chaque premier ministre arrive avec son policy mix qui, selon le contexte, met
plus l’accent sur la politique budgétaire ou sur la politique monétaire ».
D’où une politique qui ne contient a priori aucune réforme de fond : « Le
premier ministre Shinzo Abe cherche à stimuler la croissance en relançant un
peu le crédit et la création d’emploi et en revenant à une époque qui était
celle du yen faible : très clairement, la banque centrale japonaise est
priée d’assouplir une politique monétaire déjà très peu restrictive ». Le premier ministre japonais n’a eu de cesse, depuis son arrivée au pouvoir, d’appeler la banque centrale japonaise à desserrer sa politique monétaire.
Yen faible :
«L’enjeu pour l’industrie japonaise est de rester compétitive sur le marché
chinois »
L’idée de revenir à une politique du yen faible, loin de
servir une relance de la consommation intérieure, vise d’abord à soutenir les
exportations. A l’instar de l’automobile. « Les exportations du secteur
automobile japonais sont un des piliers de l’économie : or, leur bonne
santé est inversement proportionnelle à la cherté du yen par rapport au dollar »,
analyse Ludovic Subran. D’où l’intérêt d’un retour à la politique du yen faible». Après la crise financière de 2008-2012, le yen a connu une période de forte appréciation vis à vis du dollar (et de l’euro), passant largement au dessous des 100 yens pour 1 dollar (touchant un pic à près de 75 pour 1 dollars début 2012). Depuis la mi- 2012, il faiblit pour se rapprocher à nouveau de la barre des 100 yens pour 1 dollar (aux alentours de 90,8 le 28 janvier).
En toile de fond, se joue aussi la place de l’industrie
japonaise en Asie. « L’enjeu pour l’industrie japonaise est de rester
compétitive sur le marché chinois : en septembre 2012, à la suite des
tensions avec Pékin sur la Mer
de Chine, les Japonais ont enregistré une chute de 40 % de leurs ventes en
Chine ; Toyota a même décidé de changer de nom pour s’appeler China Toyota
au lieu de Toyota China. C’est dire l’enjeu, poursuit l’économiste. Et les marques coréennes en
ont profité. Sachant l’instabilité potentielle des relations
sino-japonaises, les industriels cherchent aussi à se faire de nouveaux alliés
en Asie du Sud pour diversifier leurs exportations, regardant vers des pays
comme l’Indonésie, la
Malaisie ou le Vietnam ».
Au total, le plan Abe ne devrait pas provoquer un choc de
croissance : « A court terme, on en attend un impact très
limité : en 2012, le regain de croissance de l’économie japonaise (+1,7 %)
a été du à l’effet de rebond après la catastrophe du tsunami, qui avait
entraîné une récession de -0,5 % en 2011. Pour 2013, nous tablons sur une quasi
stagnation, avec entre 0,2 % et 0,5 % de croissance ». L’efficacité du plan
lui-même, en termes de rapport coût/retour sur investissement, n’est pas
acquise : « Plus de la moitié du plan est consacrée à une relance des
chantiers d’infrastructures publiques : or, d’expérience, cela marche dans
les pays émergents mais a très peu d’effet dans les pays avancés et l’impact
est temporaire ».
Le risque d’une
relance de la guerre des monnaies en Asie du sud-est
A priori peu efficace pour relancer durablement la
croissance, cette politique peut avoir en outre des effets pervers, compte tenu
de la situation catastrophique des finances publiques japonaises.
Premier effet
pervers craint : l’alourdissement de la dette japonaise, qui commence à
sérieusement inquiéter les analystes, même si elle est principalement financée
par l’épargne nationale. « C’est d’autant plus risqué que l’on peut
craindre un choc de confiance : il ne faut pas oublier que la dette
publique japonaise représente déjà 211 % du PIB ; le plan de relance va
augmenter de 7 points de PIB cette dette, pour la porter à 218 %. C’est une
orientation paradoxale à l’heure où tous les pays font de la consolidation
budgétaire ».
Deuxième effet pervers : avec la dépréciation annoncée
du yen, le risque est une relance de la guerre des monnaies dans toute l’Asie,
avec des dévaluations en chaîne et une déstabilisation des équilibres
économiques et monétaires de la zone. Tout va dépendre le l’ampleur et de la rapidité de cette dévaluation. Ludovic Subran confirme : « A
l’heure actuelle, deux facteurs déterminent les politiques monétaires des pays
d’Asie du sud : l’évolution du taux de change du couple Yuan/USD, à 50/70
%, et celle du taux de change du couple Yen/USD. Si la dépréciation du yen par
rapport au dollar est forte, cela peut déstabiliser toute l’Asie du sud est,
déjà perturbée par la baisse de la demande mondiale. Depuis 2011, on y assiste
déjà à une hausse des défaillances d’entreprises et des incidents de paiement
car les opérateurs sont coincés entre les surcapacités chinoises et la chute de
la demande européenne. Une dépréciation forte de la monnaie japonaise risque
d’aggraver cette déstabilisation ». Et la Corée du Sud ne devrait pas rester sans réagir…
Selon les dernières prévisions d’Euler Hermes, la baisse des
défaillances d’entreprises en Asie-Pacifique devrait être stoppée en 2013 après
plusieurs années de baisse : l’indice global des défaillances de cette
zone y est prévu en hausse de 2 % cette année (après -3 % en 2012 et – 6 % en
2011). Pour le seul Japon, Euler Hermes prévoit cette année une remontée des
défaillances d’entreprises (+ 2 %), après un recul (-3 %) l’an dernier.
Autrement dit, pour apprécier ce plan de relance japonais et ses effets sur les opportunités de marché, la prudence et de mise. Et l’évolution des taux de changes des monnaies asiatiques et à surveiller…
Christine
Gilguy
Pour prolonger :
Lire notre dernier dossier sur le Japon : « Japon-Union européenne : opportunités et enjeux d’un accord de libre échange ». En attendant sa disponibilité en ligne, consultez le numéro dans lequel il est paru (Le Moci N°1928 du 13 décembre 2012): cliquez ici